Michel Le Nobletz précurseur
des « tableaux de mission »
- Yann Celton et François Trémolières
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Déclaration de la 11e figure :
Ici, on vous représente un cœur enflammé en l’amour de Dieu, après qu’il a vaqué à contempler la loi de Dieu et la mort et passion de Notre Seigneur : Il est enflammé en amour du désir de porter sa croix.
Déclaration de la 12e figure :
Ici, on vous représente un cœur parvenu au comble des vertus et des contentements spirituels. Je vous rapporterai ici l’ordre pour parvenir à cette perfection des vertus, rapporté par Cassian en telles paroles [53] : Accipe paucis ordinem ad summam perfectionem. Principium nostra salutis sapientiae quae secundum Scripturas timor Domini est. De timore Domini nascitur compunctio salutaris. De compunctione cordis procedit abrenuntiatio idest nuditas et contemptus omnium facultatum ; de nuditate humilitas procreatur.
De humilitate, mortificatio volutatis generatur. Mortificatione voluntatis extirpantur atque marcescunt vitia universa. Expulsione vitiorum virtutes fructificant atque succrescunt.
Pullulatione virtutum, puritas cordis acquiritur. Puritate cordis apostolicae charitatis perfectio acquiritur. Haec ille loco citato.
Puis est proposé un « Supplément du discours précédent » avec une liste en latin, peut-être des notes tirées de la lecture de Bonaventure. Dans le même cahier, la déclaration déjà citée de la troisième sous-série est suivie quant à elle d’un Appendix puis d’un Index également en latin, destinés semble-t-il à fournir des éléments d’amplification. Dans cet appendice, une « Déclaration de trois figures qui sont en la peinture du baptême à savoir : Triangle, quadrangle et octogone. » (fig. 36, voir fig. 21 pour la transcription au XIXe siècle). On constate, sur le détail correspondant de la carte (voir fig. 25), que l’octogone est minuscule : il s’agit d’un aide-mémoire, pour le seul commentateur. On remarque aussi, sur l’arbre en bas à droite, les lettres S B S (ou S B 8 ? L’appendice développe la notation Sunt 8 notando in baptismo solemni…), sans qu’aucune déclaration conservée ne les mentionne – renvoi à saint Bonaventure, suivant l’indication du « Supplément », Solemnes ceremonia Baptisma ex D. Bonav. ?
Seule cette « carte des cœurs », on l’a signalé, peut être mise en rapport avec la série « classique », pour reprendre la terminologie d’Anne Sauvy. Encore celle-ci n’a-t-elle que peu à voir avec la sous-série que nous venons d’étudier dans l’Exercice quotidien pour tout homme chrétien. Toutes deux comptent douze figures, mais la séquence n’est pas la même – pour la série gravée, dans l’ordre : le péché, l’attrition, la contrition, la pénitence, la ferveur, la tentation, la rechute, la mauvaise mort, l’enfer, la persévérance, la bonne mort, le paradis. Un vocabulaire allégorique que nous pourrions qualifier de standard y est mis en place dès la première image : le diable fourchu et, pour la représentation des péchés, le paon (l’orgueil), le bouc (la luxure), le porc (la gourmandise), etc., qui vont revenir ensuite ; l’attrition commence à les chasser, la contrition les met au dehors du cœur, ils l’environnent dans la tentation, ils le pénètrent dans la rechute, au lieu qu’ils sont maintenus dehors par la persévérance... L’emploi du cœur est systématique chez Le Nobletz (on a vu qu’il servait de principe unifiant aux trois sous-séries [54] ) alors qu’il ne l’est pas dans les gravures de Gallays (huit images sur douze [55]) mais ces dernières l’utilisent toujours comme une sorte de théâtre intérieur – là où Le Nobletz tend parfois à l’abstraction et mêle plusieurs registres, celui repris de Wierix / Binet étant dominant, avec huit images sur douze, alors qu’il est absent de la série classique – et, comme on l’a vu, l’associent à un visage – innovation qui semble apparue avec Jean Aumont, le « vigneron de Montmorency » étudié par Bremond [56], dans L’ouverture intérieure du Royaume de l’Agneau occis, en 1660 (suivi d’un Abrégé de l’agneau occis publié à Rennes en 1669) ; la source directe de Maunoir, dans son œuvre imprimée, est un peu plus tardive, c’est l’Oratoire du cœur du P. Le Gall, d’abord paru en italien (Rome, 1668), puis en français (Paris, 1670) : Le Gall est l’inspirateur de An Templ consacret d’ar passion Iésus-Christ (1671), publié par Maunoir en breton avec son approbation en français [57]. Nous n’avons pas examiné cet ouvrage en détail mais il est clair que l’iconographie [58] en est très différente de celle de Le Nobletz, comme de celle de Binet / Wierix.
Si l’on s’arrête au texte de ce dernier, par exemple pour la figure correspondant à la septième de la sous-série Le Nobletz (l’enfant à la lanterne,fig. 37), la tonalité est très différente des déclarations que nous avons citées :
Combien de fois le bon Jésus a voulu entrer dans votre cœur, y menant tous les anges du Paradis, et vous lui avez refusé l’entrée. Quelle saveur amoureuse, que Dieu, ce grand Dieu, daigne si soigneusement épier les moments d’entrer chez vous, les anges mêmes en sont étonnés. O cœur ingrat ! ô cœur déloyal ! à qui vous ouvrirez-vous donc, si ce n’est à ce doux Jésus, qui vous poursuit il y a si longtemps [59].
La gravure et son commentaire vont plus loin que la méditation qu’elles accompagnent : « L’amoureux Jésus heurte à la porte du cœur », qui correspond en fait davantage à l’image suivante (où l’on voit l’enfant Jésus, tourné vers le lecteur, manier un heurtoir à la porte du cœur, lourdement cloutée). Le Nobletz inverse la séquence de Binet, où la porte close se trouve après le Jésus à la lanterne (et avant le Jésus nettoyant le cœur de ses saletés) [60]. Surtout l’accent est plus doctrinal, moins dévotionnel. L’image sert de support non à la prière et la méditation, mais à l’enseignement. Cet enseignement n’a pas la finalité d’abord morale et pratique, frappant l’imagination par des moyens spectaculaires (A. Sauvy évoque « une pastorale de la peur [61] »), des tableaux de mission à l’échelle quasi industrielle que développeront après lui les jésuites. Le format des figures en fait pour l’essentiel un support de la mémoire du catéchète, et non un support d’oraison : la série Binet / Wierix est finalement mal adaptée à son réemploi par Le Nobletz, aussi fait-elle exception parmi les cartes conservées (où les « tables », de manière générale, sont moins nombreuses que les « itinéraires[62] »). Ce mécanisme d’aide-mémoire, bien connu pour la prédication [63], apparaît bien dans les « explications », en particulier par le jeu d’amplification que l’on peut observer lorsque l’on dispose, comme ici, de plusieurs déclarations. Il faut donc travailler désormais à rendre disponible ces sources, dont on espère avoir montré sur cet exemple tout l’intérêt [64].