Michel Le Nobletz précurseur
des « tableaux de mission »

- Yann Celton et François Trémolières
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Fig. 15. M. Le Nobletz, Les cinq talens, XVIIe s.

Fig. 16. M. Le Nobletz, Les Conseils,
vers 1620-1630

Fig. 17. M. Le Nobletz, Les Quatre monarchies,
v. 1620-1630

Les cartes géographiques

 

Les cartes marines, enfin, sont au nombre de trois. On peut signaler, dans la déclaration d’une quatrième (la carte Harboulin), une expression en langue bretonne, usage rare chez lui, mais qui confirme que ce type de carte s’adresse plus particulièrement à des populations de marins, habitués à ces images ici réinterprétées en figuration des chemins du salut : An hini ne zeut Ret eus ar Stur, Da goll a zai sur, « qui n’obéit qu’au nocher (le pilote) se brise sur le rocher [23] »

 

Les Cinq Talents (H. 0,576 m ; L. 0,85 m) (fig. 15)

On reconnaît la pointe du Finistère. Le Léon est figuré ici principalement, sur une carte où le Nord doit être placé à droite ; la ville épiscopale de Saint-Pol y est représentée par son lion emblématique. Dans le coin en bas à droite, de l’Église, fondée sur la pierre, partent deux itinéraires. L’un, vers la gauche, tourne en rond ou s’égare vers les flots représentés par des vagues vertes. Il est emprunté par les impies, les « mondains ». L’autre, qui semble longer la côte sur la droite, est le plus vertueux et permet de gagner le Ciel, traversant cinq cités. Dom Michel propose plusieurs lectures [24]. Le sens symbolique de ce parcours peut varier, en fonction de l’auditoire : les cartes sont conçues pour s’adapter à tout public. Il peut s’agir ainsi, par exemple, de la foi, la vérité, la science, l’entendement et le zèle ; ou bien encore de la bonne doctrine, la pénitence, la réception des sacrements, la fréquentation des malheureux, la persévérance. Ce procédé de listes multiples peut se retrouver dans plusieurs déclarations, comme la carte de la Croix présentée plus haut.

 

Les Conseils (H. 0,595 m ; L. 0,83 m) (fig. 16)

Cette carte représente l’Amérique centrale. De nombreux navires voguent sur les océans, certains s’égarent ou coulent. D’autres suivent les bonnes voies. Au nord-est se trouvent trois îles où l’on distingue maisons et clochers, et certains voiliers ont la chance d’y accoster. Au sud la Terre nouvelle, Terra nova, offre un refuge aux bienheureux : le Père éternel y trône dans la gloire. Sur ce que nous reconnaissons comme l’isthme de Panama, de nombreuses personnes sont occupées à creuser un canal, mais seules celles situées au centre parviendront à leurs fins. Sur les océans, les échelles sont destinées à noter devises et préceptes moraux. Ainsi, seuls les justes trouvent le refuge, réalisent leurs bonnes œuvres et sont sauvés. Les pécheurs sont égarés à tout jamais.

 

Les Quatre Monarchies ou Imago Mundi (H. 0,55 m ; L. 0,82 m) (fig. 17)

Homme de la Renaissance et pétri de culture biblique, Michel Le Nobletz évoque par les « quatre monarchies » les premiers peuples de l’histoire, selon la Bible (cf. Daniel 2,31-45) et les auteurs anciens : Mèdes, Perses, Grecs et Romains. Jérusalem et Jéricho sont représentées, symboles du bien et du mal, et prétexte ici à raconter l’Histoire sainte sur un support familier des populations bretonnes, la carte marine. Dans le registre supérieur, une suite de dessins d’excellente facture, racontant l’Histoire sainte : la main de Dieu créant l’homme, Adam puis Eve, le péché originel et l’expulsion du paradis, le meurtre d’Abel par son frère Caïn.

 

La leçon de catéchisme de Michel Le Nobletz

 

Si l’on tente maintenant de se faire une idée des modalités pratiques de la transmission de la doctrine par ces images [25], force est de reconnaître que les sources nous fournissent bien peu d’indications précises. Le Journal est perdu, qui nous aurait peut-être permis de connaître la fréquence des leçons, ou encore le nombre de personnes concernées. Concrètement la leçon se passe à domicile. L’absence de système d’accrochage ou de nombreux trous nous incite à penser que la carte est posée simplement à plat, sur une table. L’orientation du document et la dimension des détails nous fait supposer que le maître explicateur se tenait à un bord du document, ou à son sommet, le voyant donc peut-être à l’envers. La taille des documents ne l’oblige pas à posséder une baguette (à la différence des grands tableaux de mission qui suivront, destinés à être suspendus dans une église et visibles d’une grande foule) ; les déclarations en tout cas n’indiquent rien sur ce point. L’expérience, lors de présentation de ces documents au public, nous montre que trois ou quatre personnes peuvent bien voir les détails, pas plus.

Il semble que Michel Le Nobletz ait renoncé dès 1625 à utiliser le sermon, confiant en sa méthode pédagogique par l’image. Dans ses jeunes années déjà, sur les routes de Basse-Bretagne,  c’est son confrère Pierre Quintin qui sermonnait et lui qui catéchisait. Il aurait donné à Julien Maunoir un manuscrit intitulé Raisons pour lesquelles j’ai cessé de prêcher depuis 1625 [26]; ceci malgré un talent certain d’orateur, si l’on en croit son biographe Verjus :

 

Quand il montait en chaire, ses paroles étaient si animées de l'Esprit de Dieu, et il était lui-même si vivement touché des vérités qu'il voulait persuader, que parlant le Crucifix à la main et apostrophant à son ordinaire  le Sauveur crucifié, il versait beaucoup de larmes, et en tirait des yeux de tous ceux qui l’écoutaient [27].

 

En renonçant à la transmission orale, il se place en marge d’une pratique alors en plein développement et utilisée par tous ses confrères puis son successeur Julien Maunoir (qui à lui seul réalisera plus de 400 missions en Basse-Bretagne basées principalement sur la transmission orale).

 

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[23] Y. Celton, « Michel Le Nobletz et la mer », Cahiers de l’Iroise n°226, 2017, p. 45-51.
[24] C 11, Declaratio carta qua vocatur quinque talentorum.
[25] Pour le contexte général, P.-A. Fabre, Décréter l'image ? La XXVe session du Concile de Trente, Paris, Les Belles lettres, 2013.
[26] Renaud, op. cit., p. 158.
[27] Verjus, op. cit., p. 134.