Michel Le Nobletz précurseur
des « tableaux de mission »
- Yann Celton et François Trémolières
_______________________________
Fig. 18. M. Le Nobletz, Déclaration C18, v. 1630
Fig. 19. M. Le Nobletz, Déclaration
C19, XVIIe s.
Fig. 20. M. Le Nobletz, Déclaration
C30, XVIIIe s.
Fig. 21. M. Le Nobletz, Déclaration
C3, XIXe s.
Les déclarations montrent aussi qu’en fonction des connaissances de l’auditoire, le maître pourra choisir une interprétation ou une autre. C’est le cas pour la carte de la Croix : différents symboles sont présent, décrits par des listes nombreuses. Ainsi, les sept étoiles peuvent signifier sept évènements de l’Histoire sainte liés au chiffre sept (Jéricho pris au 7e jour, les Sept trompettes de l’Apocalypse, etc.), ou bien Sept considérations pour vaincre le monde (considérer la vanité, le profit, la brièveté de la vanité, etc.), ou encore les sept étoiles des prédestinés, les sept vices qui crucifient Notre Seigneur [33]. Et l’on a vu précédemment d’autres exemples avec la carte de l’Exercice quotidien.
Le souci de perpétuation est essentiel. Michel Le Nobletz explique ainsi dans un texte court, A Dammath Rolland pour confirmer la doctrine des femmes [34], le choix des femmes laïques, aux dépens des religieuses :
La doctrine des femmes séculières de Douarnenez est plus assurée que celle des femmes religieuses, et pour les 3 raisons qui suivent.
Première raison.
Parce qu’elle est publiquement donnée devant des personnes capables pour corriger ce qui sera mal dit, et aussi sont libres et hardies pour reprendre celle qui enseignera.
2e raison.
La doctrine des femmes séculières est déterminée par des personnes ecclésiastiques et limitées, tellement qu’elles ne peuvent enseigner autre doctrine à leur fantaisie.
3e raison
Ces femmes de Douarnenez enseignent par peintures, tellement, qu’elles ne peuvent expliquer ce qu’elles enseignent selon leur propre fantaisie, ne changer livres et lecture à leur poste, comme celles qui lisent en privé tels livres qu’il leur plait, et n’ont aucun ecclésiastique capable sur la place pour les reprendre.
Et s’il arrive que les séculières fassent lire quelques livres devant elles, ce sont des livres députés de leur directeur.
Dieu veuille leur donner la persévérance.
Ainsi soit-il.
Louange à Dieu et à son fils Jésus, et à sa Sainte Mère et à tous les Saints.
Ces considérations demeurent générales et applicables à toutes les cartes. Ainsi, les déclarations spécialisées pour chaque carte se contentent d’en décrire la symbolique, parfois les sources d’inspiration, mais jamais n’indiquent le procédé à employer pour les expliquer : aucune mention du ton à employer ou d’éventuels gestes à effectuer. On l’a dit, certaines archives aujourd’hui disparues auraient probablement pu nous permettre d’en savoir plus : quel est l’auditoire concerné, quel âge (visiblement des adultes, selon les règlements), comment s’est améliorée la méthode au fil du temps. Mais l’on peut espérer qu’une étude plus approfondie de ce qui est conservé nous permette d’appréhender l’essentiel des principes de transmission de Michel Le Nobletz.
Sources écrites pour l’interprétation de la carte des cœurs
Les déclarations sont rédigées majoritairement en français, avec une part importante en latin, et très marginalement en breton – même si l’on sait que c’est la langue de prédication de Le Nobletz (on lui attribue des cantiques). Les manuscrits sont de plusieurs mains : Le Nobletz lui-même (fig. 18 [35]) ; des copies anciennes, contemporaines de Le Nobletz (fig. 19 [36]) ; des copies plus tardives, ex. C 30 (fig. 20 [37]). On peut aussi s’appuyer sur des copies réalisées au XIXe siècle (fig. 21), sans doute lors des démarches pour promouvoir la cause, certaines aujourd’hui dispersées dans les archives relatives à celles-ci, d’autres réunies en un ensemble de cinq volumes reliés [38]. Un projet d’édition est à l’étude, qui suppose un inventaire précis de tous ces documents. D’ores et déjà il est acquis que les copies du XIXe siècle (dont on a vu plus haut qu’elles étaient conservées sous la cote 8G) ne coïncident pas exactement avec les copies et manuscrits anciens (cote C pour l’essentiel) ; autrement dit, elles donnent accès pour partie à des documents dont nous n’avons pas conservé les originaux.
Puisque l’on a privilégié ici le lien des cartes de Le Nobletz avec les tableaux de mission, nous allons nous arrêter pour conclure à l’iconographie de la série des cœurs, qui constitue une sous-série de la carte sur « l’exercice quotidien pour tout homme chrétien », selon le titre qui figure en frontispice. Un seul cahier ancien : C3, correspond au sujet. La copie dactylographiée (que nous allons citer dans une orthographe modernisée) nous offre un plus large éventail, ainsi de cet « abrégé » :
La carte dite exercice quotidien pour tout homme chrétien a pour frontispice [39].
Les figures de ceste carte sont divisées en trois parties :
La première a dix figures prises du cahier du Révérend père Capucin François de Rennes.
La seconde partie contient 12 figures prises pour la plupart du livre du père Binet jésuite, lesquelles sont faites en forme de cœurs pour représenter la misère et la félicité de la volonté humaine.
La troisième partie est prise des peintures anciennes et modernes qui représentent les 7 péchés mortels diversement, et la dernière représente un homme chargé de 7 péchés mortels dit : cheval de Quincailler.
Il est à noter que Le Nobletz semble donner des sources directement iconographiques à ses images. La première, cependant, n’est pas identifiée. Un étonnant manuscrit conservé à la bibliothèque municipale de Rennes [40] contient le catalogue des mille premiers capucins de la province de Bretagne dont en effet un François de Rennes (prise d’habit en 1610) mais nous ne lui connaissons aucun ouvrage imprimé. Parmi les manuscrits du fonds Le Nobletz il se trouve un important « Cahier intitulé : R. P. François de Rennes Capucin » (C25) mais qui ne fournit pas d’éléments de cet ordre [41]. Laissons donc de côté cette première sous-série, sur laquelle l’enquête reste à poursuivre, et concentrons-nous sur la deuxième, dont la source est au contraire bien connue [42] : il s’agit de l’ouvrage du P. Binet Les saintes faveurs du petit Jésus au cœur qu’il aime et qui l’aime, avec des gravures de Jean Messager imitant la célèbre série Cor Iesu amanti sacrum due à l’artiste anversois Antoine Wierix [43] (18 images). On peut supposer que Le Nobletz l’aura montré à celui qui devait peindre la carte, en l’occurrence ici Alain Lestobec. Quant à la troisième, la déclaration indique d’après « des peintures anciennes et modernes », sans autre précision. On sait qu’il existe une vaste tradition de représentation des pêchés capitaux, véhiculée par la gravure : Anne Sauvy signale notamment, parmi les sources possibles, Jacques Callot et la célèbre Iconologia de Ripa (auxquels les manuscrits font effectivement allusion en d’autres occasions, comme aux Emblèmes d’Alciat). Le « cheval du quincailler » de la dernière image (fig. 22) – la seule avec les deux premières à échapper au motif du cœur, commun aux trois sous-séries formant ainsi un ensemble qu’elles viennent encadrer – rappelle le servitus peccati (l’esclavage du péché) que l’on retrouve dans certaines éditions des Exercices spirituels [44], il est donc emprunté, comme la série Wieirix, à une source jésuite (fig. 23).