L’écriture poétique de Genet, Dupin,
Juliet, Du Bouchet à l’épreuve de
la sculpture-sépulture de Giacometti

- Michel Favriaud
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Annexes :

 

T1 : Charles Juliet, Giacometti, pp. 8-9.

 

œuvres démunies
fragiles tendues
qu’un rien aurait pu
réduire à néant
demeurant en lutte
contre ce qui déjà
s’était opposé
à ce qu’elles naissent

 

œuvres frémissantes tragiques
[…]

 

T2, Ibid., pp. 79-80.

 

[…] … quelque chose de rude, de dépouillé, d’élémentaire, d’intransigeant, d’inentamable… un possédé… une immense aventure… commencée alors qu’il avait douze ans… la simplicité et l’intensité de l’image à laquelle, à son corps défendant, il a abouti… la pauvreté des moyens mis en œuvre… un peu de terre… quatre ou cinq couleurs… ce bout de serviette en papier, taché, mal déchiré, sur lequel il a griffonné comme sans y penser un de ses dessins les plus admirables… lequel est un autoportrait… des lignes semblant tracées comme au hasard, en dehors de tout souci de copier l’apparence… et qui finissent par représenter son visage avec justesse et une autorité étonnantes… « pourquoi peint-on ou modèle-t-on ? Le motif, personne ne le connaît »… à la fois objectif et subjectif… lucide et aveugle… réaliste et visionnaire… […]

 

T3, Ibid., pp. 40-41.
La médiane horizontale du tableau se confond avec le bord antérieur du plateau qui constitue la partie supérieure du meuble. (On éprouve quelque gêne à opérer pareille vivisection sur une toile, et on sait bien que ce en quoi réside le pouvoir qu’elle a sur nous, échappe à toute analyse. Cependant il n’est pas sans intérêt de détailler ses composantes, et comment elles concourent à produire l’effet recherché).

 

[...]

 

(Pour insuffler la vie à un tableau, Rembrandt et Cézanne procédaient de la sorte. Par d’imperceptibles altérations et anomalies, ils suscitent le trouble, visent à donner une impression d’étrangeté, de mystère, nous mettent aux prises avec une énigme que nous ne saurons résoudre et qui va continuer de nous occuper).

 

Univers de la confrontation, du face à face, de l’impossibilité d’éluder.

 

Et comment nier qu’à voir cette pomme unique – seule forme ronde au sein de ce réseau de lignes verticales et horizontales, seule matière vivante parmi ces matières mortes, seule surface close, seul élément à capter en premier l’attention, et qui semble comme perdu dans ce vaste espace – nous soyons gagnés par un sentiment d’irrémédiable solitude ?

 

T4, Jean Genet, L’Atelier d’Alberto Giacometti, n. p.

 

Ses statues semblent appartenir à un âge défunt, avoir été découvertes après que le temps et la nuit – qui les travaillèrent avec intelligence – les ont corrodées pour leur donner cet air, à la fois doux et dur d’éternité qui passe. Ou encore, elles sortent d’un four, résidu d’une cuisson terrible : les flammes éteintes, il devait rester ça.
Mais quelles flammes !
Giacometti me dit qu’autrefois il eut l’idée de modeler une statue et de l’enterrer. (On songe aussitôt : « Que la terre lui soit légère »). Non pour qu’on la découvre, ou alors bien plus tard, quand lui-même et jusqu’au souvenir de son nom auraient disparu.
L’enterrer était-ce la proposer aux morts ?

 

T5, Opcit., n.p.

LUI. – C’est jolî !... c’est jolî !...
Malgré qu’il en ait, il a conservé un peu l’accent des Grisons… C’est jolî ! ses yeux s’écarquillent, son sourire est aimable ; il parlait de la poussière couvrant toutes les vieilles bouteilles d’essence qui encombrent une table d’atelier.

 

T6, André du Bouchet, Alberto Giacometti. Dessin, n. p.
L’objet invisible : figure de 1934 clouée sur place, et ployant, comme elle apparaît, dans l’emboîture de ce seuil sur lequel, chemin faisant, l’œuvre de Giacometti se sera rompue plusieurs années. L’objet invisible : non la figure     –   mais un objet, plus loin, comme à l’écart, que celle-ci désigne seulement ; objet dont cette figure qui l’envisage, tire, en lui empruntant quelques traits déjà, son appellation     –   nulle ; objet à quoi la figure que nous voyons fait face, déjà… Un objet     –   en nous, puisque nous sommes, nous, face à elle ; soustrait     –   de ce fait     –   à notre regard, atterrant lorsque nous l’aurons appréhendé, et dont l’effigie manifeste, elle, supporte le heurt     –   le heurt qui délie les genoux. Mais la figure qui lâche prise, comme étonnée, est figure aussi bien du nul qu’elle aura réfléchi. La mort, au profond de nous-mêmes, ignorée. Telle que par la face seule     –   un masque   –     de qui enfin l’envisage    –   souffle, le vide même, OBJET INVISIBLE, qui ne se laisse pas saisir, elle se fera jour. Mais, comme par le travers de l’enclave dans laquelle nous la supposons pour jamais contenue, il semble sitôt qu’elle vienne à nous     –   de son pas de gisant à l’aplomb   –     le pas de tant de figures peintes, sculptées ou dessinées depuis lors par Giacometti, c’est notre existence même visée à travers la figurine mortelle     –   en avant de nous-mêmes, nous aurons effleurée… Figure équarrie jusqu’à quelque imperceptible vérité d’existence, telle qu’au plus loin, dans le roidissement de l’apparition, ou fléchissant déjà dans l’embrasure, un jour elle se dévoilera. Sous ses traits coutumiers, chaque fois, attendus…

 

T7, André du Bouchet, « Là, aux lèvres », L’Incohérence, n. p.(incipit)

 

Au loin la parole     –   les lèvres, qu’elle timbre, l’imaginent   :     o u v e r t e     comme, à vélo quand une pente est dévalée, le froid     –   soudain le froid qui se traverse   –     ravivera, en passant, quelque chose de la crudité de l’herbe sciée.

 

 

 

…   aux lèvres hier, l’été, l’éclat.            Un  éclat  dans  l’été.      Eclat au travers de l’été   :     ce qui est comme la crudité du froid.      Est soudain. Eclat.

 

[...]

 

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