Sculp. fiction. Sculptural, scriptural, figural :
une approche médiale de la fiction

- Benoît Tane
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Mais ce texte n’est pas une quête de l’origine comparable à celle du De Pictura : cette « étiologie […] nous donne à comprendre le fondement même de l’art », voire « l’âme de l’art » avance l’éditeur récent du texte [31].

 

Sed via alii alia, non eadem id omnes assequi didicere. Namque hi quidem cum additamentis tum ademptionibus veluti qui cera et creta quos Greci plastikous, nostri fictores appellant, institutum perficere opus prosecuti sunt. Alii solum detrahentes veluti qui superflua discutiendo quaesitam hominis figuram intra marmoris glebaminditam atque absconditam producunt in lucem. Hos quidem sculptores appellamus, quibus fortassis cognati sint qui sigillo interlitescentis vultus lineamenta excavationibus eruunt. Tertium genus eorum est qui solum addendo operantur, quales argentarii sunt, qui aera procudentes malleo atque extendentes amplitudini formae continuo aliquid adiciunt, quoad quam velis effigiem produxerint. Erunt qui forte istis addendos censeant pictores, ea re quod colorum appositionibus utantur [32].

 

Mais tous n’apprirent pas à atteindre ce résultat par la même voie. Et de fait, certains parvinrent à parachever l’ouvrage proposé par ajouts et suppression, comme font avec la cire et l’argile ceux que les Grecs appelaient plastikous et les nôtres modeleurs ; d’autres y parvinrent par le seul retrait de la matière, comme ceux qui en frappant et en tapant sur le superflu, font venir à la lumière la figure d’homme recherchée, enfouie et cachée dans le bloc de marbre. Ceux-là en vérité, nous les appelons sculpteurs, et leur sont peut-être liés ceux qui font apparaître en creusant dans un cachet les linéaments d’un visage qui y est enclos. Un troisième genre est constitué de ceux qui n’opèrent que par ajouts, comme les toreuticiens qui, forgeant et distendant le métal avec un marteau, ajoutent continûment quelque chose à l’ampleur de la forme jusqu’à produire la figure voulue. Certains penseront sans doute qu’il faut compter ici les peintres, puisqu’ils recourent aux applications de couleurs

 

Trois types d’artisans et d’artistes sont convoqués successivement : les fictores (« modeleurs »), les sculptores et les argentarii, que les traducteurs cherchent à rendre par « toreuticiens » et qu’il justifie en note : « Les toreuticiens, sculpteurs travaillant surtout les métaux, incluent les orfèvres et les bronziers ; ce sont eux qui sont manifestement désignés par le vocable apparemment impropre d’argentarii » [33]. La question n’est pas centrale pour nous mais argentarii, sous la plume d’Alberti, pourrait bien désigner les « orfèvres » comme figures privilégiées de cette technique, fût-elle partagée avec les bronziers. Les distinctions de métiers sont cependant bien associées à des matières : la cire et l’argile des modeleurs, le marbre des sculpteurs, la cire de nouveau de ceux qui gravent des « cachets » (sigillo), que l’on voudrait traduire par « sceau » si cela ne semblait impliquer une empreinte et non un retrait ; à cette liste de matériau s’ajoute pour finir le métal.

Surtout, ces distinctions renvoient principalement à des actions et notamment à l’opposition entre une action propre à la sculpture – le « retrait » (detrahentes, excavationibus) – et une action propre au modelage par ajout et suppression (additamentis tum ademptionibus), si l’on met de côté le « troisième genre ».

 

Sculptural figural

 

Au fond, le sculptural doit se détacher de ce qui n’est que son thème et dont nous faisons ici l’hypothèse qu’il ne constitue pas son origine : la sculpture comme art proprement dit. L’analyse doit investir toutes les modalités de (re)production par façonnage et plus largement par l’empreinte, qu’il s’agisse de photographie ou de gravure.

Fingere, c’est donc « modeler » mais aussi « imprimer » au sens de « faire une empreinte » ; sens qui convoque donc à la fois la matrice d’impression et le produit de ce processus. Ce faisant, la sculpture comme « figural » se distingue d’autres modalités du sculptural : découpage/collage par exemple, quoique, par le prélèvement et la présentation directe, ces modalités aillent à un certain niveau dans le même sens. On ne peut d’ailleurs résumer les modalités de la sculpture par ces trois termes : modelage, empreinte, collage. Le modelage se fait aussi par ajout, comme le collage, et la taille directe constitue encore une autre modalité. En revanche, on pourrait à partir de là distinguer la taille, qui procède par élimination, le modelage par agrégation, le moulage par empreinte. Cette dernière modalité est complexe puisque l’on imprime avec du dur dans du mou et que l’on moule du mou dans du dur. Le moulage est en outre une modalité technicisée ou appareillée de l’empreinte qui peut, elle aussi, être « directe », c’est-à-dire reposer sur un contact direct du corps ou de la matière à imprimer ; on touche ici cependant à une véritable idéologie de l’immédiateté qui est elle-même problématique.

Des objets très proches peuvent être issus de techniques différentes. On sait par exemple qu’une autre technique de façonnage du mou, le tournage, sans doute moins ancien que la « simple » empreinte, a laissé place, dans le domaine de la poterie antique, à une production par moulage. Il s’agit de la « sigillée » gallo-romaine, apparue en Italie à partir de la première moitié du Ier siècle avant notre ère, et qui se développe en Gaule au Ier siècle après [34]. Le moulage intéresse les archéologues parce qu’il permet de faire le lien entre une production en série et un moule unique (ou un type de moule). Ces poteries sont décorées par différentes techniques, dont l’estampage. Elles sont également le support d’inscriptions, réalisées elles aussi par différentes techniques, également par un tampon ou à la main, avant ou après séchage, et surtout de nature épigraphiques ou anépigraphiques, destinées à identifier la production : on retrouve le verbe « FECIT » [a fait] mais aussi « FORMA » [avec le moule de] ou encore « FIGULI » [du potier].

Aussi le « figural » est-il moins ici le « façonné » que « l’empreinte », modalité qui nous intéresse particulièrement. Nous retrouvons avec elle un processus qui serait propre aux arts autographiques multiples tels que les conçoit Gérard Genette : « J’appellerai empreinte une exécution ou une reproduction obtenue en utilisant l’original comme matrice […] et provisoirement copie une exécution ou reproduction qui l’utilise comme signal » [35]. Et si « Imprimé » et « empreinte » constituent un couple asymétrique en français, d’autres langues nous rappellent leur parallélisme, en anglais (print/imprint) ou en allemand par exemple (Druck/Abdruck).

« Représentation par empreinte », « imitation par empreinte » apparaissent comme des formes dévaluées de la représentation tout entière tirée du côté de l’imitation.

Il s’agit cependant plus profondément d’un paradigme dont la prégnance est très nette au XVIIIe siècle par exemple. Ainsi Diderot, dans l’article « Empreinte » de l’Encyclopédie, s’attache ainsi aux modalités artistiques précises que le terme peut recouvrir :

 

*EMPREINTE, s. f. (Gramm. & Arts méchan.) il se dit de l’image qu’un corps laisse de lui-même sur un autre auquel il a été appliqué ; si le corps est en relief, l’empreinte est en creux ; si le corps est creux, l’empreinte est en relief ; l’empreinte du corps est plane, si la surface appliquée l’est aussi : mais à parler rigoureusement, ce dernier cas ne peut avoir lieu, si ce n’est peut-être lorsque le corps qu’on applique laisse son image tracée sur le corps auquel il est appliqué, par le moyen de quelqu’enduit qui se sépare de l’un pour s’attacher à l’autre ; je dis peut-être, parce qu’alors l’enduit n’étant pas absolument sans épaisseur, on peut dire que l’empreinte est de relief.

 

On utilisait d’ailleurs ce moyen comme un véritable moyen de reproduction d’objets en relief. C’est-à-dire que de même que l’on a un « art » (une technique, un procédé) de reproduction pour l’image en deux dimensions par la gravure (on distingue alors la gravure de reproduction de la gravure originale), l’empreinte et le moulage constituaient un art de reproduction des pièces en trois dimensions. Le développement de musées de moulages pour les écoles d’art témoigne de ces pratiques.

 

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[31] Ibid., p. 105.
[32] Ibid., pp. 62-63.
[33] Ibid., p. 173.
[34] Cl. Mossé, Le Travail en Grèce et à Rome, Paris, PUF, « Que Sais-Je ? », 1966, pp. 17-18.
[35] G. Genette, L’Œuvre de l’art, Op. cit., p. 60.