Où placer les textes ? Les leçons
d’Oscar-Bill, le roi des détectives (1931)

- Benoît Glaude
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Fig. 2. Erik, Oscar-Bill, n° 2, 1931

Fig. 3. L’Epatant, n° 1176, 1931

Oscar-Bill dans la culture médiatique des années 1930

 

Le style graphique caricatural et la logique de la farce, à l’œuvre dans Oscar-Bill, renvoient à des genres satiriques ou grotesques destinés à un public intergénérationnel, celui de Bouillabaisse par exemple, dont Oscar-Bill fait la réclame : « Si toute votre famille veut rire, achetez chaque semaine Bouillabaisse, le journal de la famille » [23]. C’est dans le même esprit qu’Erik livre à Benjamin, à partir de 1930, « des dessins humoristiques dans le style de ceux que l’on trouve dans les journaux d’adultes » [24]. Ce faisant, il s’inscrit dans la veine humoristique des magazines des frères Offenstadt, suivant l’exemple du style graphique de Louis Forton dont il reprend également le style d’écriture, caractérisé par les calembours. Le double prénom anglicisant « Oscar Bill » (« escarbille ») donne lieu, au premier numéro, à plusieurs jeux de mot : « le petit Bill !... Le Bill en court ! » (Billancourt), « Le grand Bill !... Le Bill haut » (billot), « On “Rouletabille” mais on ne roule pas Bill » [25]. Au fil des épisodes, les criminels s’appellent Frask (frasque), Blankett (blanquette), Klaksonn (klaxon), Shokett (socquette), K. Melott (camelote), Bill Archinoy (billard chinois), etc.

Ainsi, un second modèle de presse, exemplifié par l’illustré pour la jeunesse L’Epatant (1908-1939) qui rendit Forton célèbre, sous-tend visiblement l’hybridité iconotextuelle d’Oscar-Bill. Comparons un exemple de la première formule des « unes » réalisées par Erik, celle du numéro 2 (fig. 2), avec la couverture du numéro 1176 de L’Epatant (fig. 3) paru quelques semaines plus tôt. Leur titraille et leur mise en page présentent des similitudes, en dépit de leur différence de format (la première, avec ses 27 × 38,5 cm, dispose d’une surface double de la seconde : 19,5 × 26,5 cm). Dans les deux cas, on retrouve un bandeau de titre agrégeant plusieurs textes disposés dans des cadres et médaillons. Les niveaux d’information sont similaires : dénominations du périodique et du numéro (« L’homme aux cheveux rouges » – « Le truc de Bigorneau »), désignation générique (« détectives » – « humoristique ») et informations éditoriales (prix de vente, périodicité, adresse parisienne de l’« administration »). Seule la question des abonnements, détaillée sous le titre de L’Epatant, n’est abordée nulle part dans Oscar-Bill. Les deux revues ne désignent pas explicitement leur public (ni leur éditeur), mais elles paraissent « tous les jeudis », qui sont à l’époque en France des journées de congés scolaires.

La couverture de L’Epatant annonce l’usage intensif de la typographie à l’intérieur du magazine. Ses pages juxtaposent des récits littéraires ou des séquences de dessins humoristiques, avec des illustrations, des dessins d’humour et des publicités. Le bric-à-brac que forme la mise en page de L’Epatant autorise une disposition variable du texte, essentiellement en dessous ou à côté des images dessinées. La présence de lettrage manuel se limite aux signatures des artistes, aux vignettes de titre de certains romans-feuilletons, et à de rares inscriptions à l’intérieur de cases d’histoires en images (telles que l’onomatopée et le point d’exclamation dans le dessin de couverture de la figure 3). Au contraire, Oscar-Bill présente, comme unique contenu, l’enquête hebdomadaire du Roi des détectives. En dehors de la nouvelle policière, une grande partie du fascicule est lettrée manuellement, d’autant plus que, dans ce deuxième numéro encore expérimental, mêmes les histoires en images sont légendées à la main. Par conséquent, même si les deux revues ont bénéficié du savoir-faire technique d’imprimeurs professionnels, celle d’Erik produit l’effet esthétique du fait-main, de l’amateurisme, là où L’Epatant donne une impression de mécanisation et de travail d’équipe.

Au centre des deux couvertures, se trouve une grande illustration, signée en lettres capitales (Erik – L. Forton) et accompagnée d’une légende descriptive et modalisée, à fonction présentative : « Horreur ! il est pendu ! » – « Voilà ce que l’on peut appeler une exhibition qui ne manque pas d’éclat. » Le statut illustratif des images peut expliquer l’absence de texte dans la première, à la différence de la seconde, alors que les deux adaptent des vignettes d’histoires en images. Ces réinterprétations graphiques (redessin) et textuelles (commentaire) de cases publiées à l’intérieur des numéros remplissent avant tout un rôle publicitaire, d’accroche et d’avant-goût. La scène de Louis Forton (fig. 3) s’inscrit dans la tradition du dessin d’humour. Comme souvent chez l’auteur des Pieds-Nickelés, le héros a trouvé un « truc » invraisemblable pour soutirer de l’argent à des dupes. Dans une case ronde incrustée, le fluet Bigorneau (du nom d’un petit gastéropode marin) bombe exagérément le torse, avant que n’explose, dans la vignette principale, le ballon de baudruche placé sous son débardeur. Derrière le rideau de scène, un acolyte actionne une pompe à air, grimé en Clown blanc, le comparse habituel de l’Auguste maladroit dans les spectacles de cirque. Le décor forain (public, estrade, rideau, costume, accessoires de trucage) et les effets spéciaux de films burlesques (la fumée et le bruit de l’explosion, ainsi que les chapeaux bondissant des têtes des personnages) relèvent du domaine de l’exhibition attractionnelle.

L’illustration d’Erik (fig. 2) appartient elle aussi au registre caricatural, elle exhibe également la destruction d’un corps qui se révélera, comme la précédente, truquée. Cependant, la scène de pendaison relève d’une autre tradition graphique que celle du dessin d’humour. Ses codes de composition sont ceux des illustrations de couverture des collections populaires pour la jeunesse [26] et des « unes » de revues de faits divers, telles que Faits divers de la semaine (mentionnée plus haut), Police Magazine des frères Offenstadt ou encore Détective, le grand hebdomadaire des faits-divers édité par Gallimard. A l’inverse de l’univocité des « unes » photographiques de ces magazines, le sujet horrifiant du dessin d’Erik (fig. 2) entre en contradiction avec son style graphique caricatural et avec la calligraphie scolaire de la légende.

 

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[23] Erik, Oscar-Bill Roi des détectives. De plus en plus fort, Paris, s.n., s.d. [1931], quatrième de couverture.
[24] Julien Baudry, La Bande dessinée entre dessin de presse et culture enfantine : relecture de l’œuvre d’Alain Saint-Ogan (1895-1974), thèse en histoire, Paris, Université Paris Diderot – Paris 7, 2015, pp. 102-103 et 260.
[25] Erik, « L’attaque de la Shirting Bank », Oscar-Bill, n° 1, 26 mars 1931, pp. 4 et 8.
[26] Pour une liste, voir Matthieu Letourneux, « Littérature de jeunesse et culture médiatique », art. cit., pp. 232-233.