Résumé
 Cet article étudie la mise en textes des récits graphiques, à partir de  l’éphémère hebdomadaire Oscar-Bill, le  roi des détectives (1931). Ce périodique parisien peu connu, qui offrait  chaque semaine un récit policier de huit grandes pages, avait la double  particularité d’être entièrement réalisé par un auteur complet – le Français  Erik (André René Jolly) – et d’alterner la bande  dessinée à bulles, le texte littéraire illustré et l’histoire en images  légendées, pour raconter une seule enquête dans chaque numéro. Ce corpus  juxtaposant différentes façons de placer les textes manuscrits ou typographiés  – dans, sous, ou à côté des images dessinées – permet de comparer trois  dispositifs largement utilisés dans la culture graphique occidentale de  l’entre-deux-guerres.
  Mots-clés : bande dessinée, Oscar-Bill; histoire en images, rapports texte-image,  novellisation, littérature de jeunesse, histoire de la presse
 
 Abstract
 This paper studies the textualization of graphic  narratives, on the basis of the short-lived weekly Oscar-Bill, le roi des détectives (1931). This little-known  Parisian periodical, which offered, each week, a eight-page detective story in  a large-page format, had the double particularity of being entirely produced by  a complete author – the Frenchman Erik (André René Jolly) – and of alternating  comics with speech bubbles, illustrated literary texts, and captioned picture  stories, to tell a single investigation in each issue. This corpus combining  different ways of placing handwritten or typographic texts – in, under, or next  to the drawn images – allows us to compare three dispositives widely used in  the Western graphic culture of the inter-war period.
 Keywords: comics, picture story, text-image interactions, novelization, children’s literature, periodical studies
  
 
  
 Comme dans d’autres pays européens, la bande dessinée française a mis longtemps  à adopter la bulle, alors que le procédé était connu depuis des siècles sur le  vieux continent, et utilisé depuis des décennies aux Etats-Unis. Les  spécialistes [1] ont souvent attribué la  généralisation de son emploi dans le domaine francophone au lancement des  séries Zig et Puce (1925) et Tintin (1929), ou à celui du Journal de Mickey (1934). Une recherche menée  sur un plus large corpus par Julien Baudry [2] a affiné cette périodisation  sommaire, et engagé une déconstruction de la vision évolutionniste qui en  découlait. A sa suite, le présent article reprend l’étude des relations  texte-image dans (et autour de) la bande dessinée française des années 1930,  selon une approche non pas historienne mais fonctionnelle. Dans cette approche  initiée par Thierry Smolderen, la bulle se caractérise par son rôle dans la  représentation d’« une scène audiovisuelle sur le papier » [3], fonction qu’elle a acquise à la fin du XIXe siècle, après en avoir exercé d’autres dans le passé. En donnant un nouveau  développement à une hypothèse selon laquelle « la bulle ne fait pas le  dialogue » [4], nous nous intéresserons à la mise en textes des récits en images, en  considérant l’éphémère hebdomadaire Oscar-Bill,  le roi des détectives (1931). Ce périodique parisien peu connu, qui offrait  chaque semaine un récit policier de huit grandes pages, avait la double  particularité d’être entièrement réalisé par un auteur complet – le Français  Erik – et d’alterner la bande dessinée à bulles, le texte littéraire illustré  et l’histoire en images légendées, pour raconter une seule enquête dans chaque  numéro. Ce corpus juxtaposant différentes façons de placer les textes  manuscrits ou typographiés – dans, sous, ou à côté des images dessinées –  permet de comparer trois dispositifs largement utilisés dans la culture  graphique occidentale.
  
 Une publication en phase  avec la presse parisienne de son temps
  
 Actif à partir de 1930 sous le pseudonyme d’Erik, André René Jolly  (1912-1974) fut un auteur fécond, bien qu’il n’ait développé ni style  reconnaissable ni personnage mémorable. De tous les dessinateurs de bande dessinée belges et  français des Trente Glorieuses, il est celui qui a « le plus multiplié les relations de  travail » [5], par la diversité des magazines auxquels il a contribué (alors qu’il n’a publié que  peu d’albums [6]). De ses quinze premières années de carrière, on connaît sa  participation active [7] à plusieurs publications  collaborationnistes sous l’Occupation allemande (Les Grandes Aventures, Le  Mérinos et Le Téméraire), mais moins  ses débuts, notamment dans Benjamin et Cœurs vaillants. L’une de ses premières  œuvres, Oscar-Bill, a quand même  attiré l’attention de spécialistes de la culture médiatique.
 Pour le chercheur littéraire Matthieu Letourneux, elle constitue « une tentative  maladroite pour combiner les principales formes à la mode dans la culture de  jeunesse de l’époque », qui présente l’intérêt d’avoir jeté un pont, par  son hybridité intermédiale, entre la littérature pour la jeunesse et la culture  médiatique [8]. A sa suite, l’historien Sylvain Lesage considère le périodique comme exemplaire  du « creuset graphique du début des années 1930 », non seulement car  il use de plusieurs dispositifs iconotextuels, mais aussi car « Oscar-Bill est à la fois un illustré et  une série » [9]. En effet, la focalisation de tous les épisodes sur le même héros  produit un effet sériel, particulièrement manifeste sur les couvertures des  trois albums brochés qui recueillirent les exemplaires invendus [10]. Les vingt-six fascicules parus du 26 mars au 17 septembre 1931 constituèrent  une collection hebdomadaire d’autant de récits complets, même si la plupart des  enquêtes s’adossaient à une précédente et n’étaient jamais entièrement résolues  (ces renvois visant à faire acheter d’autres numéros). Ainsi, l’hybridité d’Oscar-Bill n’était pas seulement  médiatique, mais également générique. L’érudit Raymond Perrin le confirme dans  son Histoire du polar jeunesse. Il y  passe en revue des personnages d’enquêteurs occasionnels (Tintin, Bibi Fricotin),  avant de présenter Oscar Bill comme le premier détective professionnel de la  bande dessinée francophone [11], même s’il s’interroge, d’une part, sur le nombre de ses « lecteurs  chanceux », et d’autre part, sur l’identité générique de ces récits  policiers caractérisés par « la fantaisie débridée, le trait humoristique  et caricatural » [12].
 On  aurait tort, cependant, d’en surestimer l’exceptionnalité. En son temps, le magazine ne menait pas une expérience iconotextuelle inédite et, en dépit de l’impression  d’amateurisme qu’il peut produire aujourd’hui, il n’était pas non plus  déconnecté du monde professionnel de la presse parisienne au début des années  1930. 
   
    
    
 
   [*] Nous remercions Sylvain Lesage qui nous a fait  découvrir Oscar-Bill, ainsi que Julien  Baudry qui, avec la même générosité, nous a partagé ses découvertes sur la  standardisation de la bulle en France. Les images illustrant cet article ont  été scannées dans des collections privées. Nous ne sommes pas parvenu à  identifier d’ayant droit, dans la mesure où aucune des œuvres n’était plus  éditée en 2021. Si l’un d’entre eux souhaite un retrait d’illustration(s) de  l’article, il peut se manifester auprès de la rédaction de Textimage.
   
[1] Pour un exemple récent, voir : Henri Garric, « Bulle », dans Thierry Groensteen (dir.), Le Bouquin de  la bande dessinée. Dictionnaire esthétique et thématique, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 2020, p. 109.
   [2] Julien Baudry, « La généralisation de la bulle de bande dessinée en  France entre 1904 et 1940. Etude systématique d’une évolution de la  culture visuelle », Sociétés & Représentations,  n° 53, 2022, pp. 81-102.
[3] Thierry Smolderen, Naissances de la bande  dessinée de William Hogarth à Winsor McCay, Bruxelles, Les Impression  nouvelles, 2009, pp. 119-127.
[4] Benoît Glaude, La Bande dialoguée. Une  histoire des dialogues de bande dessinée (1830-1960), Tours, Presses  universitaires François-Rabelais, « Iconotextes », 2019, chapitre 5.
[5] Jessica Kohn, « Travailler dans les Petits Mickeys » : les  dessinateurs-illustrateurs en France et en Belgique de 1945 à 1968, thèse  en histoire, Paris, Université Sorbonne Paris Cité, 2018, pp. 338 et 346.
[6] Pour un inventaire, voir Jacques  Delafosse et Jean-Paul Tibéri, Erik,  Soissons, Le Taupinambour, « Découvertes », 2014, p. 77. Depuis  le décès de l’auteur, la microédition bédéphilique (Le Coffre à BD, Regards, Le Taupinambour,  etc.) en a publié quelques albums, mais Oscar-Bill ne fait pas partie des bandes rééditées.
[7] Pascal Ory, Le Petit Nazi illustré. Vie et survie du  Téméraire (1943-1944), 2e éd., Paris, Nautilus,  2002, pp. 27-28
[8] Matthieu Letourneux, « Littérature de  jeunesse et culture médiatique », dans Nathalie Prince (dir.), La Littérature de jeunesse en question(s), Rennes, Presses universitaires de  Rennes, « Interférences », 2009, p. 207.
[9] Sylvain Lesage, L’Effet livre. Métamorphoses de la bande dessinée, Tours, Presses  universitaires François-Rabelais, « Iconotextes », 2019, pp.  58-59.
[10] Sur les couvertures illustrées des recueils,  montrant le héros en pied, la bannière Oscar-Bill.  Roi des détectives sérialise les titres successifs : Premiers exploits extraordinaires et drolatiques, Nouvelles aventures et De plus en plus fort. Le terme  « album » apparaît dans une publicité pour les trois volumes, au dos  du deuxième recueil.
[11] Dominique Kalifa mentionne également le héros de  la « série de fascicules parodiques », parmi une liste plus longue de  prédécesseurs. Voir son ouvrage Naissance  de la police privée. Détectives et agences de recherches en France, 1832-1942,  Paris, Plon, « Civilisations et mentalités », 2000, p. 262.
[12] Raymond Perrin, Histoire du polar jeunesse. Romans et bandes dessinées, Paris,  L’Harmattan, 2011, pp. 24-25.