Lire un catéchisme en images :
former les visions de la foi

- Isabelle Saint-Martin
_______________________________

pages 1 2 3 4 5 6

résumé

partager cet article   Facebook Twitter Linkedin email

Fig. 1. « Le Baptème », 1861

Qu’est-ce que « lire » un catéchisme en images ? La question concerne au XIXe siècle un genre éditorial [1] diffusé à des centaines de milliers d’exemplaires en France et dans les missions étrangères. Publications singulières, ces séries de planches se distinguent tant du manuel diocésain orné de quelques illustrations que de l’abondante production des images de piété dont l’iconographie et les usages sont bien distincts. Héritiers des tableaux de mission, utilisés notamment par les jésuites, et des premiers catéchismes illustrés apparus au XVIe siècles, les albums ou suite de panneaux qui composent les grands catéchismes en images se développent au XIXe siècle à la faveur de la vulgarisation de nouvelles techniques de reproduction et en lien avec un intérêt accru dans la pédagogie profane pour l’« enseignement par les yeux » [2]. Déclinées du livret jusqu’au tableau de grand format, en passant par les plaques de lanterne magique, ces planches ne forment pas l’illustration d’un texte narratif dont elles viendraient scander les temps forts du récit, mais la mise en images de « l’abrégé de la doctrine chrétienne [3] ». Elles sélectionnent à leur manière, interprètent, offrent leur vision de la leçon et tissent des liens particuliers, au-delà des questions du manuel, avec le texte biblique. Préciser la nature de l’opération de lecture qu’elles suscitent, suppose de situer le statut de ces éditions qui entrecroisent textes et tableaux ainsi que les usages et le mode d’apprentissage qui y sont liés.

 

Une glose visuelle

 

Nés dans la mouvance des Réformes, les manuels se répandent au cours du XVIIe siècle, et le XVIIIe voit l’apogée du catéchisme diocésain, prescrit par l’évêque pour être seul enseigné dans son diocèse. Lié aux progrès de l’instruction du peuple et du clergé ordinaire, intégré au cadre scolaire et à l’apprentissage de la récitation, le catéchisme s’inscrit dans la culture de l’écrit et sa diffusion est en relation étroite avec les avancées de l’alphabétisation [4]. Son histoire [5] a naturellement partie liée avec celle de la lecture, toutefois, le texte s’y décompose habituellement en séquences de questions et réponses à retenir par cœur, selon le rythme des leçons de l’année. Loin d’une lecture romanesque, il apparaît davantage comme livre « à apprendre » que comme livre « à lire ». Si les premiers catéchismes imprimés, tels ceux de Luther, du Concile de Trente ou de Canisius, reçurent très tôt des versions spécifiques accompagnées d’une abondante illustration, la plupart des manuels ordinaires diffusés à très faible coût ne comporte tout au plus que quelques vignettes. Alors que le Concile de Trente (1563), tout en jetant les bases d’une instruction chrétienne plus rigoureuse, réaffirmait également la licéité des images dans les églises, l’introduction d’illustration dans les manuels de catéchisme au sens strict est restée mesurée si l’on excepte certaines éditions publiées notamment par les jésuites [6] ainsi que les ouvrages destinés aux éducations princières qui s’ornaient de nombreuses gravures, lesquelles pouvaient ensuite être diffusées à la feuille pour accompagner un enseignement fondé sur des éditions plus communes. La vulgarisation de nouvelles techniques de reproduction (bois debout, lithographie puis chromolithographie…) au cours du XIXe siècle va développer les possibilités de l’édition religieuse alors que le catéchisme se trouve une situation fort contrastée. Très affaibli dès la fin du XVIIIe siècle par la tourmente révolutionnaire, il connaît un renouveau dans les années 1850, lorsque, sous la houlette d’un instituteur véritable « clerc-laïc », il accompagne l’apprentissage de la lecture pour des enfants, plus nombreux sur les bancs de l’école qu’aux siècles précédents. Mais dans les dernières décennies du XIXe siècle, il est exclu du cadre scolaire, et doit trouver au sein des paroisses et de la cellule familiale un souffle nouveau.

Le développement des catéchismes en images répond à la fois à l’évolution des techniques et à la place nouvelle de la catéchèse. Les premiers ouvrages catéchétiques abondamment illustrés apparaissent timidement avec la vogue de l’illustration romantique, mais c’est surtout dans les années 1860 que le genre prend son essor avec quelques séries de grandes planches lithographiées de 40 à 70 cm de haut, puis à partir des années 1880 avec la chromolithographie. Les lois de laïcisation scolaire (1882-1886) stimulent alors les activités d’éditeurs militants tels les assomptionnistes qui dirigent la Maison de la Bonne Presse. Ainsi le père Vincent de Paul Bailly affirme : « La doctrine (…) faisait peur au fond de la poche des enfants et dans un pupitre d’école. Nous allions [l’] afficher sur les murs en couleurs splendides » [7]. Son Grand catéchisme en images, composé de 68 panneaux, commencé en 1884 et achevé en 1893, fut un véritable best-seller, diffusé jusque dans les années 1950, non seulement en France mais aussi dans les missions étrangères (Asie, Afrique, Canada…) avec des traductions en nombreuses langues (coréen, malgache, hindi, urdu…). A la différence des catéchismes « illustrés » – qui, dans le petit format des manuels diocésains, ne vont se répandre que dans les années 1890, avec les reproductions mécanisées, à l’instar des manuels scolaires –, les catéchismes « en images » se caractérisent par une prééminence du visuel, qui n’est pas seulement plus abondant mais forme la matière de la leçon. La lecture d’une des quarante feuilles (65 x 45 cm) des Grandes images catholiques du père Lacoste (1861) en donne un exemple.

La planche consacrée au sacrement du baptême (fig. 1) dispose, dans le cadre architectural d’un porche d’église, sept vignettes autour d’une scène centrale placée devant un jubé qui évoque celui de Saint-Etienne-du-Mont (Paris, 5e arrdt). L’effet de perspective invite à pénétrer dans le tableau pour assister à un baptême contemporain (comme le montrent les crinolines des dames), tandis qu’avec un jeu de mise en abîme, une peinture, accrochée au-dessus du baptistère, présente le "Renouvellement des vœux". De part et d’autre, divers sujets bibliques forment une glose d’images dont le sens est renforcé par une mise en page qui casse tout effet chronologique ou narratif. Dans l’axe de la scène centrale, un médaillon associe les trois personnes de la Trinité à la prescription de l’interdit originel et y joint l’annonce d’un Messie (nouvel Adam) figuré par l’apparition d’une Vierge à l’enfant inscrite dans une nuée. La partie gauche de l’image montre, sous la vignette présentant la faute d’Adam et Eve prenant le fruit défendu, la descente des humains vers la mort, marquée par une oblique de chute très frappante. La colonne se termine par la Crucifixion, manifestant ainsi explicitement la lecture sacrificielle. En écho, dans la partie droite, le Christ appelle les apôtres à baptiser toutes les nations [8] au-dessus d’un baptême de Jésus par Jean-Baptiste.

La partie inférieure du panneau, lue de gauche à droite, conduit alors de la Passion au Baptême du Christ. En inversant le sens de la narration, elle met au centre l’actualité de l’entrée dans la vie chrétienne, et invite tout fidèle baptisé dans la mort et la résurrection du Christ (Romains 6, 3-5) à faire à sa suite partie du peuple de Dieu. Les petits pavés de textes, inscrits en légende sous les diverses scènes, citent les versets bibliques ou rappellent le sens du sacrement mais ne commentent pas directement l’organisation des vignettes. Plus qu’une simple illustration du texte, le tableau, non seulement par le choix des sujets mais encore par le dispositif visuel dans lequel ils s’insèrent, propose un commentaire de la leçon. La lecture spatiale de la planche est alors la seule qui donne sens et met en lumière la valeur symbolique adaptée à la place de chaque sujet. Elle dépasse l’addition des motifs narratifs pour proposer une interprétation d’ensemble du thème baptismal.

 

>suite
sommaire

[1] Cette brève synthèse reprend des aspects développés dans Voir, savoir, croire. Catéchismes et pédagogie par l’image au XIXe siècle, Paris, Honoré Champion, 2003.
[2] Pour reprendre la terminologie du temps, voir M. Pape-Carpantier, Enseignement par les yeux, nouvelles images à l’usage des salles d’asile et des écoles élémentaires, Paris, Hachette, 1868.
[3] Sous-titre généralement indiqué sur les catéchismes.
[4] Voir G. Caravallo et R. Chartier, Histoire de la lecture dans le monde occidental, Paris, Seuil, 1997.
[5] Voir notamment E. Germain, Langages de la foi à travers l’histoire. Approche d’une étude des mentalités, Paris, Fayard-Mame, 1972 ; J. Molinario, Le Catéchisme, une invention moderne. De Luther à Benoit XVI, Paris, Bayard, 2013.
[6] Voir R. Dekoninck, Ad Imaginem. Statuts, fonctions et usages de l’image dans la littérature spirituelle jésuite du XVIe siècle, Genève, Droz, 2005.
[7] Le Pèlerin, 1887, n° 558, p. 527.
[8] Mt 28, 19, « Allez donc de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit et leur apprenant à respecter ce que je vous ai prescrit ».