Les dispositifs visuels dans la poésie
de Christophe Lamiot Enos

- Armelle Leclercq
_______________________________

pages 1 2 3 4 5 6 7 8

Les poèmes verticaux

 

      La dimension verticale de la colonne est aussi exploitée, mais plus rarement. Elle est permise par l’usage répété de vers monosyllabiques. C’est le cas de « Photographies d’Hawaï » [44], dans Albany, qui retranscrit par cette forme la notion d’île, ou la vision de l’île depuis un avion :

 

une entaille
celle
quel
gel
pêle-
mêle
parmi le creux de la vague au vent
qu’elle lisse
par cette trouée dans les nuages peu passifs (v. 10-18)

 

      Rare dans les premiers recueils, cette structure est plus fréquente dans 1985-1981. Elle mérite donc de figurer dans l’ensemble des possibilités visuelles lamiotiques.

 

Les poèmes aérés

 

      A cette verticalité s’opposent des poèmes où c’est l’horizontalité qui prime, ceci grâce à des blancs ou à des vers courts qui permettent une certaine aération du texte [45]. Ces poèmes ont plus d’espace que les autres entre certains de leurs vers. C’est le cas de trois textes de Des Pommes et des oranges, Californie I-Berkeley, qui tous sont construits sur des quintils, composés d’un vers, d’un tercet et d’un dernier vers (le premier et le dernier vers se détachent des vers centraux de la strophe, qui néanmoins est encore différenciée de la strophe suivante par plus d’espace encore – c’est pourquoi nous parlons de quintil).
      « A l’ouest vers le sud de l’état d’Oregon » [46] évoque un trajet d’une journée en voiture qui se poursuit au crépuscule, en bord de mer, avec accompagnement d’oiseaux. Ce désir de longer la mer par la route est à l’origine de l’idée de disposer ainsi les vers, dans ce poème-ci du moins. Voici la dernière strophe :

 

Au volant nous naviguons

entre le jour et la nuit :
c’est le soir.
Au bord de la paupière un cormoran a son affaire appelée

Littoral. (v. 21-25)

 

      C’est la sensualité qu’exprime cette composition dans « Portrait de Tina à Derby » [47], où il est question de corps nu et de draps froissés dans lesquels se glisse le locuteur dans la pénombre, et dans « Portrait d’Hava à son domicile » [48], où la sexualité est encore davantage exprimée. Dans ce dernier texte, la présence du miroir, de la verticalité guide cette structure avec un quatrième vers de quintils ayant une grande longueur (17 syllabes), comme le montre la seconde strophe :

 

    Au miroir

    je m’arrête :
    nos
    corps en perspective s’y prêtent à un rapprochement
d’obliques

    départs. Savons-nous ? (v. 236-237)

 

      Liée à la présence d’une ligne, d’une surface (celle de la mer, du miroir), cette structure semble surtout descriptive.
      On peut voir une variante à cette aération du vers libre dans les poèmes en prose où un mot détaché seul crée un effet d’espace et aère les paragraphes, comme c’est le cas dans « Du jardin de roses jusqu’à Vine Street » [49] d’Albany :

 

         Du jardin des roses jusqu’à Vine Street, descendant,
coule dans la bouche le jus
         sur
         que les mûres laissent, poussant contre le grillage en
buisson du terrain tout près
         l’air
        de rien dans sa corbeille comme un autre étage du
jardin. Aller vers le bas (l. 1-8)

 

      On est à la limite entre vers libre, verset et prose, la présence du mot isolé permettant d’espacer le propos et de rendre les sinuosités du jardin, de complexifier la forme.

 

>suite
retour<
sommaire

[44] Albany, op. cit., p. 101.
[45] Pour ce type de poème, on peut penser à une influence de la poésie de Pierre Reverdy ou bien à celle d’André du Bouchet, dont il est d’ailleurs question dans Sitôt Elke (dans le poème « (Mai 1999, je déménage) », op. cit., p. 49).
[46] Des Pommes et des oranges, Californie, I-Berkeley, op. cit., pp. 33-34.
[47] Ibid., pp. 225-226.
[48] Ibid., pp. 236-237.
[49] Albany, op. cit., p. 192.