Entretien avec Christine Montalbetti
- Marie-Pascale Huglo
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Considérez-vous que votre rapport au cinéma est d’ordre parodique ?
C’est plutôt un rapport de complicité, et d’admiration ; mais le geste de la parodie en soi me paraît un geste important, parce qu’il introduit de l’humour. Il y a d’ailleurs souvent de l’admiration dans la parodie (il n’y a pas que des parodies grinçantes, et celles-là en général sont mauvaises, méchantes et étriquées, elles passent à côté de ce qu’elles croient parodier). La parodie admirative, la parodie heureuse, cette parodie-là, je la défends. Elle est joyeuse, salutaire, et bonne joueuse avec la mélancolie, qui est son partenaire. Cette tension-là entre l’humour et la mélancolie est au cœur de mes romans.
En ce qui concerne l’histoire, diriez-vous que votre entreprise romanesque vise à ruiner la vraisemblance de la représentation narrative ? S’agit-il, réciproquement, de démultiplier la puissance de la fiction (dans la mesure où la fiction de Western est issue de fictions préalables et ne cache pas ses artifices) ?
Oh, non, surtout pas de ruiner la vraisemblance de la représentation, qui est la condition de l’identification pour le lecteur. Même si je parle d’un cow-boy, ce sont de nos expériences communes que je veux parler, et il est pour moi essentiel que le lecteur s’identifie au personnage, qui par ailleurs est assez peu défini, et évolue plutôt comme un foyer de sensations – ce qui facilite l’identification. Mais c’est sans doute un amour de la fiction, oui.
On a comparé votre entreprise à celle du Nouveau Roman. Qu’en pensez-vous ?
Je comprends qu’on ait pu le faire, au sens où les textes du Nouveau Roman ont beaucoup compté pour moi, et où j’ai sans doute hérité de leur goût pour la description, de ce plaisir de la « pulsion scopique ». Mais j’ai vraiment le sentiment de venir après le Nouveau Roman. Après la grande destruction joyeuse des codes à laquelle ces auteurs se sont attelés. Après cette installation du « soupçon », dont parle Sarraute. Mon travail consiste plutôt à ré-enchanter. C’est-à-dire à la fois à tenir compte de toute la nouveauté que les nouveaux romanciers ont introduite (eux qui sont plutôt pour moi, en termes de générations, des grands-parents) et en même temps à reconstruire un peu de croyance, une adhésion aux mondes de fiction que j’élabore.
Dans Western toujours, la réception à la fois ludique et réflexive à laquelle le lecteur est invité à travers les adresses que lui lance le narrateur et la conscience qu’il a des codes cinématographiques est-elle un moyen, pour vous, de relancer la tradition du roman distancié et ludique (Denis Diderot, Laurence Sterne) ?
Au contraire, c’est le moyen pour moi d’essayer de créer cette adhésion dont je parlais à l’instant. J’utilise les mêmes procédés que Sterne ou que Diderot, mais avec la fonction inverse. Chez eux, il s’agissait, en s’adressant constamment au lecteur, de dénoncer les fictions classiques, de développer une critique du romanesque. Dans mes romans, les adresses au lecteur visent au contraire à chercher une proximité, à les inviter à rechercher en eux-mêmes des expériences qui ressemblent à celle du personnage, des sentiments qu’ils ont pu éprouver et qui sont proches des siens. Je dis souvent que je comprends le roman comme une sorte de petite communauté utopique où le lecteur et moi nous penchons sur le personnage, et faisons ainsi circuler nos expériences. Les adresses au lecteur sont donc très sincères, et très sérieuses (même s’il peut y entrer de l’humour). A partir du moment où l’on a publié un premier texte, on sait que ce qu’on est en train d’écrire, pour peu qu’on parvienne à le terminer, a de grandes chances d’être publié, et donc lu. Ce savoir m’accompagne pendant l’écriture d’un roman. J’écris pour le lecteur, je m’adresse naturellement à lui, puisque tout cela lui est destiné. Il ne peut y avoir de littérature qu’adressée.
La façon dont votre œuvre romanesque implique le cinéma est-elle pour vous une manière de prendre à contre-courant l’idée répandue que le cinéma empiète sur l’invention romanesque et amoindrit les moyens de la littérature ?
Sans doute. Je n’ai jamais compris ce type d’opposition. Il y a de la place pour tous les arts. Et les relations des arts entre eux ne sont pas des relations de compétition, mais des relations d’enrichissement réciproque.