Les dispositifs d’encadrement de
la lecture dans les Métamorphoses
éditées par Antoine de Sommaville (1660)

- Céline Bohnert
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Fig. 13. Anonyme, Metamorphoseon..., [1626-1631]

Fig. 15. B. Salomon, « Mercure espris
de la belle Hersé », 1557

Fig. 16. Anonyme, « Pluton ravit
Proserpine », 1660

Fig. 17. P. van der Borcht, « Venus, Cupido, Pluto », [1591]

Fig. 18. M. Faulte, « Métamorphose
de Cadmus et Hermione », 1619

Fig. 19. P. van der Borcht, « Cadmus et Hermione
in dracones
 », [1591]

La formule eut suffisamment de succès pour susciter une seconde copie de la série éditée chez Baltazar Montcornet, celle que Sommaville réemploie en 1660 (fig. 13). L’album, peut-être gravé par Montcornet lui-même, accentuait la lecture morale des images produite par leur rapprochement avec la traduction de Renouard : des variations iconographiques dont nous allons donner une idée, et le choix d’adjoindre aux figures des quatrains qui en offraient une lecture christianisante allaient clairement dans ce sens, lié aussi à la simple reproduction des images de Tempestà [32].

La représentation de la métamorphose retient d’abord l’attention. Domine ici un effet général d’arrêt sur image, plus didactique, plus généralisable et moins anecdotique que le processus présenté comme une expérience subjective par Ovide. La métamorphose, lorsqu’elle est représentée, apparaît comme la conséquence de l’action des personnages les uns sur les autres. Chaque gravure dramatise un rapport de force et tend à en expliciter les motivations. Aussi les postures sont-elles fortement signifiantes. Au Livre II, par exemple, Mercure désigne Hersé, qu’il aime, tandis qu’une jeune fille (Auglaure, la sœur d’Hersé, dont le cœur sera empoisonné par l’Envie) pointe également, comme en retour, le doigt vers lui. Une troisième montre du doigt le temple de Pallas. Est-ce pour signifier le rôle de la déesse dans la fable ? Pour appeler ses compagnes à se rendre au temple malgré la présence de Mercure ? Dans les deux cas, l’image s’éloignerait du texte. Ce que désignent les personnages est ici assez mystérieux et se surajoute au récit pour accentuer les relations entre les personnages et l’inscription de ces derniers dans le décor, le contexte de l’action (fig. 14 ). La gravure de Bernard Salomon, plus proche du texte dont le graveur sur bois ne figurait que le premier moment, représentait le saisissement du dieu face à la beauté d’Hersé, distinguée de ses compagnes par son nom gravé dans l’image (fig. 15). De même, de façon originale, la série Montcornet figure l’enlèvement de Proserpine par Pluton en remontant au moment où Vénus désigne le dieu des enfers au carquois de son fils. Le modèle, réinterprété, est une gravure de Pieter van der Borcht (figs. 16 et 17).

Les personnages en position de pouvoir sont montrés dans l’exercice de leur autorité. La figuration des corps obéit à une rhétorique clairement marquée : décision, désignation, imprécation, et, finalement, l’acte divin de changer la forme d’un mortel sont magnifiés par la verticalité du corps, l’éloquence des bras, la position surplombante. L’image organise ainsi un fort contraste avec les personnages punis, vaincus, dont les corps sont déposés sous le regard de leurs vainqueurs. Pour la métamorphose de Cadmus et Hermione en serpents, les différences entre l’interprétation de Tempestà par Michel Faulte (fig. 18) et par DF est significative (fig. 3 ). Le premier orne l’édition de 1619 en représentant en arrière-fond la surprise de deux personnages assistant au changement de forme des époux. DF, lui, place dans le ciel une assemblée de dieux – ceux-là même que Cadmus prie de le punir en le métamorphosant – qui semblent désigner la ville figurée en arrière-plan : on peut penser qu’ils donnent raison à Cadmus, qui s’estime la source des malheurs de Thèbes parce qu’il a tué le dragon de Mars. Le modèle de ces deux gravures n’est pas la série de Tempestà, qui n’illustre pas la scène, mais celle de Pieter van der Borcht, dont Faulte a repris l’arrière-plan (fig. 19). Bernard Salomon, quant à lui, plaçait le couple dans un paysage de ruine, sans personnages supplémentaires (fig. 20 ).

L’être métamorphosé, quant à lui (mais la transformation n’est au fond qu’un cas particulier de punition, plus rarement de récompense), est essentiellement un être hybride. Les formes humaines sont conservées sans changement et la métamorphose consiste soit dans l’adjonction d’une partie animale (ailes, cornes), soit dans le « collage » d’une partie animale et d’un corps d’homme ou de femme (corps de cheval pour Ocyrhoé, tête de hibou pour Ascalaphe, etc.). Le destin semble moins transformer les êtres que rendre visible la part sombre, non humaine, du personnage ainsi puni : la métamorphose est dotée d’un pouvoir de révélation. Comme la morale de l’apologue dévoile l’appétit humain sous la fiction animale, c’est ici l’animalité coupable de l’humain qui est donnée à voir.

En deuxième lieu, le choix de l’échelle et les effets de composition produisent un espace visuel saturé par les corps. On observe ici une exploitation plastique du lien entre la représentation et la forme qui la contient : les gravures ne proposent jamais de portrait, pas plus qu’elles ne donnent à voir une miniaturisation qui replacerait ces scènes dans un espace plus large – la cité, le cosmos. Cette dernière formule n’est nullement empêchée par la taille réduite des gravures : les vignettes des Métamorphoses en rondeaux joueront précisément du phénomène de miniaturisation, dans des gravures plus petites encore [33]. On observe ainsi une très forte humanisation des images, sans autre horizon que ces corps éloquents, agents ou sujets d’une action, à une échelle qui appelle peut-être une forme de projection : le lecteur est invité à prendre sa place devant et parfois dans l’image, à choisir son rôle ou à comprendre toute la charge négative de tel ou tel comportement [34]. L’exemplarité s’appuie sur la promotion de l’individu agissant.

Enfin, on pourrait évoquer une tendance à annuler l’espace. Certes, il arrive qu’un espace caractérisé se déploie derrière les personnages (bien plus qu’autour d’eux). Mais très souvent, les interactions entre les personnages se détachent sur un espace que l’on qualifierait de générique, à peine esquissé. Répondant à l’impératif d’une perspective, il évite simplement le flottement des figures, qui les déréaliserait : cet espace discret participe à l’effet de conviction que ces imagescherchent à produire. La technique du burin fixe ici ce que les eaux-fortes de Tempestà esquissaient à peine, se rapprochant du dessin. Alors que l’équipe des graveurs recrutés par la veuve L’Angelier en 1619 avait tendance à accomplir dans des paysages nettement dessinés les potentialités graphiques de leur modèle, celles de Montcornet simplifient et schématisent. La simplicité peut être aussi narrative. Dans le cas d’Hermaphrodite, le cadre est resserré sur le couple au premier plan, comme chez Tempestà. En 1619, Jean Matthieu avait élargi l’espace de manière à insérer en arrière-plan la représentation de l’hermaphrodite, dont la lecture christianisante, qui met l’accent sur la lascivité des deux sexes, se passe fort bien [35].

 

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[32] Le titre du volume est significatif cf. note 17.
[33] V. Meyer, « Les illustrations de Chauveau, Lepautre et Leclerc pour Les Métamorphoses d’Ovide (1676) de Benserade », Irish Journal of French Studies, « Print Culture in Early Modern France », n° 16, 2016, pp. 133-164.
[34] Les scènes collectives, du reste, ne sont pas des scènes de foule : lorsqu’interviennent plusieurs personnages, chacun a une position bien caractérisée et un rôle défini dans la situation figurée.
[35] Le quatrain de la série Montcornet est celui-ci (1660, p. 156) : « La molle Oysivete regentant en nos ames / Nous fait si doucement avaler son poison / Que troublant les esprits le sens et la raison / L’Homme en devient tout sot Impudentes les femmes ». L’Hermaphrodite n’est pas ici un être hors nature ; l’idée renvoie à la gémellité des hommes et des femmes dans la faute. L’invention de Michel Faulte trouve son modèle dans la série de Pieter van der Borcht (p. 107).