Tout au long de sa  carrière d’écrivain, de la fin des années 1870 à sa mort en 1894, Robert Louis Stevenson  accorda une importance  particulière à l’illustration, à la fois comme instrument de valorisation  commerciale et comme accomplissement d’un idéal esthétique. Son intérêt pour les textes imagés remonte  même à ses premiers écrits non publiés, alors qu’enfant  ou adolescent il accompagnait ses récits de ses propres dessins (comme son  carnet de voyage de 1863, réalisé à treize ans lors d’un séjour en famille sur la Côte d’Azur). Si les Moral Emblems (1882) sont sa seule  tentative aboutie – c’est-à-dire publiée – d’illustration auctoriale, il collabora au fil des ans avec divers artistes, souvent renommés, comme Walter Crane pour  les frontispices de Voyage en canoë sur les rivières du Nord (1878) et Voyage avec un âne dans les Cévennes (1879), William Hole pour les illustrations de Enlevé ! (1886) et de Catriona (1893), William Hatherell pour  « Le diable dans la bouteille » (1891) ou Gordon Browne pour « La plage  de Falesá » (1892).
 Le Maître de Ballantrae paraît  d’abord en feuilleton dans le magazine  américain Scribner’sde novembre 1888 à octobre 1889, avec des  illustrations de William Hole. Le roman met  en scène le conflit entre deux frères, James et Henry Durie, depuis l’Ecosse de  1745 et la rébellion jacobite jusqu’aux montagnes sauvages de l’Amérique du  Nord, où les deux hommes trouveront la mort quelque vingt ans plus tard.  Ephraïm Mackellar, intendant de la famille, est le narrateur principal, à la  fois horrifié et fasciné par la figure diabolique de James, le frère aîné,  auquel revient le titre de Maître de Ballantrae. Il  s’agit bien d’étudier la genèse d’un texte imagé,  puisque Stevenson s’impliqua,  avant même la sortie des premiers numéros,  dans le choix d’un illustrateur potentiel, comme le montre cette lettre du 6  janvier 1888 à Edward Burlingame, l’agent de la maison d’édition Scribner’s : 
  
 If you  think of having the Master illustrated, I suggest that Hole would be very well  up to the Scottish, which is the larger, part.  If you have it done here, tell your artist to look at the hall of Craigievar in  Billing’s Baronial and Ecclesiastical Antiquities, and he will get a broad hint  for the hall at Durrisdeer: it is, I think, the chimney of Craigievar and the  roof of Pinkie, and perhaps a little more of Pinkie altogether; but I should  have to see the book myself to be sure. Hole would be invaluable for this. I  dare say if you had it illustrated, you could let me have one or two for the  English edition [1] 
  
 A cette date, Stevenson  vient de commencer l’écriture de son roman, pendant l’hiver 1887-1888 à Saranac  Lake, dans l’Etat de New York, d’où la lettre est expédiée. On voit que dès l’origine, le projet est celui  d’un texte illustré, et que l’auteur entend bien exercer un droit de regard sur  le choix de l’artiste et sur le travail de celui-ci.  La première partie de cet article fera retour sur les circonstances de leur  collaboration, et les raisons pour lesquelles Stevenson y accorda une si grande  valeur. Partant de ces observations, on examinera l’hypothèse que  le riche péritexte auctorial du roman fait système avec les illustrations de  Hole, notamment par le recours à diverses formes langagières relevant du tiers  pictural, pour reprendre le concept de Liliane Louvel qui servira de cadre  théorique à l’analyse [2].
 Hole avait précédemment illustré Enlevé ! et  Stevenson avait manifestement apprécié son travail. La collaboration autour du Maître ne s’organise cependant pas sans complications. La communication avec Hole,  finalement accepté par Scribner’s, est ralentie par la distance, l’artiste  étant basé à Edimbourg. Burlingame sert d’abord d’intermédiaire entre l’artiste  et l’écrivain, puis, pour gagner du temps, Stevenson correspond directement avec  Hole. Il lui donne ses instructions sur les scènes à illustrer et lui envoie  par courrier postal transatlantique un résumé des chapitres à venir, afin que  Hole ait le temps de produire ses illustrations et de les envoyer à son tour.  Plusieurs fois, Stevenson néglige d’envoyer à temps ses instructions, ou bien  se laisse dépasser par les délais, puisque lui-même écrit son roman avec un  décalage de quelques mois, voire quelques semaines seulement avant la sortie  des épisodes dans Scribner’s Magazine. Les derniers chapitres ne sont  pas encore écrits lorsque les premiers paraissent en novembre 1888, ils le  seront à Honolulu courant 1889. Finalement, sur les douze numéros, les VII et  XI n’auront pas d’illustration. Dix gravures hors-texte, réalisées par  l’artiste d’après ses propres dessins, forment donc l’ensemble des  illustrations de Hole.
 Après avoir imposé aux éditeurs son choix de l’artiste, Stevenson se fait envoyer les épreuves  des gravures. Son jugement  est enthousiaste :  « It will be a really well  illustrated novel, and that’s something new in this world [...] it will be one of the most adequately  illustrated books of our generation » [3]. Le style allusif propre à la correspondance  soulève au moins deux questions : qu’est-ce qui suscite un tel enthousiasme pour  les illustrations de Hole ? Pourquoi Stevenson parle-t-il de quelque chose d’inédit en ce monde ? La réponse à la première question est à  chercher du côté des conceptions d’alors  de Stevenson sur l’illustration romanesque,  que les gravures de Hole réaliseraient à ses yeux. D’une part, la maîtrise technique de Hole – comme dessinateur et comme  graveur – semble impeccable à l’auteur. Ensuite, Hole était principalement  connu comme peintre de scènes industrielles et  historiques. L’aspect documentaire de son style – par exemple l’attention portée aux  vêtements des années 1740 ou aux détails architecturaux – répondait au souci  d’exactitude de Stevenson. La lettre du 6 janvier 1888  à Burlingame montre la pratique, courante pour Stevenson, de  diriger ses illustrateurs en les orientant vers des images publiées dans des  magazines ou dans des livres (ici des gravures de John Godfrey d’après des  dessins de Robert William Billing) ou de  joindre à ses courriers des photographies qu’il avait  lui-même prises.
 Surtout, Hole savait  produire des illustrations répondant aux exigences narratives de l’auteur. Les scènes devaient  susciter la curiosité des lecteurs, représenter des moments dramatiquement  intenses mais sans  rien révéler de leur issue. Le texte devait être le  médium principal, mais une continuité  entre les images et lui devait s’instaurer.  Stevenson avait trouvé en Hole cet artiste accompli capable d’astreindre son  talent au service du texte : « he [Hole] gets the note, he tells the story—my story »   [4]. Les hyperboles de Stevenson épistolier expriment son  enthousiasme. Deux exemples préciseront cette cohérence entre les conceptions  de Stevenson sur l’illustration romanesque et les réalisations graphiques de  Hole. 
  
    
    
 
   [1] Cité par R.  J. Hill, Robert Louis Stevenson and the Pictorial Text: A Case Study in the  Victorian Illustrated Novel, Londres, Routledge, 2017, p. 129 : « Si vous songez à  illustrer le Maître, je pense que  Hole serait très bien pour la partie écossaise, la plus importante. Si vous le  faites à New York, dites à votre artiste de jeter un coup d’œil au hall de Craigievar dans les Antiquités ecclésiastiques et seigneuriales de Billing, cela lui donnera  une idée générale du hall de Durrisdeer. Je crois que c’est la cheminée de Craigievar et le  toit de Pinkie, et peut-être l’aspect d’ensemble de Pinkie, mais il faudrait  que je voie le livre pour être sûr. Le concours de Hole serait inestimable.  S’il y a des illustrations, peut-être pourriez-vous m’en laisser une ou deux  pour l’édition anglaise ? » Sauf indication contraire, les traductions sont les miennes.
[2] L. Louvel, Le Tiers pictural, Rennes, Presses  universitaires de Rennes, 2010.
[3] R. L. Stevenson, The  Letters of Robert Louis Stevenson, New Haven, Yale University Press, 1995,  vol. 6, p. 299. « Ce sera un roman vraiment bien illustré, et c’est quelque chose d’inédit en  ce monde (...) ce sera l’un des livres de notre génération illustrés de la meilleure  manière » (lettre à E. L. Burlingame, 20 mai 1889).
[4] Cité par R. J. Hill, Robert Louis  Stevenson and the Pictorial Text, Op. cit., p. 146. « Il saisit l’idée, il raconte l’histoire, mon histoire ».