De la mise en scène caricaturale du discours
de surnomination politique en Côte d’Ivoire :
une étude de cas
- Dorgelès Houessou
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Fig. 1. Anonyme, Man of
Solution, s. d.
Fig. 2. Anonyme, Magellan
au Congo, s. d.
Fig. 3. Anonyme, Pour faire du bon pain..., s. d.
Fig. 4. Anonyme, Le Retour du Boulanger,
Saison 2, s. d.
Fig. 5. Anonyme, Charles Blé
Goudé en Charlie Chaplin, s. d.
Qu’en est-il alors de l’image ? Est-elle imperméable à toute littérarité ou bien transpire-t-elle de cette codification formelle, idéologique esthétique et culturelle qui fait le littéraire ? Pour Christian Metz :
L’« image » ne constitue pas un empire autonome et refermé, un monde clos sans communication avec ce qui l’entoure. Les images — comme les mots, comme tout le reste — ne sauraient éviter d'être « prises » dans les jeux du sens, dans les mille mouvances qui viennent régler la signification au sein des sociétés. Dès l’instant où la culture s’en empare — et elle est déjà présente dans l’esprit du créateur d’images —, le texte iconique, comme tous les autres textes, est offert à l’impression de la figure et du discours [9].
Certainement pour cette raison, Molinié a lié la stylistique à l’esthétique en précisant que : « la stylistique est donc aussi pensable comme une branche de l’esthétique ou de la critique d’art » [10]. Proust ne dit pas autre chose pour qui : « le style pour l’écrivain, aussi bien que la couleur pour le peintre, est une question non de technique mais de vision. Il est la révélation, qui serait impossible par des moyens directs et conscients, de la différence quantitative qu’il y a dans la façon dont nous apparaît le monde... » [11]. Mais l’image est diversement genrée comme l’est du reste le régime littéraire conventionnel. Il faut donc distinguer les images de type explicatif (croquis scientifiques, esquisses etc.) et celles ontologiques qui persuasives, informatives ou critiques sont susceptibles de littérarité.
Sans doute, le contexte énonciatif donne t-il raison à Eco lorsqu’il considère dans sa « Sémiologie des messages visuels » que le dessin est d’emblée au nombre des « stylèmes », c’est-à-dire selon l’expression de Molinié des marques de littérarité porteurs d’effets stylistiques :
(…) alors que quelqu’un qui parle ne nous paraît pas avoir un don particulier, celui qui sait dessiner nous apparaît au contraire déjà « différent » des autres, parce que nous reconnaissons en lui la capacité d’articuler des éléments d’un code qui n’appartient pas à tout le groupe ; et nous lui reconnaissons une autonomie par rapport aux systèmes de normes, que nous ne reconnaissons à aucun utilisateur du langage, sauf au poète. Celui qui dessine apparaît comme un technicien de l’idiolecte parce que, même s’il use d’un code reconnu par tous, il y introduit plus d’originalité, de variantes facultatives, d’éléments de « style » individuel, qu’un sujet parlant n’en introduit dans sa propre langue [12].
Cette observation quoique vraie pour le dessin n’en est pas moins sujette à caution dans le cadre du photomontage, phénomène très en vogue du fait de la fulgurante vulgarisation des TIC grâce auxquelles tout utilisateur d’ordinateur ou de téléphone androïde est capable de modifier une image à sa guise et de lui faire dire ce que bon lui semble. De ce point de vue, la virtuosité nécessaire au dessinateur comme indice de singularité stylistique proche de celle du poète est inopérante. Toutefois, la technicité étant disponible pour tous, l’originalité syntagmatique déterminera ce « technicien de l’idiolecte » qu’est le photomonteur caricaturiste notamment. Il apparait dans un tel contexte que « les éléments de « style » dont parle Eco portent sur les singularités compositionnelles car « si loin qu’aille le signe iconique dans l’individualisation des caractéristiques de « style », son problème n’est pas fondamentalement différent de celui qui se pose pour les variantes facultatives et les éléments d’intonation individuelle dans le langage verbal » [13]. Le concept du style comme « écart » est donc applicable à l’image. En stylistique visuelle donc :
Il s’agit d’évaluer la portée des énoncés en fonction de la subjectivité de celui qui les produit, de son degré d’investissement dans l’énonciation et de son rapport à la situation et au cadre général de cette activité langagière (y compris relativement à la qualité de réception du discours) : le discours littéraire est au premier chef, et par essence, concerné par cette problématique [14].
En somme une discipline presque à l’origine de la sémantique interprétative ne saurait se distancier de l’analyse des images car de l’aveu de Rastier : « la stylistique a montré de longue date que les relations entre signifiants pouvaient devenir les interprétants d’afférences sémiques locales, et une sémantique interprétative ne peut négliger ce phénomène » [15]. Cela est d’autant plus vrai des discours pluricodes [16] alliant les modalités de l’iconicité et de la textualité au sens linguistique.
Un message iconique non codé : l’image surnominale, de l’incantation à la preuve
Composition générale et technique
Tous les messages scripto-iconiques ici analysés relèvent de photomontages de réalisation relativement simple. Il s’agit d’images (V) composées par altération de premières images souches (V1) auxquelles sont superposées des signes graphiques (L) et des signes iconiques extraits de configurations syntagmatiques de secondes images souches (V2) / (V3). L’iconicité dans le cas d’une représentation photographique de type caricatural est presque toujours une réussite perlocutoire car la ressemblance au référent dénoté – sauf cas de déformation volontaire de l’image – est intentionnelle donc quasi systématique.
Sur les cinq images constituant notre corpus de base, trois d’entre elles (figs. 1, 3 et 5) sont des photomontages à base essentiellement photographique. Les autres images (figs. 2 et 4) sont en revanche des photomontages combinant dessins et photographies. Nous avons volontairement élargi notre corpus à des images sans rapport sémantique apparent certes avec celles de la surnomination politique que nous analysons ici iconiquement, mais qui constituent des images souches primaires ou secondaires (figs. 1a , 1b , 1c , 2a , 3a , 4a et 5a ) ayant servi à la composition des caricatures surnominales qui nous intéressent en premier lieu.
Plans et perspective
Trois images (figs. 1a , 5 et 5a ) relèvent du plan rapproché taille (PRT) qui a la particularité d’isoler le sujet iconique. Deux d’entres elles (figs. 1 et 1b ) sont construites à partir du plan américain (PA) qui consiste à présenter le(s) sujet(s) iconique(s) à mi-cuisses. Cinq autres relèvent d’un plan rapproché poitrine (figs. 1c , 3, 3a , 4 et 4a ). Les deux dernières images (figs. 2 et 2a ) constituent un plan d’ensemble incluant le sujet iconique dans un milieu, un environnement avec lequel il interagit car il s’y trouve en situation non pas comme planté dans un décor mais comme partie prenante d’un ensemble qui est définitoire de son identité iconique. Toutes les images utilisent ici un angle de vue normal car il est plus indiqué pour assurer la figurativité des sujets iconiques sans risque aucun de les déformer sous quelque angle que ce soit.
[9] Ch. Metz, « Au-delà de l’analogie, l’image », Communications, n° 15, 1970, L’Analyse des images, pp. 1-10.
[10] G. Molinié, La Stylistique, Op. cit., p. 4.
[11] M. Proust, Le Temps retrouvé, Paris, Gallimard, 1954, p. 895.
[12] U. Eco, « Sémiologie des messages visuels », Communications, n° 15, 1970, L’Analyse des images, pp. 11-51.
[13] Ibid.
[14] G. Molinié, La Stylistique, Op. cit. p. 3. Nous n’irons pas jusqu’à nier la littérarité comme Molinié qui saisissant l’enjeu d’une redéfinition de l’objet de la stylistique par son ouverture aux domaines d’activités non littéraires disait quelques années plus tard : « La thèse est que justement il n’y a pas d’objet littéraire, qu’il n’y a donc pas de littérarité : mais qu’il y a littérarisation, dans des conditions particulière de réception » (G. Molinié, Sémiostylistique, l’effet de l’art, Paris, PUF, 1998, p. 91).
[15] F. Rastier, Sémantique interprétative, PUF, 1987, p. 65.
[16] « Par discours pluricode, j’entendrai donc toute famille d’énoncés considérée comme sociologiquement homogène par une culture donnée, alors même que l’on peut régulièrement isoler dans ses énoncés plusieurs sous-énoncés relevant chacun de codes réputés distincts par le savoir développé dans ladite culture » (J.-M. Klinkenberg, « La relation texte-image. Essai de grammaire générale », Bulletin de la Classe des Lettres. Académie royale de Belgique, 6e série, t. XIX, 2008, pp. 21-79).