De la mise en scène caricaturale du discours
de surnomination politique en Côte d’Ivoire :
une étude de cas
- Dorgelès Houessou
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Cette contribution consiste en une étude de cas sur la parenté structurelle entre surnoms et caricatures. Nous utilisons le terme de discours surnominal caricaturé pour désigner l’ensemble des productions orales et écrites motivant prédiscursivement les caricatures que nous nous proposons d’analyser. Une telle configuration scripto-iconique du surnom est un indice de sa popularité et de sa réussite perlocutoire qui lui permet de toucher tout type de public et d’être d’autant plus efficace qu’il réunit selon le mot de Barthes « trois messages : un message linguistique, un message iconique codé et un message iconique non codé » [1] tous trois motivés et surdéterminés par la nécessité d’illustrer un surnom politique.
Pour Barthes en effet un message littéral représente l’iconicité basique de l’objet visuel en sa dimension figurative c'est-à-dire sa perfection analogique : c’est le message iconique non codé. Un second message, figuré cette fois, représente l’arrière plan narrativo-discursif de l’iconicité de l’objet visuel en sa dimension compositionnelle : c’est le message iconique codé par transposition symbolique. Le message linguistique quant à lui constitue une indication de lecture qui sert de pont entre les deux analogies dénotative et connotative précitées.
Nous organisons donc notre analyse autour de ces trois niveaux interprétatifs en vue de catégoriser le statut communicationnel du discours surnominal caricaturé et ses déterminations sémantiques sur les plans linguistique, métalinguistique et supralinguistique. Le corpus étudié à cette fin compte cinq images illustrant les surnoms « Magellan », et « Ado solution » attribués à Alassane Ouattara, ceux de « Gbab’son », « Le Boulanger d’Abidjan » et « Le Christ de Mama » caricaturant Laurent Gbagbo et enfin ceux de « Blé la farine » et « Charlie Chaplin » désignant Charles Blé Goudé.
Quelques précisions théoriques
De l’analogie entre surnom et caricature
Formuler une hypothèse sur une analogie entre caricatures et surnoms revient nécessairement à établir un double rapport fonctionnel entre ces deux régimes énonciatifs. D’une part, il s’agit de déterminer le processus de leur constitution et de l’autre d’envisager leur effet perlocutoire en termes de finalité voire de performativité.
Premièrement donc, le choix d’un surnom est motivé caricaturalement par la focalisation sur un trait de caractère ou une particularité physique du surnommé, son origine sociale, son appartenance géographique et culturelle ou encore sur une petite histoire personnelle, anecdotique si ce n’est un évènement d’envergure auquel le surnommé a participé [2]. La caricature ne se réalise pas autrement. Si elle fait office de chronique de l’actualité dans plusieurs quotidiens, c’est bien pour la raison qu’elle intègre tous les critères constitutifs du processus de surnomination.
En partant de l’idée commune que la typification est un acte de structuration identitaire, elle ne saurait échapper à la double tension contrastive qui définit l’identité à savoir le principe de ressemblance et le principe de dissemblance. De fait une caricature est par définition une exagération d’un ou plusieurs traits chez un sujet. Il s’agit donc d’une représentation hyperbolique. Dans la pratique, cette représentation hyperbolique procède par « déformation », mais aussi par « réduction » et par « condensation » [3]. Ce point commun à toutes les caricatures et à tous les surnoms est néanmoins complémentaire à une mise en œuvre intradiscursive discriminante. On peut donc classer les caricatures et les surnoms selon les deux modes de pensée saussuriens que sont l’analogie et la contiguïté. Ainsi, l’hyperbolisation constitutive de toutes caricatures et surnoms peut être interne au sujet caricaturalement surnommé c'est-à-dire motivé par un signe propre à ce dernier (métonymie et synecdoque) ou encore externe c'est-à-dire sublimé par comparaison à un stimulus étranger audit sujet (comparaison et métaphore).
Fondamentalement, la décrispation de sujets aussi graves que sont les questions politiques est fondatrice des visées attendues aussi bien par la surnomination que par la caricature. L’effet humoristique comme corollaire à cette matrice d’objectifs est inséparable d’une tonalité satirique destinée à ramener ceux que les masses ont déifié en les plaçant sur le piédestal de la célébrité dans la sphère des gens ordinaires comme le dit Treps [4].
Il apparaîtrait ainsi que celui qui caricature une personne ou que celui qui lui donne un surnom soient censés faire à peu près la même chose et qu'ils le fassent parce qu'ils ont tous deux retenu, avec l'intention de ridiculiser dans la plupart des cas, une ou plusieurs caractéristiques supposées essentielles de la personne en question. Surnoms et caricatures ont en effet, presque toujours, une fonction satirique [5].
Reste à présent à déterminer le rapport transtextuel entre surnoms et caricatures. De l’avis de Deligne et Mori, dans un tel régime de « transposition » la caricature est secondaire car générée par le surnom. Si cela est vrai pour toutes les figures de notre corpus, l’inverse n’est nullement impossible car de nombreuses caricatures peuvent donner lieu à des surnoms originaux.
Autour d’une stylistique visuelle
L’application de la stylistique à un domaine autre que la littérature est déjà largement consacrée. Le problème ici posé consiste en un rappel des modalités conceptuelles de son intégration à l’analyse d’images visuelles. Tout commence avec Molinié qui semble ainsi poser sans circonspection l’objet d’étude de la stylistique :
L’objet de la stylistique n’est pas d’abord le style, contrairement à ce qu’on pourrait spontanément penser, même si, en revanche, le style peut difficilement s’appréhender autrement que comme objet d’étude de la stylistique : l’objet majeur et éminent de la stylistique, c’est le discours littéraire, la littérature. Plus exactement, c’est le caractère spécifique de littérarité du discours, de la praxis langagière telle qu’elle est concrètement développée, réalisée, à travers un régime bien particulier de fonctionnement du langage, la littérature [6].
Son propos est ensuite nuancé plus loin lorsqu’il admet :« l'objet de la stylistique est de scruter le fonctionnement du langage dans son régime particulier mis en œuvre en art littéraire : qu'est ce qui caractérise le langage littéraire, en tant que littéraire ? » [7]. Si le régime littéraire le cède au langage littéraire c’est bien pour la raison évidente que ce langage particulier n’est pas seulement spécifique à ce régime précisément. La littérarité sera donc entendue comme fait de langage normé et codifié selon les usages littéraires. C’est tout l’enjeu de la distinction entre les courriers administratif et personnel, les discours utilitaires et emphatiques car si les uns sont balisés par une typicité rigide et hostile dans une certaine mesure à l’inventivité, les autres sont susceptibles de prospérer sur des rayons de librairies en tant que chefs d’œuvre littéraires tant l’expression y est libre voire intimiste [8]. Il y a donc littérarité certes en littérature mais aussi au-delà, dans toute forme d’expression où intervient le régime de la poéticité jakobsonnienne en tant que fonction transversale du langage.
[1] R. Barthes, « Rhétorique de l’image », Communications, n° 4, 1964, Recherches sémiotiques, pp. 40-51.
[2] M. Treps, La Rançon de la gloire, les surnoms de nos politiques, Paris, Seuil, 2012, p. 9.
[3] A. Deligne, O. Mori, « Caricatures et surnoms. Tentative de rapprochement », Langage et société, n° 53, 1990, Caractères chinois, pp. 27-48.
[4] M. Treps, La Rançon de la gloire, les surnoms de nos politiques, Op. cit., p. 9.
[5] A. Deligne, O. Mori, « Caricatures et surnoms. Tentative de rapprochement », art. cit.
[6] G. Molinié, La Stylistique, Paris, PUF, 1993, pp. 1-2.
[7] Ibid. p. 14.
[8] On pense notamment au genre épistolaire et aux biographies émaillées par de longs discours.