The Woman in White, l’espace blanc
et la technologie d’impression
au milieu de l’ère victorienne

- Mary E. Leighton - Lisa Surridge
_______________________________

pages 1 2 3 4 5

Fig. 2. En-tête de chapitre, Harper’s Weekly, 1859

Fig. 3. J. McLenan, « The hand holding
the damp cloth...
», 1859

Fig. 4. J. McLenan, « And rested her head... », 1860,
Fig. 5. J. McLenan, « And pinned it carefully... », 1860,
Fig. 6. J. McLenan, En-tête de chapitre, 1860,
Fig. 7. J. McLenan, « Just as my hand was on the door... », 1860,
Fig. 8. J. McLenan, « "Hush !" she whispered... », 1860,
Fig. 9. J. McLenan, « Mr. Fairlie declared... », 1860

La mise en page de la une du Harper’s renforce cette association entre la femme anonyme et une page vide. Dans le coin en haut à gauche, la tête de chapitre (fig. 2) montre un Professeur Pesca excité tenant une page presque blanche ; le texte identifie celle-ci comme la lettre confirmant à Hartright son emploi de maître de dessin à Limmeridge. Cependant, la lettre paraît tout d’abord comme un espace vide, un espace à remplir : un texte à lire, comme la femme en blanc. Plus tard, l’association de la femme en blanc avec l’espace blanc visuel se poursuit à travers les quarante semaines que dure la publication dans Harper’s : même après avoir été identifiée comme Anne Catherick et avoir reconquis une identité biographique, la femme en blanc est constamment associée à la portion vide et non-encrée des illustrations.

L’illustration la plus importante à cet égard se présente dans la partie 6 : Hartright rencontre Anne accroupie devant la pierre tombale blanche de Mme Fairlie (fig. 3). Comme dans la partie 1, l’image est dominée par les contrastes. Obéissant à la suggestion de Mme Todd, Anne porte un manteau foncé pour cacher ses vêtements blancs ; ce détail, présent dans le récit et illuminant l’espace blanc de sa robe, devient le point focal de l’illustration. Hartright, qui est encore une fois représenté avec des vêtements sombres, se tient à droite de la pierre tombale, qui apparaît en relief contre ses vêtements sombres et le manteau sombre d’Anne. L’effet visuel qui associe Anne à la tombe qu’elle nettoie prédit sa mort. L’illustration répète de façon significative l’association, dans la partie 1, de la femme en blanc avec le texte en soi : la légende indique qu’elle est engagée à « cleaning the inscription » de la pierre tombale de Mme Fairlie [16]. Elle effectue donc une tâche parallèle à celle des graveurs du périodique : elle s’occupe du sens créé par des espaces creux, par ce qui n’est pas là.
      Comme dans la partie 1 où son dialogue est marqué par la répétition de la modalité interrogative, dans la partie 6, Anne est encore une fois caractérisée par un langage bizarrement répétitif. A ce moment du récit, il prend la forme de l’homiologiela répétition d’un mot jusqu’à la redondance. Son dialogue avec Hartright est ainsi dominé par le terme « blanc ». La répétition de ce mot renforce tout d’abord le sens, mais, paradoxalement, par un effet de saturation, le sens est évacué :

 

Ah ! she was fond of white in her lifetime; and here is white stone about her grave – and I am making it whiter for her sake. She often wore white herself ; and she always dressed her little daughter in white. Is Miss Fairlie well and happy ? Does she wear white now as she used when she was a girl ? [17]

 

Dans les illustrations et le texte verbal, la femme en blanc est donc liée à la répétition : l’image de l’espace blanc, la modalité interrogative, le mot « white » sont répétés. Et à chaque fois, le phénomène est associée avec le négatif ou le vide : la partie évacuée ou non-encrée de l’image, la question au lieu de la réponse, le mot duquel le sens a été supprimé.
      Comme nous l’avons noté, l’histoire du roman tourne autour de l’identification de Laura avec la femme en blanc et progresse avec les tentatives de différentiation des deux femmes et le rétablissement de l’identité unique de Laura. Dans le récit, cette identification commence lorsque Marian lit à Hartright la lettre que Mme Fairlie a adressée à son mari. Celle-ci décrit l’arrivée d’Anne Catherick dans le village, lorsqu’elle était enfant. La lettre de Mme Fairlie révèle comment elle donna à Anne les vieux vêtements blancs de Laura et comment Anne, reconnaissante, promit « to always wear white » [18]. Pendant que Marian lit le passage, Hartright voit Laura passer sur la terrasse : « There stood Miss Fairlie, a white figure, alone in the moonlight (…) the living image (…) of the woman in white ! » [19].  De même que les vêtements passent de Laura à Anne, l’identification de la femme en blanc passe de Laura (fille en blanc) à Anne (fille puis femme en blanc) et revient à Laura (femme en blanc).
      Visuellement, les illustrations du Harper’s Weekly souligne cette identification en transférant l’espace blanc qui définit Anne, la première femme en blanc, à Laura, sa jumelle visuelle. Dans ces images, Laura est de la même façon constamment présentée comme une figure blanche. Elle apparaît soit en relief devant un arrière-plan soit dans un effet de contraste avec la forme sombre de sa demi-sœur Marian. L’agencement des deux sœurs, d’une femme en blanc avec une femme en noir, constitue un motif visuel frappant de paires répétées (figs. 4 à 9). L’association de Laura avec le creux et le vide symbolise son statut officiel de femme mariée et prépare les lecteurs pour le moment où le comte Fosco et Percival Glyde voleront finalement son identité. Grâce à leur stratagème, comme nous l’avons expliqué, ils échangent Anne et Laura : ils mettent en scène la mort de Laura et font passer Laura pour la folle Anne Catherick. Ils tentent d’escroquer les biens de Laura en enterrant Anne Catherick dans la tombe marquée d’une pierre au nom de Laura. D’une manière singulière, certains détails du transfert d’identité paraissent incohérents : comme le critique du Times le relève, l’histoire est temporellement impossible, toutefois, visuellement, Anne et Laura ont été régulièrement représentées par la même technique de l’espace blanc, (elle-même une forme d’évacuation ou de création de vide). L’identification des deux femmes a ainsi préparé le lecteur à cet amalgame des identités.

>suite
retour<

[16] W. Collins, The Woman in White, Harper’s Weekly, 31 décembre 1859, p. 841.
[17] Ibid., p. 842, nous soulignons.
[18] Ibid., 10 décembre 1859, p. 796.
[19] Ibid., p. 796.