Le livre d’artiste, une création en miroir – Interactions entre peintre et poète
Entretien avec Michel Mousseau

- Marianne Simon-Oikawa
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M. Mousseau,
Un Calicot, 1986

P. Albert-Birot et M. Mousseau,
7 poèmes, 1989

Z. Bianu et M. Mousseau,
Lisière d’infini, 2000

Z. Bianu et M. Mousseau,
Lisière d’infini, 2000

Suit un tout petit livre, Un Calicot. Laurent Debut, éditions Brandes, avait le projet de faire ces petits livres et de les déployer tout le long des murs du musée de Villeneuve d’Ascq. Il a sollicité cent manuscrits d’artistes, il doit y avoir quelque part une collection extraordinaire. Pour ce livre, j’ai fait le texte et l’illustration, c’était l’enjeu. Je suis allé chez Seuphor, qui était déjà très âgé, une visite amicale, et lui ai offert ce Calicot sans prétention. Il était assis, moi j’étais en face. Il a lu mon écriture à haute voix, et sous sa table je voyais son pied qui scandait sa parole, qui donnait le rythme, comme un truc de jazz, c’était vraiment étonnant, émouvant.

 

 

7 poèmes, c’est aussi chez Brandes, Laurent Debut. L’ouvrage est accompagné d’une gravure. Les textes d’Albert-Birot inspirés par une vision originelle de la poésie, ont réveillé en moi un souvenir d’enfance. Quand j’étais tout petit enfant, dans une église de campagne chez mes grands-parents, il y avait un antiphonaire vraiment énorme, je ne sais pas ce qu’il est devenu, avec des neumes. Il y avait quelqu’un qui faisait chanter les adolescents, et c’était extraordinaire. Ce livre était très beau, un très grand volume en couleurs, ça m’a marqué.

 

 

Lisière d’infini est un livre vraiment très important, qui s’approche du livre d’artiste, mais qui n’en est pas tout à fait un. Bruno Roy, éditions Fata morgana, au Marché de la poésie, place Saint-Sulpice, nous a demandé à Zéno Bianu et à moi-même, de faire un ouvrage. J’ai pris le travail que je faisais dans l’atelier sur la couleur et la construction, c’est ce travail d’atelier que j’ai voulu mettre dans ce livre. C’est de la peinture à l’huile, mais sur du papier, technique très difficile. Au dos des feuilles peintes apparaissait une tache de gras épouvantable. Je l’ai recouverte avec du noir, à la forme même du recto. Cela a beaucoup surpris le conservateur de la Bibliothèque nationale de La Haye. Réalisation et séchage, ce fut très long. Pour moi, ce temps est un enrichissement. Bruno Roy m’écrivait : « Alors, c’est pour bientôt ? Vous me l’envoyez quand ? » Et puis, à la fin, il m’a fait parvenir une lettre vraiment magnifique, où il disait « Bravo. Les versants noirs sont (j’imagine) une manière géniale de transformer une difficulté technique en surcroit de beauté » [4]. C’est évidemment en raison de l’usage de ce noir pour pallier un défaut qui, en réalité, redoublait l’image. Une surprise pour tout le monde.

 

   

 

J’ai fait une dizaine de livres avec Zéno Bianu. Même dans les livres d’artiste, j’aime qu’il y ait la couverture, faux titre et titre en typographie, ce qui donne à voir l’engagement du typographe et celui de l’éditeur. C’est le cas de Répertoire des apparitions, publié chez Bernard Dumerchez avec le concours de François Huin, typographe. Dans un premier temps, comme je fais toujours avec les poètes avec qui je travaille, on partage le territoire du livre. Pour moi, le livre ce n’est pas du page à page, mais c’est vraiment une circulation comme au théâtre sur le plateau de scène. Il y a les entrées, les sorties, etc. On partage des morceaux du territoire. J’ai commencé par faire les dessins, alors que dans le livre précédent, je suis parti d’un texte que j’ai illustré. Ici, ce sont des dessins à la mine de plomb. Sur les pages blanches qui lui étaient réservées dans ce duo, Zéno a scruté les dessins et dit chaque fois « Je vois ceci, cela, etc. » dans chacun des dessins.

 

Je vois
et je le reconnais
le territoire de la solitude
le vertige du sillon
le carbone
de la nuit étoilée. 

 

C’est un très beau poème, une correspondance où je me reconnais.

 

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[4] B. Roy, lettre du 13 septembre 2001.