L’illustration dans l’œuvre
d’Anne-Marie Christin.
Une étude bibliographique

- Hélène Campaignolle-Catel
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Graphe 1.

 

Graphe 2.

 

 

 

Graphe 3.

 

 

 

Graphe 4.

 

 

 

Des termes au thème : autres failles possibles

 

Nous ne sommes pas à l’abri d’oublis de textes importants pour notre objet « illustratif » d’autant que la méthode d’enquête, on l’a compris, n’est pas dénuée de failles, ses principes lexicaux possédant leurs limites.

Notre conception de départ – sans doute naïve – était qu’un texte dont ni le titre ni les autres éléments du paratexte ne comportent de références directes à la question de l’illustration n’a pas pour thème principal l’illustration. Ce principe a été contredit par les faits, on y reviendra, au moins pour deux articles [14]. Ces contre-exemples ne remettent cependant pas à nos yeux en question la pertinence d’une enquête sur les termes présents dans les titres : ceux-ci restent une donnée globalement fiable du thème abordé ; ils mettent par ailleurs en avant un ou plusieurs termes importants de la théorie de la chercheuse à une période donnée. Ce sont donc des indicateurs à interpréter.

Dernière faille, le nombre des publications reste évolutif : malgré le travail collectif mené depuis plusieurs années, il est probable que de nouveaux articles viendront compléter la bibliographie actuelle, notamment à la faveur du classement du fonds des archives scientifiques personnelles d’A.-M. Christin entré récemment dans le fonds CEEI-A.-M. Christin. Ces nouvelles entrées remettront de facto en question les nombres d’occurrences sur lesquels nos analyses se sont fondées. Il est cependant peu probable qu’elles invalident complètement les conclusions de cette étude sur le poids du thème illustratif dans l’œuvre d’A.-M. Christin.

Venons-en maintenant aux conclusions de l’exploration de la bibliographie : un premier dessin de la place de l’illustration dans la trajectoire de la chercheuse émerge-t-il des chiffres obtenus ?

 

2. La place de l’illustration dans l’œuvre

 

Pour cerner la place de l’illustration dans l’œuvre d’A.-M. Christin, on s’est d’abord attaché aux occurrences des termes de la famille du mot illustrer présents dans les titres de la bibliographie grâce à la base morphologique « illustr »  qui permet de requêter à la fois le substantif illustration, le verbe illustrer et le nom d’agent illustrateur. Rappelons ici que le terme illustration a pris en langue française trois sens successifs dont deux sont encore actifs aujourd’hui, comme l’indique le Trésor de la Langue Française Informatisé [15]. Le premier sens, « action de rendre illustre, ce qui rend illustre, fait la gloire de ; honneur », proche de « notoriété », aujourd’hui désuet, a prévalu jusqu’au XIXe siècle en France. Le deuxième sens, encore actif, de « démonstration d’une donnée, confirmation, vérification d’une théorie, d’une conception abstraite » est employé dans le registre argumentatif. Toutes les occurrences du deuxième type [16] présentes dans les textes fouillés ont été exclues de l’analyse, car elles sortent du champ de l’illustration au sens qui nous intéresse ici : issu de l’anglais [17], ce troisième sens s’est imposé en français au cours de la seconde moitié du XIXe siècle d’abord pour désigner une « estampe, ou suite d’estampes accompagnant un poème » plus généralement un texte, puis de manière extensive un « genre artistique ». C’est à lui que nous nous réfèrerons en parlant de « thème illustratif ».

 

L’illustration dans la bibliographie : une présence discrète et précoce

 

Premier constat général : les termes de la famille du mot « illustrer » n’apparaissent dans aucun des titres ou sous-titres des trois grands ouvrages individuels. Les cinq termes notionnels les plus représentés sont ceux de la famille, écrit- image/iconiqueespace, idéogramm-  et lettre et c’est aussi le cas dans les titres des articles même si les ordres de grandeur diffèrent légèrement (Graphe 1 et tableau 1).

 

Occurrences des 5 notions les plus fréquentes dans les titres d’Anne-Marie Christin entre 1974 et 2018

 

 

La consultation du paratexte et des textes à laquelle nous avons procédé nuance ce constat d’absence sans l’infirmer complètement. Dans L’Image écrite (1995), la première partie [18] n’en parle pas, la seconde [19] comprend une trentaine d’occurrences [20]. Dans Poétique du blanc en 2000, une douzaine d’occurrences sont repérables parmi lesquelles une occurrence concerne l’illustration du Coup de dés de Mallarmé [21], le reste portant sur la peinture murale italienne [22], en particulier Giotto [23]. L’Invention de la figure ne comporte pas de passage développé sur le thème (on relève quelques occurrences rapides sur la correspondance illustrée (p. 130), l’affiche illustrée (p. 134) ; la gravure d’illustration (p. 142 ; 143)). On passe ainsi d’une trentaine d’occurrences de la famille illustr- à une douzaine puis à trois ou quatre occurrences. Les tables des illustrations de L’Image écrite et L’Invention de la figure précisent un autre point : le corpus des livres de peintre s’est effacé devant des documents épigraphiques, picturaux (fresques murales, estampes, tableaux) et typographiques (affiches, caractères). Ce premier relevé évoque donc moins une réelle absence qu’un effacement progressif du thème illustratif dans les livres.

Si on se tourne vers la base des articles, cinq textes font apparaître dans leur titre le mot illustration (2) ou illustrateur (3) : « Images d’un texte : Dufy illustrateur de Mallarmé » (1979) [24] ; « Le poète illustrateur : à propos du recueil Les Mains libres de Man Ray et Paul Eluard » (1985) [25] ; « L’illustration » (1986) [26] ; « Colette et ses illustrateurs » (1989) [27] ; « De l’illustration comme transgression » (2009). Cela représente un taux de présence des articles publiés plutôt faible (5%). Parmi la centaine d’articles et chapitres, nous avons relevé une trentaine de termes récurrents [28]  parmi lesquels le terme illustration – avec ses 5 occurrences – se situe à la 7e position soit au même rang qu’alphabet mais loin derrière écriture et image ou encore d’autres thèmes tels que idéogr[amme], espace ou typographie (graphe 2).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cette présence discrète gagne à être interprétée en lien avec l’évolution des publications de la chercheuse. Le tableau qui restitue ces données (graphe 3) associe (en vert) la courbe des textes ayant dans leur titre un terme de la famille illustr- à 3 autres articles repérés par d’autres moyens sur lesquels nous reviendrons (courbe en rouge). Les occurrences pour illustr- se distribuent, on le voit, sur trente ans (1979, 1985, 1986, 1989, 2009) ; la conférence sur l’illustration de 2009 y apparaît comme un surgeon tardif d’un thème en voie d’amenuisement. Notre constat initial, soulignant le retrait progressif de la thématique de l’illustration après un développement précoce resté modeste se confirme.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A ce titre, les corrélations entre termes associés dans les titres mettent en relief un point éclairant concernant l’évolution parente des termes propres à l’histoire du livre : illustration, typographie, livre et page (graphe 4) : tous actifs dans les années 1980 puis à la fin des années 1990, ils s’affichent globalement absents des titres après 2001 – à l’exception de la conférence de 2009 qui réintroduit tardivement le thème.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce constat confirme l’intérêt de la conférence inédite mais nous laisse sur notre faim quant à son rôle exact. Quelle place occupe-t-elle dans la trajectoire la chercheuse ? Quel rôle joue-t-elle au sein des textes portant sur l’illustration ? Pour répondre à ces questions, nous allons nous pencher sur le groupe des textes qui, dans la bibliographie de la chercheuse, concernent au premier chef l’illustration.

 

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[14] Le premier texte est consacré à L’Histoire du roi de Bohème et de ses sept châteaux de Nodier illustré par Johannot, le second au Voyage d’Urien d’André Gide et Maurice Denis. Précisons que ces deux articles portent sur des livres illustrés dont le titre évoque, pour le lecteur averti, la problématique illustrative.
[15] La notice complète du TLFI est consultable en ligne
[16] Un exemple emprunté à Poétique du blanc : « Mais l’opposition fondamentale qui existe entre ce système et celui de l’alphabet rencontre ici sa meilleure illustration symbolique. » A.-M. Christin, Poétique du blanc : vide et intervalle dans la civilisation de l’alphabet, Leuven, Belgique, Peeters, 2000, p. 38.
[17] Nous renvoyons ici à la contribution de Ségolène Le Men qui rappelle les sources anglo-saxonnes du terme.
[18] « Signes, supports, systèmes. Pour une grammatologie de l’espace inscrit ».
[19] « Retour aux idéogrammes. Nouvelles figures de l’écrit en France aux XIX-XXe siècles ».
[20] Il est présent dans 33 des 240 pages de l’ouvrage édité en 1995.
[21] « Ambroise Vollard, qui souhaitait accompagner cette édition de dessins d’Odilon Redon, s’était d’ailleurs étonné auprès du peintre de la réponse que lui avait faite Mallarmé, un jour où il évoquait son projet d’illustration devant lui » (A.-M. Christin, Poétique du blanc, op. cit., 2000, p. 166).
[22] « Les peintres sont autorisés cependant à exercer leurs talents dans l’illustration de l’Histoire sainte, car l’intérêt pédagogique d’une telle entreprise ne fait aucun doute. » (A-M. Christin, Poétique du blanc, ibid., p. 74).
[23] Dans le chapitre « Peinture et narration : énigme du support », ibid., pp. 77‑94. Un exemple : « C’est celle, aussi, où Giotto s’est montré le plus novateur. Rompant avec la mise en scène habituelle privilégiant dans l’illustration d’un récit l’action des personnages sur le décor devant lequel elle se passe, c’est ce décor même qu’il a choisi non seulement de mettre en lumière, mais de prendre pour axe principal de sa composition. » (p. 83).
[24] A.-M. Christin, « Images d’un texte : Dufy illustrateur de Mallarmé », Revue de l’art, 1979, pp. 69-84. Précisons, même si cela n’est pas indiqué dans la revue, que cet article était inclus dans une livraison Poésie et peinture dirigée par Pierre Georgel.
[25] A.-M. Christin, « Le poète illustrateur : à propos du recueil Les Mains libres de Man Ray et Paul Eluard », dans Ecritures II, Paris, Le Sycomore, 1985.
[26] A.-M. Christin, « L’Illustration », encadré dans D. Renoult, « La mise en page », dans H.-J. Martin, R. Chartier et J.-P. Vivet (dir.), Histoire de l’édition française, t. 4, Le livre concurrencé : 1900-1950, Paris, Promodis, 1986, pp. 376-398.
[27] A.-M. Christin, « Colette et ses illustrateurs », Cahiers Colette, n° 11 (« Colloque de Cerisy »), 1989, pp. 171‑190.
[28] Parmi les termes repérés, nous avons différencié quatre classes : domaines, genres, concepts et créateurs. Voir le tableau 2 en annexe. Remarquons que l’illustration est un de seuls termes à relever des trois premières catégories.