L’illustration dans l’œuvre
d’Anne-Marie Christin.
Une étude bibliographique

- Hélène Campaignolle-Catel
_______________________________

pages 1 2 3 4 5

résumé
partager cet article   Facebook Twitter Linkedin email

Le texte d’Anne-Marie Christin publié dans ce numéro constitue la retranscription d’une conférence inédite consacrée à l’illustration prononcée au Brésil en 2009 [1]. Malgré sa forme intermédiaire – il s’agit d’un tapuscrit destiné à l’usage de la chercheuse – l’intérêt de ce document ne fait aucun doute. Eclairant la pensée d’A.-M. Christin sur un thème essentiel de son œuvre, il offre, via le concept d’« illustration transgressive », une réponse originale et comme anticipée à la question posée par le colloque « Illustrer ? ». Plutôt que de viser une interprétation exhaustive, nous avons privilégié dans cette contribution une approche indirecte, fondée sur l’analyse quantitative de la bibliographie d’A.-M. Christin, et ce, dans un but délimité : explorer cette bibliographie pour mieux comprendre la place de la conférence de 2009 dans sa trajectoire et cerner, plus globalement, celle qu’occupe le thème de l’illustration dans les titres et les textes de la chercheuse. Après avoir précisé la technique adoptée, on analysera les occurrences des termes de l’illustration dans la bibliographie, puis on s’intéressera plus spécifiquement aux textes portant sur l’illustration, notamment à leurs choix méthodiques. La description de l’exposé de 2009 permettra pour finir de saisir la singularité de ce document dans une approche évolutive de la théorie de l’illustration d’A.-M. Christin. On l’a compris, notre contribution porte sur le thème illustratif dans l’œuvre de la chercheuse mais elle vise aussi, plus généralement, à fixer une première démarche heuristique apte à décrire son système de pensée [2].

 

1. La bibliographie, un corpus lexical à interroger

 

Au cours de 40 années d’activité dans l’institution universitaire (1974 à 2014), A.-M. Christin a accordé à la question de l’illustration une place qu’il est aujourd’hui possible d’estimer grâce aux outils quantitatifs offerts par les humanités numériques. Le récent établissement de sa bibliographie par le Centre d’Etude de l’Ecriture et de l’Image délimite à ce titre un corpus relativement complet des textes publiés par la chercheuse [3]. Si l’on met de côté les ouvrages poétiques et les éditions d’œuvres, le décompte actuel des ouvrages, articles et chapitres académique publiés par A.-M. Christin est de 16 ouvrages dont 5 individuels et 11 collectifs [4] et de 110 articles ou chapitres d’ouvrages dont une centaine publiés en français [5]. Cette bibliographie fournit des repères d’autant plus solides pour notre étude qu’on en définit clairement les limites et qu’on précise les choix effectués pour produire des données statistiques cohérentes.

 

Des titres aux termes : pertinence des variables

 

L’export des données de la bibliographie nous a d’abord permis d’extraire les titres français et les dates de publication, en différenciant les ouvrages, des articles et chapitres d’ouvrages. Les termes présents dans les titres [6] ont ensuite été classés selon leurs taux d’occurrences et les tableaux issus de ces classements ont fourni la base des graphiques dont certains sont commentés dans cette contribution. Ces étapes de traitement ont guidé notre regard à travers le large corpus de textes publiés par Anne-Marie Christin. Les variables sur lesquelles ils se fondent posent néanmoins quelques problèmes qu’il a fallu résoudre.

Le premier concerne le décompte des publications. Plusieurs articles d’A.-M. Christin sont repris ultérieurement comme chapitres d’ouvrages des livres individuels [7]. Faut-il compter ces articles une fois ou deux fois, sachant que l’article est souvent remanié et le titre adapté [8] ? Il nous a semblé préférable de ne les comptabiliser qu’une seule fois, à leur date de parution originale. On a, en bonne logique, décidé de conserver le titre dans sa version initiale, souvent plus complète que la version finale [9]. Autre problème, celui des dates. Entre la rédaction d’un texte lié à une conférence et la publication d’un article, plusieurs années passent [10]. Ce décalage, qui concerne tous les articles issus de colloques et de conférences, a un impact évident sur la pertinence des commentaires relatifs à la date à laquelle la chercheuse travaille sur un thème : on se fie ici aux dates des publications alors qu’il faudrait plutôt s’intéresser aux dates de rédaction, dont celle de l’énoncé en colloque est plus proche. Pour la conférence de 2009, la date retenue est de facto celle à laquelle elle a été prononcée, mais ce n’est pas le cas des autres textes dédiés à l’illustration : l’accessibilité aux données de publication est meilleure que celles des colloques, et choisir la date d’énonciation aurait créé une scission entre les documents énoncés et ceux qui ne sont que publiés (chapitres d’ouvrages résultant d’une commande).

Les variables issues de la bibliographie forment ainsi un ensemble disparate à interroger et à interpréter avec précaution. On a tâché de minimiser l’impact de ces flottements en s’attachant, dans l’analyse des décomptes, davantage aux proportions par périodes qu’aux dates exactes. Pour ce qui concerne le nombre des occurrences de termes, on rappelle que l’intérêt de ces chiffres n’est pas leur caractère absolu : ce sont les grandeurs relatives et les masses comparées qui dessinent une trajectoire et une constellation de termes à interroger.

 

La fouille dans les textes : des outils imparfaits mais complémentaires

 

En l’absence d’un fond complet numérisé des publications d’A.-M. Christin, il était impossible, dans les limites de cette recherche, de fouiller systématiquement l’ensemble des textes qu’elle a publiés. On a cependant tenté pour les trois livres principaux – L’Image écrite ou la déraison graphique, Poétique du blanc, L’Invention de la figure [11] – d’évaluer le taux de présence des termes de la famille illustration dans les paratextes et le corps de texte à l’aide de trois outils complémentaires : la table des matières des ouvrages a constitué un premier guide pour la fouille ; les titres des illustrations en a constitué un second permettant de préciser les objets étudiés dans les ouvrages ; pour finir, l’outil Google books, malgré les restrictions qu’il impose à l’accès direct, nous a fourni un taux d’occurrences fiable [12] pour deux des ouvrages de la chercheuse [13]. Ces moyens hétérogènes mais complémentaires ont permis de vérifier l’absence ou la présence du thème illustratif et, le cas échéant, de le localiser. Les décomptes des occurrences dans les textes que nous avons établis manuellement n’ont pas été représentés en graphes car les outils employés étaient trop disparates. Ils nous ont néanmoins permis de compléter les conclusions de l’analyse statistique des titres.

 

>suite
sommaire

[1] Le lecteur pourra lire les éléments d’information sur le contexte de cette communication fournis par Márcia Arbex-Enrico dans son introduction.
[2] Ce texte fait suite à trois études précédentes portant sur l’œuvre critique d’A.-M. Christin (« A.-M. Christin. Un dernier Coup de dés... », Ligature, Revue critique du livre d’artiste, 2015 ; « Philippe Clerc et A.-M. Christin, double et multiple », dans Ph. Clerc, M. Ferré, K. Bouchy, H. Campaignolle-Catel (dir.), Les Revues-images de Philippe Clerc, hors-série (« Ecriture et image, Cahiers du CEEI »), Centre de l’Ecriture et de l’Image, 2018  ; « Vides et pleins dans l’espace typographique et pictural », dans H. Campaignolle-Catel et K. Bouchy (dir.), Ecritures V. Systèmes d’écriture, imaginaire lettré, Presses Sorbonne nouvelle, 2020, pp. 133‑154.
[3] Le document est actuellement accessible sur le site du Centre d’Etude de l’Ecrit et de l’Image. La première version de la bibliographie a été produite collectivement après le décès de la chercheuse en 2014 à l’occasion de la rédaction de sa fiche wikipédia. L’année suivante, suite à la création de l’association CEEI, le carnet de recherche de l’association a publié une nouvelle version croisant les bibliographies de K. Bouchy, M. Simon-Oikawa, et H. Campaignolle-Catel ; le document a été révisé de nouveau en 2020.
[4] En réalité 12, si on compte l’ouvrage collectif non publié à ce jour Autour des Paravents japonais à paraître en 2021.
[5] Ont été exclus de notre base de travail les articles traduits en langue étrangère dont une version française existe, qu’elle ait été publiée avant ou après. La liste de ces publications sera prochainement disponible sur le carnet de l’association du CEEI.
[6] Le choix initial de ces mots a été fait manuellement ; le travail d’extraction, facilité pour les décomptes par Libre office calc, aurait pu être mené de façon plus systématique sous Python.
[7] L’origine des textes, indiquée en fin d’ouvrage, permet de cerner le degré de redondance avec des textes antérieurs. Dans L’Image écrite, c’est presque la moitié des chapitres (8 des 9 chapitres de la seconde partie, pour un ouvrage qui comprend 17 textes dotés d’un titre). Dans Poétique du blanc et L’Invention de la figure, c’est l’ensemble. En ce qui concerne la première partie de L’Invention de la figure, les quatre chapitres constituent la refonte six articles antérieurs. Un autre problème, inverse, concerne les 8 textes originaux de L’Image écrite qui ne sont pas comptabilisés dans nos listes de titres : fallait-il les y ajouter ? Nous avons opté pour la négative, soucieuse de l’homogénéité documentaire des bases de titres.
[8] Par exemple, « Rhétorique et typographie » paru en 1979 sera repris trente ans après, dans L’Invention de la figure (2011).
[9] Certains titres changent entre leur première formulation et leur publication ou leur reprise en volume. Il peut s’agir d’une simplification (le chapitre intitulé « Les polygrammes de Philippe Clerc » dans L’Image écrite s’intitulait précédemment « Les polygrammes de Philippe Clerc ou l’anti-nature photographique »), ou d’une transformation (la conférence « De la figure à l’idéogramme. Indices de mutation dans la peinture occidentale » sera publiée dans le recueil Typographies/ Calligraphie, sous le titre : « De l’image à l’écriture. Indices de mutation dans la peinture occidentale »).
[10] La conférence « De l’image à l’écriture. Indices de mutation dans la peinture occidentale » de 2005 sera publiée en 2009.
[11] Les ouvrages suivants Fromentin conteur d’espace et Vues de Kyoto resteront extérieurs à notre étude : une rapide consultation a permis de vérifier que ni l’un ni l’autre ne contient de développement substantiel relatif à l’illustration.
[12] Pour Poétique du blanc, le taux de présence indiqué par Google books est égal (à 1 occurrence près) à notre propre décompte.
[13] L’Image écrite et Poétique du blanc. Pour L’Invention de la figure, nous avons effectué un balayage du texte.