Les enluminures relatives à la vie religieuse
et consacrées aux reliques de la Passion
illustrant le texte de La Destruction de Rome
et de Fierabras dans le manuscrit à peintures
de Hanovre

- Marc Le Person
_______________________________

page 1fig. 1 - fig. 2 - fig. 3 - fig. 4 - fig. 5 - fig. 6 - fig. 7 - fig. 8 - fig. 9 - fig. 10 - fig. 11 - fig. 12 - fig. 13 - fig. 14 - fig. 15 - fig. 16 - fig. 17

L’assassinat du pape et le vol des reliques de la Passion

 

      fig. 4. Anonyme, « Fierabras vole les reliques de la Passion »,
      La Destruction de Rome, ms. H, fin du XIIIe siècle,
      Hanovre, Niedersächsische Landesbibliothek, IV-578, f° 21 r°

 

      Après avoir tué le pape [8] qui git sur le sol, la langue pendante, Fierabras, une lance à la main, accompagné de Lucifer de Bagdad, s’empare des reliques de la Passion et des deux flacons contenant le baume, sous les yeux du vieux moine terrifié qui tient les trois clous de la crucifixion : on aperçoit le saint suaire et la couronne d’épines qui lévitent devant l’autel ; ce prodige se reproduira à la fin de Fierabras, lors de la cérémonie de probation des reliques, destinée à leur authentification.
      Le geste sacrilège du Sarrasin est souligné par le fait qu’il vole les tonnelets de baume dans le tabernacle ouvert et ainsi profané. La lance qui semble en apparence inadaptée dans une scène d’intérieur, car les chevaliers ne s’en servaient que dans les combats à cheval, renvoie à la lance qui a percé le cœur du Christ sur la croix d’où il est sorti du sang et de l’eau qui coulent le long du manche, comme le rappelle la lance qui saigne dans le Conte du Graal de Chrétien de Troyes : cette image fait probablement allusion à l’épisode légendaire de saint Longin, centurion romain prétendument aveugle, qui, selon la légende hagiographique, perça le cœur du Christ en croix et recouvra la vue en se frottant les yeux de sa main, où avait coulé le sang rédempteur (Jean XIX, 33-34 et Evangile apocryphe de Nicodème X ; voir aussi Matthieu XXVII, 54 et Marc XV, 39). Ses yeux se sont dessillés pour entrevoir les réalités spirituelles, comme Fierabras, qui finira, après toutes ses errances et ses fautes, par se convertir et deviendra un saint. Le texte de Fierabras relate aussi cet épisode au début de la chanson ou y fait allusion (aux vers 994-99 et 1261-66) :

 

Et si wuloit par forche desus Ronme regner,
Et tous cheuz de la terre a servage torner.
Mais chil dedenz nel woudrent soufrir ne greanter ;
Por tant les fist destruire et Seint Pierre gaster.
Mort i a l’apostoille et fist a duel finer,
Et nonnainz et mongnie et mostiers vïoler ;
S’emporta la corronne qui mout fait a loer :
- Le roi en fist Jhesus en la croiz corronner -,
Et le signe et les clouz dont on le fist cloer,
Et les dignes reliques que ge ne sai nonmer :
Si a la croiz en garde ou Dex laissa pener
Son cors a granz ahanz por son peuple sauver ;
Si tint Jerusalem qui tant fait a loer,
Et le digne sepulcre ou Dex wout reposer.
Le non du Sarrazin vos doi ge bien nonmer :     
Fierrabras d’Alizandre se faissoit apeler. (Fierabras, v. 54-69)
Il voulait aussi régner sur Rome par la force et réduire en esclavage tous les gens de ce pays. Mais les habitants ne voulurent ni le supporter ni l’accepter ; c’est pourquoi il les fit massacrer et dévasta Saint-Pierre. Il y tua le pape qu’il fit mourir dans la souffrance et exerça ses violences sur les nonnes, les moines et les couvents ; puis il emporta la couronne, si digne de vénération, dont le roi [Hérode] fit couronner Jésus sur la croix, le suaire et les clous avec lesquels on le fit clouer, et les vénérables reliques dont je ne puis dire le nom. Ainsi a-t-il sous sa garde la croix où Dieu laissa supplicier son corps dans de grandes souffrances pour sauver son peuple. Il possédait aussi Jérusalem, si digne de vénération, et le Saint Sépulcre où Dieu voulut reposer. Je dois bien vous dire le nom de ce Sarrasin : il se faisait appeler Fierabras d’Alexandrie.

 

      La pire des fautes porte parfois en elle-même sa capacité de rachat et permet au plus horrible criminel de s’amender et de trouver les sentiers de la grâce. Le sacrifice du pape décapité par Fierabras n’aura peut-être pas été totalement vain et sera compensé par la conversion du païen à la foi chrétienne comme dans une sorte de Communion des Saints.

 

>suite
retour<
sommaire

[8] Assassinat dans une église, au pied d’un autel, qui n’est pas sans rappeler celui de Thomas Beckett dans la cathédrale de Canterburry en 1170.