Sciences cognitives
Quand il s’agit de décrire la ligne, la langue propose une distinction entre écriture et dessin. Du point de vue sémantique, le mot « gribouillis » pourrait nommer un processus de conception plus en amont par rapport à cette distinction, mais son sens s’attache avant tout à l’aspect confus d’un trait indéfini. La lecture se défend cependant de toute perception sélective. En face du support, le processus réceptif et constructif de la lecture est automatique et indivisible. Le caractère holistique de la lecture se reflète également dans l’acte créateur :
Tous [les signes scripturaux et non scripturaux] participent à une organisation du support comme surface d’inscription susceptible à la fois de recevoir les traces et d’assurer leur transformation. Ils permettent de penser le travail de l’élaboration du texte à travers une dynamique matérielle de la trace [8].
Lecture et écriture
Avant de s’avancer sur le terrain cognitif, le rapport étroit entre lecture et écriture doit être défini. Pour
l’écrivain comme pour le lecteur, la lecture et l’écriture participent à chacune de leurs activités. D’un côté, l’écrivain
écrit en étant le premier lecteur et, de l’autre, le lecteur perçoit le support en construisant une représentation mentale : « Au fond, lire est
peut-être une manière de réécrire un brouillon - un brouillon analogue (et) sans cesse renouvelé, à jamais oscillant entre le Même et
l’Autre » [9]. Lecture et écriture ne sont plus perçues comme des processus distincts, leur parallélisme renforce la
dynamique cognitive vis-à-vis du support. Reste à savoir de quelle manière le modèle cognitif aborde une création composite.
La première approche du ms. 1 b CW est d’emblée marquée par la présence du dessin. Il est impossible de ne pas
l’apercevoir avant ou pendant la lecture. L’imaginaire se sert donc de la ligne graphique pour construire la lecture. Comme le précise Lynn Van de Wiele, la dynamique du
processus cognitif se diversifie en fonction de la ligne :
Même au niveau de base que constitue l’instant de reconnaissance perceptive, l’écrit verbal et le tracé graphique se distinguent par une appréhension linéaire et consécutive pour le premier et par une vision d’ensemble qui se réalise d’emblée pour le second. La liberté dans l’interprétation qu’autorise la non-codification du langage graphique va de pair avec une interprétation à la fois lente, puisque moins prévoyante, et holistique liée à une vision d’ensemble immédiate [10].
Du point de vue cognitif, la théorie du double codage d’Allan Paivio explique la façon dont le processus de perception traite le langage ainsi que les objets non-verbaux :
La cognition humaine est unique dans sa spécialisation du traitement simultané du langage et des objets et événements non-verbaux. De surcroît, le système du langage est particulier dans son traitement direct des données en entrée et en sortie (sous forme de l’énonciation et de l’écriture) en servant simultanément une fonction symbolique en relation avec des objets et événements non-verbaux ainsi que des comportements. Toute théorie de la représentation doit accommoder cette double fonctionnalité [11].
Le double codage établit une structure de traitement du tracé verbal et non-verbal [12]. Paivio postule deux systèmes sous-jacents.
D’un côté, les images sont automatiquement classées dans le système imagens et dans le système logogens, de l’autre, les
éléments verbaux sont uniquement traités sur le plan du logogens [13]. Cette différence quantitative est un des
arguments permettant d’expliquer la supériorité de l’image dans le traitement cognitif.
Les psychologues cognitifs Valérie Gyselinck et Hubert Tardieu vont plus loin dans l’analyse du processus de la construction de la
compréhension. Ils constatent une progression analogue dans les théories de la compréhension du langage de P. N. Johnson-Laird et de Walter Kintsch [14].
La théorie de Johnson-Laird s’appuie sur un cycle en trois étapes. Le lecteur construit tout d’abord une représentation à
partir de graphèmes et de phonèmes. Une représentation propositionnelle s’en dégage par la suite. Elle est traitée sémantiquement pour construire enfin
un modèle mental qui joue un rôle central dans le processus participatif et constructif de la lecture
C’est une représentation mentale qui intègre aussi bien le texte que le monde désigné par le texte. Un modèle mental est un modèle interne d’un état des choses. Sa structure est analogue à l’état des choses représentées par le modèle. En tant que représentation dynamique, le modèle mental reflète la compréhension actuelle du texte par le lecteur. Le modèle est mis à jour au fur et à mesure que la lecture avance [15].
Le modèle triparti de Kintsch intitulé Construction - Intégration opère dans la mémoire à court terme. Celle-ci fait à son tour partie d’une architecture plus complexe [16]. Pendant la première phase, celle de la construction, un système de production s’active chez le lecteur pour coordonner la construction d’un réseau de connaissances. Il fonctionne à partir de règles faibles qui génèrent un ensemble d’éléments plus ou moins pertinents. Une représentation linguistique va consolider cet ensemble. L’étape suivante est la construction d’un réseau propositionnel. Si le réseau bénéficie de l’apport de connaissances à partir d’expériences acquises par le lecteur, il se transforme en un réseau propositionnel élaboré. Enfin l’intégration des données est initiée à partir de ce réseau associatif de nouds propositionnels.