Sur le seuil des collections phototextuelles
de portraits de pays pour la jeunesse

- Laurence Le Guen
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Fig. 1. D. Darbois, Fr. Mazière, Kai Ming
le petit pêcheur chinois
, 1957

Résumé

Les collections phototextuelles d’ouvrages pour la jeunesse qui donnent à voir la vie dans les autres pays, désignées par les chercheurs sous l’étiquette de « portraits de pays », n’ont pas de désignateur propre au sein des maisons d’édition. Pourtant, elles sont facilement identifiables dès leur seuil. Cet article ambitionne de mettre à jour et d’analyser les dispositifs de ces péritextes, que les concepteurs, généralement les éditeurs, invitent à franchir pour aller explorer de nouveaux territoires, en prenant appui sur trois collections françaises publiées des années 1950 à 1980 : « Enfants du monde », « Connais-tu mon pays ? » et « L’enfant et l’univers ».

Mots-clés : photolittérature, portraits de pays, péritexte, collections

 

Abstract

The phototextual collections of children's books that show life in other countries, referred to by researchers as "country portraits", do not have their own designation within publishing houses. However, they are easily identifiable from the very beginning. This article aims to update and analyze the devices of these peritexts, which the designers, generally the publishers, invite to cross to explore new territories, based on three French collections published from the 1950s to the 1980s: "Enfants du monde", "Connais-tu mon pays ?" and "L'enfant et l'univers".

Keywords: picturebooks, peritext, collections

 


 

Les collections phototextuelles d’ouvrages pour la jeunesse qui donnent à voir la vie dans les autres pays ont une réalité effective des deux côtés de l’Atlantique depuis la fin du XIXe siècle et les premiers photographes voyageurs. Si elles connaissent leur apogée dans les années 1920 et 1930 aux Etats-Unis, c’est après la Seconde Guerre mondiale et pendant les Trente glorieuses qu’elles se développent en Europe, et particulièrement en France.

Plusieurs collections marquent ce champ éditorial français. Si la plus étudiée par les chercheurs [1] reste la collection des « Enfants du Monde » [2], un recensement effectué pour l’ouvrage 150 ans de photolittérature pour les enfants [3] met à jour de nombreuses autres séries des années 1950 jusqu’à aujourd’hui et qui méritent d’être analysées.

Ces collections, désormais désignées par les chercheurs sous l’étiquette de « portraits de pays » depuis les recherches théoriques conduites par le professeur David Martens, n’ont pas de désignateur propre au sein des maisons d’édition. Pourtant, qu’elles prennent la forme de romans d’aventures, de carnet de voyage, de journal de bord ou d’albums, plus ou moins illustrés de photographies, elles sont facilement identifiables et ce, dès leur « Seuil », terme sous lequel Gérard Genette désigne « ce par quoi un texte se fait livre et se propose comme tel à ses lecteurs et plus généralement au public » [4]. Cet article ambitionne donc de mettre à jour et d’analyser les dispositifs de ces seuils, que les concepteurs, généralement les éditeurs, invitent à franchir pour aller explorer de nouveaux territoires. C’est en nous appuyant sur les collections « Enfants du monde », « Connais-tu mon pays ? » [5] ou encore la série « Petit prince » au sein de la collection « L’enfant et l’univers » [6] publiée par la maison G.P. Rouge et Or que nous analyserons ces éléments placés autour du texte, en respectant l’ordre de la rencontre avec le portrait de pays et en nous limitant à l’immédiat espace autour du texte, son péritexte : format, collections, couverture, titres, nom de l’auteur, pages de garde, page de titre.

 

Quand la photographie impose le format

 

Selon G. Genette, « L’aspect le plus global de la réalisation d’un livre – et donc de la matérialisation d’un texte à l’image du public – est sans doute le choix de son format »  [7]. Ce dernier, en littérature jeunesse, varie en fonction de la place que l’on accorde à l’image car « ce n’est pas le texte qui impose que le livre soit le plus grand du monde. Ce n’est pas le texte qui impose sa forme allongée ou étirée, c’est l’image qui bouge le livre, l’allonge, le diminue, l’étire ou l’agrandit » [8], constate Nathalie Prince.

Les premières collections de portraits de pays pour adultes comme pour enfants voient le jour en France essentiellement après la Seconde Guerre mondiale, période dans laquelle on ne voyage pas encore beaucoup. Les images du globe rapportées par les photographes-reporters nourrissent la soif de découverte et connaissent le succès dans la presse puis à la télévision. Les portraits de pays pour adultes comme pour enfants accordent une large place à cette image photographique. Reproduite dans des albums de grand format – 26 cm pour les livres de la collection « Enfants du monde », 32 cm pour les livres de la collection « L’enfant et l’univers » et seulement 23 cm pour la collection « Connais-tu mon pays ? » – elle impose aux livres sa dimension rectangulaire, se déployant sur toute la surface de la couverture, de la première à la quatrième. Une fois franchi le seuil de cette couverture, elle s’installe sur les pages de titres, pour la collection « Connais-tu mon pays ? » et « L’Enfant et l’univers », puis sur toute la surface de la page ou de la double page dans les trois collections, ignorant ou jouant avec la pliure centrale.

 

Un cahier des charges identique d’une couverture à l’autre

 

Ces ouvrages qu’ils s’adressent à de jeunes lecteurs ou à de plus âgés, sont rassemblés sous forme de « collections de portraits de pays qui se révèlent particulièrement formatées » [9] constate David Martens au sujet des livres pour adultes. Il en est de même pour les ouvrages à destination du jeune public.

Toutes les couvertures de ces collections de portraits phototextuels de pays en littérature jeunesse associent le portrait photographique d’un enfant ou d’un couple d’enfants [10], surmonté ou surplombant, un titre dont la forme est caractéristique du modèle du portrait. Natacha la petite Russe, Yalbo le petit Congolais, En Grèce avec Périclès, ou encore Le petit prince de Ceylan. Cette forme très épurée, un prénom ou un nom accolé à celui d’un pays, désigne ce dont il est question dans l’ouvrage : la découverte d’un pays par le biais de l’enfant qui figure en couverture. L’emploi de cet adjectif « petit » renvoie à la taille du personnage et caractérise également son statut d’enfant. Quant au prénom, il est régulièrement typique du pays décrit concentrant toutes ses caractéristiques dans sa phonétique : Natacha la petite Russe, Kai Ming le petit pêcheur chinois, En Grèce avec Périclès, au Japon avec Harumi (fig. 1).

 

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[1] Voir à ce propos les articles de Frédérique Lemarchant, « Dominique Darbois et la collection "Enfants du monde". La photographie entre fiction et documentaire », Strenæ , n° 8, 2015 (en ligne. Consulté le 30 juillet 2022) et de Laurence Le Guen, « Abolir les frontières en littérature jeunesse : la tentative des albums photographiques des années 1950 à travers l’exemple d’Horoldamba le petit Mongol », Strenæ, n° 11, 2016 (en ligne. Consulté le 30 juillet 2022), ainsi que Laurence Le Guen, « De l’album photographique pour adultes au docu-fiction pour la jeunesse. La reprise et la circulation des images dans les années 1950 en France », Image & Narrative, vol. 22, 2021 (en ligne. Consulté le 30 juillet 2022).
[2] Créée et développée par la photographe française D. Darbois et publiée de 1953 à 1975 par la maison d’édition Nathan.
[3] Laurence Le Guen, 150 ans de photolittérature pour les enfants, Nantes, MeMo, 2022. On trouve également les collections « Ronde du Monde »   aux éditions Mame.
[4] Gérard Genette, Seuils, « Points Essais », Paris, Seuil, 2002, p. 8.
[5] La collection « Connais-tu mon pays ? » compte quinze volumes publiés et réédités entre 1960 et 1969. Si les textes sont tous signés C. Mercier-Nast, les photographies sont signées de photographes différents et bien souvent locaux.
[6] La collection « L’enfant et l’univers » est lancée en 1968 et compte 48 titres. Tous les ouvrages ne sont pas des portraits de pays, à l’image des Aventures de Pinocchio de Collodi en 1972.
[7] Gérard Genette, Seuils, Op. cit., p. 21.
[8] Nathalie Prince, La Littérature de jeunesse, pour une théorie littéraire, Paris, Armand Colin, 2010.
[9] David Martens, « Qu’est-ce que le portrait de pays ? Esquisse de physionomie d’un genre mineur », dans Poétique, n°184, 2018, p. 251. Il faut noter d’ailleurs que le nom de la collection est présent seulement sur la série publiée « Connais-tu mon pays ? » par Hatier.
[10] Lors de nouvelles rééditions, les couvertures de la collection « Connais-tu mon pays ? » pourront accueillir d’autres membres de la famille, offrant ainsi d’autres visages du pays, troublant le lecteur qui ne sait pas toujours identifier l’enfant dont il est question dans le titre.