Portraits de pays en collection pour
la jeunesse dans le fonds du CRILJ

- Florence Gaiotti et Eléonore Hamaide-Jager
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Fig. 16. Cl. Veillères, S. Duffet, Leila, Réda
et Anissa vivent au Maroc
, 2009

Collection « Enfants d’ailleurs », La Martinière Jeunesse : richesse, diversité, complexité des pays

 

Cette collection, créée en 2005 chez La Martinière Jeunesse, est dirigée par Laure Marshall et Philippe Godard qui a réalisé quelques titres en tant qu’auteur. Les dernières publications datent de 2013. La collection est conséquente, totalisant vingt-sept titres et quatre rééditions.

Au fil des titres, sa visibilité en tant que collection tient en partie à une maquette très identifiable mais aussi à l’homogénéité iconographique puisqu’une seule et même illustratrice, Sophie Duffet, en a assuré l’ensemble des images dessinées, alors que les textes sont produits par des auteurs à chaque fois différents, sollicités pour leurs connaissances des pays [25].

Dans cette collection, la plus récente de notre corpus, on peut noter quelques évolutions concernant les pays présentés par rapport aux autres collections [26]. Ainsi les pays européens sont moins présents, toutefois ceux qui sont choisis, l’Espagne mise à part, sont moins fréquemment abordés comme la Pologne ou la Roumanie. Les pays d’Afrique sont en revanche plus présents : les pays du Maghreb ainsi que l’Egypte sont en quelque sorte des incontournables mais des pays comme l’Afrique du Sud ou le Rwanda font plutôt figures de nouveaux venus. Enfin, on peut également noter la présence de pays du Proche-Orient, plus rares dans les collections consacrées aux pays : la Turquie mais aussi le Liban, l’Iran, ou encore la ville de Jérusalem et celle de Bethléem. Ces évolutions marquent l’intérêt pour des territoires qui ne sont pas forcément perçus comme des lieux touristiques ou exotiques mais qui sont dignes d’intérêts culturels, politiques ou économiques contemporains. Le présent du verbe « vivre » utilisé confirme bien la volonté d’aborder le pays par ses réalités contemporaines. Ainsi, l’ouvrage sur le Rwanda, Guy-Noël, Victor et Flore vivent au Rwanda, par exemple, parait en 2009, quinze ans à peine après le génocide et insiste tout particulièrement sur la manière dont trois jeunes de ce pays, l’un Hutu, l’autre Tutsi et la troisième qui appartient à la minorité des Twas vivent dans un pays marqué par les massacres. On peut également mentionner dans une perspective similaire, l’ouvrage consacré à Jérusalem et Bethléem, Rachel vit à Jérusalem, Nasser à Bethléem (2006) qui tente d’exposer la situation très complexe d’Israël et de la Palestine [27].

Adressée à des enfants entre neuf et douze ans, la collection est nettement dans la lignée d’autres ouvrages évoqués plus haut, notamment par le choix d’enfants comme prisme d’entrée dans le pays concerné. Cependant elle se singularise, comme on a pu déjà le dire ci-dessus, par le choix de plusieurs enfants qui vont permettre, selon les pays, de présenter des différences sociales, culturelles ou politiques. De fait, les « enfants-prismes » évoluent dans des espaces, des communautés, des milieux différents, ce qui permet d’une part d’aborder de manière plus diverse la réalité du pays concerné et de souligner que la richesse du pays est liée aussi à l’altérité et à la diversité qui le compose. La découverte de l’altérité n’est plus seulement associée au pays étranger en soi, mais à la diversité même de chacun des pays [28].

Pour ne prendre qu’un exemple, la Russie est présentée à travers trois enfants, l’un vivant dans la banlieue de Moscou, l’autre en Sibérie et enfin le troisième appartenant à la communauté des Tatar, musulman et vivant à Kazakh [29]. Suivre chacun de ces enfants permet ainsi d’aborder tout à la fois l’histoire ancienne mais aussi récente, pour expliquer leur mode de vie, bien différent l’un de l’autre. Le choix d’une pluralité d’enfants semble donc répondre à une volonté de restituer la complexité des pays.

 

Focus sur un ouvrage : Leila, Réda et Anissa vivent au Maroc (2009)

 

Suivant la maquette générale, l’ouvrage propose sur la première de couverture une image photographique représentant un seul enfant (ici, une petite fille berbère) alors que le titre annonce la présence de trois enfants. Ce sera d’ailleurs le même cas, dans la plupart des ouvrages de la collection, à l’exception par exemple de Rachel vit à Jérusalem et Nasser à Bethléem où l’on voit de dos deux garçons (et non un garçon et une fille) l’un palestinien, l’autre israélien. Dans le cas du Maroc, sur la partie gauche de la couverture sont reproduits des zelliges, caractéristiques de l’architecture décorative marocaine.

L’entrée dans le pays s’effectue à travers plusieurs sortes de cartes – sur la page de garde une représentation esthético-symbolique du territoire suivie d’une carte topographique dessinée – puis par le biais d’une histoire brève du pays, associée à une photographie en noir et blanc renvoyant au passé.

La présentation se décline enfant par enfant, « Leila, jeune fille de la Médina », « Reda, " bidonvillois " de Casablanca », « Anissa, Bergère du Haut-Atlas », chaque partie comportant une dizaine de pages.

L’ouvrage ne possède ni sommaire, ni index, ni table des matières, autant de signes qui pourraient le rattacher à une des formes canoniques du documentaire. La proportion, identique pour tous les ouvrages consultés, entre photographies et dessins de l’illustratrice est de 1/3 de photographies et de 2/3 de dessins.

L’ouvrage cherche à imposer une gamme de couleurs données comme spécifiques du pays évoqué : ce seront ici le bleu et l’ocre, pour le Maroc. (Page de garde, page de titre, la deuxième carte esthético-typographique). Les zelliges évoqués plus haut viennent ponctuer les entrées de parties, avec des variations de couleur pour chaque enfant et territoire : bleu pour Leïla de Fès, vert pour Réda de Casablanca, rouge pour la bergère du Haut-Atlas, rappelant respectivement la couleur des poteries, celle du toit de la grande Mosquée ou des montagnes (fig. 16).

Si chaque enfant est le mode d’entrée dans le pays, on n’en suit pas pour autant la vie quotidienne, contrairement à ce qui est annoncé dans le propos éditorial. Le parcours pour chaque enfant représentant d’un territoire marocain se fait plutôt par adjonction/agrégation d’informations sociologiques, anthropologiques, géographiques, historiques.

Les enfants, comme nous l’avons dit, sont représentatifs d’un milieu social et culturel, rattachés à des espaces – la bourgeoisie fassie, les habitants des bidonvilles de Casablanca, les paysans du Haut-Atlas – et à des types d’habitat – ryad dans la médina, bidonville, maison en pisé – décrits de manière précise mais avec des tonalités variées : la description assez détaillée du bidonville ne se fait pas sur la tonalité lyrique utilisée pour celle du ryad !

 

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[25] Ainsi Philippe Godard, co-directeur de la collection a écrit plusieurs titres en lien avec les connaissances qu’il a des pays d’Amérique Latine et d’Asie : Shubha, Jyoti et Bhagat vivent en Inde (2005) ; Rigoberta, Juan et Marta vivent au Guatemala (2008) ; Julia, Nestor et Cesar vivent en Argentine (2011) ; Inés, Álvaro et Juanita vivent en Espagne (2012). Aleida, Raysel et Vilma vivent à Cuba (2011). Alexandre Messager, auteur de Ahmed, Dewi et Wayan vivent en Indonésie (2006), est un journaliste spécialiste de l’Asie.
[26] Voir le tableau en annexe.
[27] La critique de Jacques Vidal-Naquet dans La Revue des livres pour enfants est d’ailleurs assez mitigée sur cet ouvrage-là : il salue la tentative d’explication d’une situation très compliquée, la neutralité de la présentation mais souligne aussi les manques, liés pour lui notamment à l’entrée par l’optique de la vie quotidienne des enfants. (La Revue des livres pour enfants, n° 232, 2006, p. 56).
[28] Dans la collection des Enfants de la terre du Père Castor, deux titres impliquaient deux enfants : Nikolaus et Thomas, les jumeaux du Tyrol, (1979), deux garçons appartenant donc à la même famille, Claire et Pascal, enfants de mariniers, (1981), issus du même milieu.
[29] Maïa Werth, Sofie Duffet, Sacha, Andréï et Turar vivent en Russie, La Martinière Jeunesse, 2006.