La littérature de jeunesse, comme le rappellent Francis Marcoin et Christian Chelebourg [1], peut avoir des visées diverses : édificatrices, éducatives, ludiques. Sans doute, la dimension prédominante de cette production à destination de jeunes lecteurs est la visée éducative. Il s’agit, par la fiction ou par le documentaire, bien souvent entremêlés d’ailleurs, d’éveiller la curiosité de ces lecteurs, de les faire accéder à des savoirs sur le monde. Le XIX^e siècle, fort des progrès de la science a pu proposer de nombreuses publications de vulgarisation scientifique mais n’est pas en reste non plus sur la découverte de territoires, parfois imaginaires, parfois réels. Ainsi, l’un des ouvrages de référence de cette littérature, longseller depuis sa parution en 1877, jusque dans les années 1950 est l’ouvrage de George Bruno, Le Tour de France par deux enfants, manuel scolaire de lecture qui, sous une forme de documentaire narrativisé, dresse le portrait géographique, économique, culturel de la France sous la Troisième République. Grâce à une abondance de gravures et de cartes, les écoliers ont alors accès à un savoir quasi encyclopédique sur les différents territoires français traversés par les deux protagonistes. Le Tour devient un genre, qui finalement pourrait aussi s’apparenter, par plusieurs aspects, à ce que David Martens définit comme un portrait de pays. Au tout début du XX^e siècle, un autre monument de la littérature de jeunesse pourrait être associé à une forme de portrait de pays, celui de la suédoise Selma Lagerlöf, Le Merveilleux Voyage de Nils Holgerson, initialement prévu pour être un manuel de géographie. La fantaisie et la dimension littéraire en plus, c’est aussi en somme, un portrait de pays que propose le roman de Lagerlöf, à travers ses réalités géographiques, animales et végétales, culturelles.

On pourrait également associer au genre du « portrait de pays », certains ouvrages de la collection « La joie de connaitre » des Editions Bourrelier parus pour une partie dans l’entre-deux-guerres : cette collection est sans doute l’une des premières à proposer des images photographiques pour présenter des territoires comme Le Sahara ou encore Les Caraïbes. La présence d’une table des matières rattache les ouvrages à la catégorie naissante du documentaire. Les ouvrages présentant des espaces en explicitent les spécificités géographiques, climatiques, végétales et animales, ethnologiques mais aussi les caractéristiques économiques et administratives, non sans quelques éloges du colonialisme.

Les ouvrages issus du fonds CRILJ (Centre de recherche et d'information sur la littérature pour la jeunesse) qui vont nous intéresser s’inscrivent dans une autre forme encore, celle de l’album où l’image prend une place plus conséquente par rapport au texte. Dans les années 1950, des collections en album proposent une approche spécifique des pays, par le prisme de figures enfantines. Contemporaines d’autres collections adressées à des publics adultes, comme Petite Planète [2], deux séries d’albums, l’une au Père Castor, l’autre chez Nathan sont souvent identifiées comme les premiers modèles du genre. Les ouvrages de notre corpus paraissent dans la période postérieure entre la fin des années 1970 et les années 2010.

Il s’agira pour nous d’abord de présenter les diverses collections présentes dans le fonds en nous demandant en quoi elles peuvent porter les marques de ces modèles antérieurs, mais aussi de quelle manière elles s’en distinguent, par le choix des pays sélectionnés, l’approche même des pays, par la place et les fonctions des textes et des images ou encore par la place et la fonction des enfants présents dans les ouvrages. Après avoir rappelé quelques éléments concernant les deux séries de référence, nous ferons d’abord une présentation des collections identifiées comme des portraits de pays, avant de nous centrer sur quatre propositions éditoriales de périodes différentes.

Des modèles de référence aux ouvrages du fonds CRILJ

Deux collections classiques devenues des modèles incontournables

Sans revenir en détail sur les deux collections parues respectivement au Père Castor et chez Nathan, dont Christophe Meunier a proposé des analyses conséquentes auxquelles nous renvoyons [3], nous souhaitons reprendre quelques caractéristiques pour souligner combien elles s’imposent comme des modèles, en tout cas comme des références incontournables, en premier lieu dans leur approche très différente au lendemain de la guerre de regarder l’autre et en particulier le non-occidental.

Tout d’abord, la collection « Les enfants de la Terre » est parue dans le cadre des albums du Père Castor. Les albums, publiés entre 1948 et 1983, proposent aux enfants de 7 à 13 ans des albums au format à l’italienne. Le but est de « donner une idée vivante, sympathique et pittoresque de la manière de vivre dans les différents pays du monde ». Les enfants sont présentés dans leur environnement. Ces albums sont d’abord confiés à des explorateurs et ethnologues dont le célèbre Paul-Emile Victor, auteur du best-seller de la collection qui est aussi le premier titre, Apoutsiak le petit esquimau [4]. Il cède la place à des auteurs qui ont des origines étrangères ou un intérêt particulier envers le pays qu’ils décrivent. Comme le souligne Christophe Meunier, la collection du Père Castor se concentre majoritairement sur l’Europe et le continent américain mais il considère que « "Les Enfants de la Terre" veut présenter aux petits Français des territoires qui sont ou qui furent des territoires de l’ancien empire colonial français, la Tunisie, les Antilles, la Corse, le Sénégal, le Congo-Brazzaville mais également la Guyane, le Québec » [5] (fig. 1).