Portraits de pays en collection pour
la jeunesse dans le fonds du CRILJ

- Florence Gaiotti et Eléonore Hamaide-Jager
_______________________________

pages 1 2 3 4 5 6 7 8

Fig. 2. D. Darbois, F. Mazière, Kai Ming le petit
pêcheur chinois
, 1957

Fig. 3. S. Assathiany, E. Souppart, Vivre aux
USA
, 1987

Fig. 4. B. Fontanel, N. Wilson, L’Espagne, 1988

En 1952, Fernand Nathan lance la collection « Les Enfants du monde » qui veut directement concurrencer celle de Paul Faucher, avec des ambitions similaires d’ouverture au monde. Si les deux collections inscrivent l’enfant dans ses relations sociales et familiales, dans un environnement géographique et culturel mais aussi dans leur quotidien, de l’école aux loisirs en passant éventuellement par le travail, en revanche leurs formes vont être diamétralement opposées. Pour les vingt volumes de la collection, Dominique Darbois écrit les textes, forte de l’expérience vécue avec un anthropologue, Francis Mazière, et réalise les photographies. Chaque album se présente dans un format à la française, composé de quarante pages et se centre sur la journée d’un enfant. Un véritable travail de mise en page est effectué avec un graphiste qui va jouer sur la construction des images, sur des touches de couleurs et sur la typographie. Ces procédés sont justement là pour aider le lecteur à entrer dans les images, quand la photographie a été longtemps décriée dans les livres pour enfants pour son manque de lisibilité et sa profusion de détails. Chaque album suggère un parcours de l’œil sinon de lecture (fig. 2).

La collection donne une image beaucoup plus homogène de la Terre que la collection du Père Castor, en déclinant des pays ou des espaces appartenant à tous les continents, même si l’Afrique est assez peu représentée. La dimension artistique de la photographie est présente pour valoriser la beauté des enfants et des lieux, mais contrairement à une approche vidalienne, « l’aspect physique et les contraintes du milieu ne sont pas présentés comme une donnée factuelle de départ mais comme élément naturel auquel l’être humain s’est adapté » [6].

 

Les ouvrages du fonds CRILJ

 

Nous avons fait le choix de construire notre corpus en nous appuyant sur le fonds d’archives du CRILJ (Centre de Recherche et d’Information sur la Littérature pour la Jeunesse) déposé à l’université d’Artois. Cette association loi 1901 créée en 1965 continue à être un lieu de ressources et un promoteur de projets associatifs et institutionnels dans le domaine des livres pour l’enfance et la jeunesse. Ces archives se répartissent entre, d’une part, les livres accumulés au fil des envois par les éditeurs (environ 40 000 ouvrages), et les dossiers de presse qui les accompagnent, les notes de lecture rédigées par les membres de l’association, les courriers échangés entre les différents acteurs du monde du livre, mais aussi des médias, et du monde éducatif, les traces de manifestations autour du livre entre le milieu des années 1960 et l’orée des années 2010. Même si ces ouvrages n’attestent pas de l’ensemble de la production puisque le fonds s’est construit à partir de services de presse, la diversité des ouvrages recensés nous a semblé suffisamment significative de choix éditoriaux, de constantes et d’évolution pour permettre des analyses. Nous avions deux critères initiaux pour sélectionner les ouvrages. Ces livres devaient présenter un pays, un territoire ou un espace et appartenir à une collection œuvrant à la « mise en évidence de l’identité du pays » comme le rappelle David Martens [7]. Entre les années 1970 et les années 2010, nous avons identifié douze collections différentes.

Nous avons donc focalisé notre attention sur une douzaine d’ouvrages, tous issus de collections adressées à la jeunesse, et qui sont parus entre 1980 pour le plus ancien, qui relève d’une collection créée en 1969, « L’Enfant et l’univers » et 2009 pour le plus récent, issu d’une collection « Enfants d’ailleurs » chez La Martinière Jeunesse créée en 2005 et arrêtée en 2013. Les collections dont ces ouvrages sont issus n’étaient pas forcément complètes dans le fonds du CRILJ mais il y avait deux à huit ouvrages par collections que nous avons complété par d’autres sources. Nous ferons quelques constats généraux avant de nous concentrer sur quatre ouvrages de collections différentes. Dans les tableaux, les collections en gras sont analysées plus longuement dans la deuxième partie de l’article.

 

Repères chronologiques

 

Les années 1970-1980

 

  Nombre de titres Durée Format Pages

Collection « L’Enfant et l’univers » chez GP-Rouge et Or

48 1969-1980 32x23 cm 32
Collection « Découverte Benjamin » chez Gallimard 9 (consacrés aux pays dans une collection plus encyclopédique, 48 titres jusqu’en 2004, puis nouvelle numérotation et réédition de certains titres) 1984-2015 19x12 cm 32
Collection « Globe-Trotter » chez Larousse, sous-titrée « les pays ont une histoire » 11 (sur 17 « les animaux ont une histoire » et pour deux titres « les fleuves ont une histoire ») 1987-1988 18x13 cm 92

 

Les deux collections des années 1980, à visée éducative, se focalisent principalement sur d’autres objets que les pays, dans des formats presque similaires, assez petits, contrastant avec un des critères du portrait de pays. La collection « découverte Benjamin », dirigée par Laurence Ottenheimer chez Gallimard (fig. 3), se décline sur un temps long et s’actualise pour certains titres, vite datés comme lorsqu’il est question du président Reagan ou d’une télévision américaine avec vingt chaînes seulement. Quelques auteurs sont récurrents comme Bernard Planche mais les illustrateurs sont différents pour chaque ouvrage, avec une variété dans la mise en page. La collection se veut une encyclopédie accessible aux enfants, qui s’appuie sur une équipe d’enseignants. Dans les ouvrages consacrés aux pays, elle passe en revue les territoires, en se centrant sur deux ou trois villes et quelques espaces sauvages, sur les traditions culinaires, sur certaines fêtes comme Halloween pour le livre sur les Etats-Unis et la journée d’école afin de renvoyer à un contexte connu des enfants lecteurs.

Chez Larousse, la collection « Globe-Trotter » aborde des sujets plus directement historiques et fait le choix de sujets porteurs du documentaire pour enfants, à savoir les animaux, mais les pays sont au centre de la plupart des ouvrages. L’orientation affichée est double : la découverte d’un territoire et de son histoire. Les titres sortent tous sur une période très ramassée (fig. 4).

Chaque volume est doté d’une table des matières, d’un petit dictionnaire général et parfois d’un dictionnaire spécifique comme celui de la tauromachie pour l’Espagne et d’annexes variant d’un pays à l’autre. Le nombre de pages est identique mais les entrées sont variables et semblent propres à chaque pays. Tous les ouvrages accordent une part conséquente à l’histoire du pays, les autres entrées s’adaptent à la spécificité du pays : plus d’un tiers de l’ouvrage sur l’Australie est consacré à la faune et à la flore, alors qu’un tiers de l’ouvrage sur la Grande-Bretagne se focalise sur la vie et l’éducation anglaises. L’organisation de l’ouvrage sur l’Espagne met en avant les régions. Toutes les images sont des dessins ou peintures. Les cartes n’ont pas forcément une place assignée, et leur aspect varie, mais elles sont plutôt topographiques. Les pages de garde aux allures de gravure se centrent les éléments les plus représentatifs du pays : l’architecture pour la Grande-Bretagne et l’Espagne, les animaux pour l’Australie.

 

>suite
retour<
sommaire

[6] Christophe Meunier, « Construire une géographie pour les enfants des années 1960-1970 », art. cit., §27.
[7] David Martens, « Qu’est-ce que le portrait de pays ? Esquisse d’un genre mineur. », Poétique, n° 184, Le Seuil, 2018, p. 251.