Portrait du Brésil en collections jeunesse.
Le cas de l’album Dada « Poésie et chanson
brésiliennes » chez l’éditeur Mango (2005)

- Daiane Francis Fernandes Ferreira
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L’ouvrage ne précise pas de critères spécifiques pour le choix des auteurs ou des textes. Mais, en général, on constate que tous les auteurs sont des références majeures de la sphère artistique et culturelle brésilienne, et que la plupart d’entre eux sont encore très connus aujourd’hui, ce qui permet d’émettre que la popularité des auteurs a pu être un critère de sélection. Il convient également de noter que sur les dix-neuf auteurs, seuls trois sont des femmes – malgré une présence féminine déjà considérable dans la littérature brésilienne à l’époque. De même, on constate qu’aucun critère thématique de sélection des textes n’est manifestement explicite dans l’ouvrage, et on peut en dire autant de l’ordre des textes. Ce qui est perceptible, c’est un mélange entre des thèmes qui ont à voir avec les sentiments humains, la nature et les gens. Certes, le thème des textes est présenté comme un voyage (la mer, la valise, l’évasion, la référence aux attraits touristiques, etc.), ce qui correspond aux caractéristiques du portrait de pays et peut être considéré comme le fil conducteur. C’est l’élément qui met en évidence l’existence d’un possible point commun entre les textes. Cependant, si ce fil conducteur renforce la notion de portrait de pays à partir du sens du voyage, il ne dépeint pas une expérience enfantine d’aventure, d’excursion ou de voyage de vacances comme le laisserait attendre l’âge des lecteurs et lectrices attendus.

En étudiant la réception numérique des lecteurs, par exemple, il est possible de trouver des commentaires attirant l’attention sur ce problème précis : « […] Je suis d’ailleurs étonnée que ce livre soit destiné aux jeunes, car mis à part quelques textes, l’ensemble me semble plutôt réservé aux adultes […] » [16]. L’internaute s’interroge sur l’âge des lecteurs auxquels l’œuvre est destinée, mais en fait l’éloge sous différents aspects et parvient à identifier la « brésilianité » dans l’œuvre, notamment parce qu’elle perçoit dans le livre quelque chose d’exotique et de mystique souvent associé au Brésil et à la culture latino-américaine de manière générale. Une telle perception ne provient pas d’une simple coïncidence. L’exotisme et le mysticisme sont deux composantes esthétiques souvent explorées par les médias lorsqu’il s’agit de l’Amérique du Sud. D’une certaine manière, sont composantes toujours présentes dans l’industrie cinématographique et aussi dans le marché de l’édition, tant dans les éditions destinées aux enfants que dans celles destinées aux adultes. En effet : « [...] l’éditeur n’est pas uniquement la personne qui se charge de transformer un texte manuscrit en un objet commercialisable. Sa place dans le système littéraire lui permet de sélectionner et de promouvoir les ouvrages littéraires, en portant ses choix sur telle ou telle préférence esthétique » [17].

Ce qui est, ou n’est pas, mis en évidence au sein d’une œuvre étrangère relève de choix éditoriaux, qui sont aussi liés à un système basé sur la consommation et l’intérêt de son public. Certains éléments, y compris modèles esthétiques clichées, sont plus commercialisables que d’autres. Il est possible de percevoir un retour volontaire de l’imaginaire de certains pays, de préférences esthétiques déterminées, du maintien d’une image romancée ou attrayante de certaines cultures. Pourtant, on serait en droit d’attendre de la littérature jeunesse qu’elle se détache de ces prisons conceptuelles sur la diversité des peuples en éveillant son lectorat aux littératures étrangères.

Parfois, la dynamique accélérée imposée par la vie moderne, par les nouvelles technologies et même par la division du temps scolaire elle-même, affecte et modifie le ressenti des jeunes. Et comme le souligne C. Haroche, « les manières de sentir reflètent un état donné des conditions de la sensorialité. Les évolutions contemporaines entraînent des formes de sensorialité inédites : elles révèlent, participent et induisent des transformations profondes dans les processus de subjectivation et les types de personnalité » [18].

L’industrie de l’édition détient un grand pouvoir en ce qui concerne non seulement la formation littéraire des jeunes, mais aussi leur personnalité. Elle a une influence significative sur la formation des futurs citoyens d’une société démocratique et hétérogène qui a besoin de sujets ouverts au dialogue, aux différences et à l’autre. Le regard critique constant sur les œuvres disponibles sur le marché est une activité qui ne peut être négligée. Les portraits de pays pour enfants sont de plus en plus présents dans les différents espaces de circulation et d’éducation des enfants. Cette présence est très importante et nécessaire, mais en plus de la garantir, il faut également prêter attention aux nuances cachées dans les livres et mêlées aux différentes ressources imagées et textuelles utilisées pour attirer l’attention des enfants.

Une culture étrangère se compose de nombreux détails, différences et particularités et, pour sensibiliser le lecteur à ces différences à travers les œuvres littéraires, il faut d’abord avoir été sensibilisé et avoir enlevé ses lunettes du sens commun. Ce n’est qu’à ces conditions que les portraits de pays pour enfants pourront agir à long terme de manière pleinement positive et efficace dans la constitution de la subjectivité des jeunes lecteurs, vers, enfin, le développement de leur sensibilité aux différences culturelles et au vivre ensemble.

 

Lançant l’ancre : derniers mots

 

D’un point de vue historique, interculturel et éditorial, le livre Poésie et chanson brésiliennes apporte une importante contribution au processus de diffusion internationale des littératures brésiliennes et, malgré ses lacunes, il représente une première étape dans la déconstruction des vues stéréotypées sur le pays constamment reproduites. L’ouvrage peut être considéré comme une invitation du domaine de l’édition à explorer les différents aspects de la culture brésilienne en échappant aux idées toutes faites, et serait, également, une première initiative vers la connaissance du pays.

En ce qui concerne le jeune lecteur de littérature, il est très important de souligner la pertinence de la médiation d’un lecteur averti. Dans le cadre de l’enseignement littéraire, il existe une différence ténue entre le lecteur réel et le lecteur attendu, ainsi qu’une distinction importante entre la lecture plaisir et la lecture savante, nourrie de références et prélude à l’analyse. La formation de la sensibilité à travers la littérature passe par l’équilibre de chacun de ces axes. A la lumière de cette approche, Poésie et chanson brésiliennes met en évidence des éléments suffisamment polyphoniques pour stimuler un dialogue entre les éléments susmentionnés (plaisir, technique).

Enfin cette étude fait la preuve qu’un transfert culturel n’est pas déterminé par un souci d’exportation fidèle, mais par la conjoncture du contexte qui le reçoit et qui détermine ce qu’il veut accueillir, car comme le dit Michael Bakhtin [19], « le silence nous dit beaucoup », et ce que l’on choisit d’importer, ou pas, d’un patrimoine national étranger nous dit encore plus.

 

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[16] Commentaire extrait de la communauté virtuelle de lecteurs Babelio (en ligne. Consulté le 19 juillet 2022)).
[17] Claude Le Bigot, Carole Egger, Christine Rivalan Guégo, Claire Sourp, Questions de littérature générale Espagne et Amérique Hispanique, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, « Didact espagnol », 2015, p. 26.
[18] Claudine Haroche, L’Avenir du sensible : les sens et les sentiments en question, Op. cit., p. 209.
[19] Michael Bakhtin, Marxismo e filosofia da linguagem, São Paulo, Hucitec, 2014.