Portrait du Brésil en collections jeunesse.
Le cas de l’album Dada « Poésie et chanson
brésiliennes » chez l’éditeur Mango (2005)

- Daiane Francis Fernandes Ferreira
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L’ouvrage Poésie et chanson brésiliennes, publié en 2005 par les éditions Mango, permettra de comprendre comment les portraits de pays pour enfants peuvent contribuer à ce processus de constitution du sujet lecteur et comment l’univers éditorial perçoit et reconnaît l’autre à travers la création de ces œuvres. Il est composé de 44 pages dont les dimensions approximatives sont comprises entre 26,5 cm et 29,5 cm. Ce livre appartient à une collection de poésie pour la jeunesse intitulée « Albums Dada », une initiative éditoriale qui propose un voyage dans le monde et le temps à travers la poésie. Cette collection rassemble des recueils de poèmes composés aux quatre coins du monde et à différentes époques, comme la poésie arabe et algérienne, la poésie allemande, chinoise et américaine, et aussi la poésie médiévale et surréaliste. Le recueil poétique consacré au Brésil diffère de façon singulière des autres œuvres déjà citées qui composent la collection. Et la collection, en sa totalité, diffère également des formats spécifiques des collections de portraits de pays pour enfants que l’on trouve traditionnellement, comme les journaux intimes et les récits de voyages. Elle ambitionne de construire l’imaginaire international de son lecteur à travers la traduction de différents poèmes de poètes du pays en question et offre à son lecteur une expérience littéraire avec à la fois la poésie dans la langue d’origine du pays et la version traduite pour le français. En ce qui concerne l’expérience imagée, elle mélange différentes techniques graphiques (collage, gravure, tissage etc.), suggérant non seulement un voyage sur le territoire géographique du pays de destination, mais aussi dans son folklore et ses traditions populaires.

L’ouvrage consacré au Brési l apporte aux enfants francophones, des éléments particulièrement importants pour r éfléchir sur le pays et contribue également à leur prise de conscience de la diversité de l’Amérique Latine. Mais, surtout, il introduit la littérature de jeunesse brésilienne dans le domaine d’édition en France alors qu’elle semble encore perdue dans l’étendue et dans la variété du marché éditorial français destiné aux enfants. L’exemple le plus représentatif de la littérature brésilienne pour enfants en France est la traduction du classique Mon Bel Oranger de José Mauro de Vasconcelos, qui a été adapté au cinéma [6] et s’est vendu à un grand nombre d’exemplaires en France – on estime que plus d’un million de livres ont été vendus, obtenant un excellent accueil critique et un succès significatif dans le domaine de la littérature de jeunesse. Ensuite, plusieurs autres livres brésiliens de jeunesse et sur le Brésil ont été traduits et publiés en France, mais jamais avec le même retentissement. Aujourd’hui, les efforts pour maintenir vivante la mémoire d’une littérature enfantine brésilienne dans l’imaginaire du jeune public français contemporain persistent avec, par exemple, la maison d’édition Anacaoana, fondée en 2009, qui traduit des œuvres de la littérature jeunesse brésilienne et promeut la culture brésilienne en France depuis une décennie. Actuellement, la littérature de jeunesse brésilienne apparaît discrètement sur le marché éditorial français sous forme de petites vagues dans une mer calme et presque immobile, ce qui justifie également l’importance et l’urgence de s’intéresser de plus près au corpus évoqué.

 

Naviguer sans frontières à travers le corpus : stratégies éditoriales

 

En 2005, la collection « Albums Dada » consacre sa nouvelle anthologie à la poésie et à la chanson brésiliennes en regroupant des poètes et chanteurs brésiliens des XIXe et XXe siècles. A cette époque – et encore aujourd’hui, sans doute – la poésie brésilienne était très peu connue en France à l’instar de tous les autres genres littéraires produits par des écrivains brésiliens destinés à un jeune public. Cependant, contrairement à la production écrite, la production musicale brésilienne était déjà plus répandue au début des années 2000 [7], avec certains chanteurs brésiliens tels que Chico Buarque et Vinicius de Moraes déjà considérés comme des stars. On peut se demander en ce sens si une des stratégies éditoriales adoptées par Mango pour la promotion de Poésie et chanson brésiliennes n’était peut-être pas de tenterd’établir un dialogue entre ces deux univers parallèles très représentatifs d’une culture nationale : la musique et la littérature.

Ainsi, Poésie et chanson brésiliennes accueille poètes et chanteurs brésiliens, jouant sur la relation entre la sonorité poétique et la sonorité musicale, et jouant également sur le public cible de l’anthologie, car en pariant sur la publication de certaines chansons, l’éditeur ambitionne également de diversifier son lectorat élargissant considérablement le public de l’ouvrage. Aucun des précédents opus de la collection « Albums Dada » ne proposait un mélange de musique ou de chansons régionales du pays en question, ce qui montre que le mélange de ces deux genres artistiques (musical et littéraire) a été un choix exclusif et tactique pour l’ouvrage brésilien de la part de l’équipe éditoriale. En 2005, année de parution de Poésie et chanson brésiliennes, il y avait déjà cinq publications dans la collection : la poésie algérienne, la poésie allemande, la poésie américaine, la poésie arabe et la poésie chinoise – aucune de ces publications antérieures ne proposaient de mélange entre la musique et la poésie du pays en question. Un tel choix pour l’anthologie brésilienne est présenté à la fois comme une stratégie éditoriale visant à accroître le nombre des lecteurs de l’ouvrage et sa portée, et comme un petit trait idéologique qui met en évidence les perceptions de l’équipe éditoriale sur le pays en question. Il reflète la vision d’un Brésil mixte ou d’un pays au répertoire poétique limité qui a dû recourir au genre musical pour remplir le livre – ce qui traduit une marque subjective de l’opinion de l’éditeur sur sa lecture du pays d’origine.

D’autre part, l’année 2005 – année de la publication de l’album Poésie et chanson brésiliennes – a été consacrée comme l’année du Brésil en France et la relation franco-brésilienne a été célébrée par les gouvernements des deux pays. A cette occasion, plusieurs événements ont été organisés dans la sphère académique, dans les associations interculturelles, dans les écoles de langues et dans le domaine des arts. Au cours de la même année, le 7e Festival du Cinéma Brésilien de Paris a eu lieu et le Festival Musical de la France (Fête de la Musique) a été organisé avec un format spécial dont les productions musicales brésiliennes faisaient partie. Dans ce contexte, l’insertion de chansons brésiliennes dans l’album Dada dédié au Brésil, peut aussi faire partie d’une stratégie éditoriale pour composer le scénario des échanges culturels qui ont émergé cette année-là entre la France et le Brésil. Trace d’une action éditoriale stratégique visant à honorer le pays et/ou à profiter de la grande visibilité dont il bénéficiait cette année-là.

 

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[6] Marcos Bernstein, Meu pé de laranja lima (Mon Bel Oranger), VOSTF Film, Brésil, 2013.
[7] Il faut remarquer que la musique brésilienne est déjà très bien connue en France depuis les années 1960 avec l’album phare de Stan Getz, qui propulse la chanson The Girl from Ipanema au rang de tube, et Claude Nougaro, Henri Salvador, Michel Jonasz et France Gall qui popularisent également la musique brésilienne.