Résumé
Notre étude s’inscrit dans le champ scientifique de la production éditoriale de portraits de pays destinés au jeune public. A partir de l’analyse de Poésie et chanson brésiliennes (Albums Dada, Mango. 2005), nous mettons en évidence les nuances de certaines stratégies éditoriales de promotion d’une littérature étrangère en réfléchissant à la contribution des portraits de pays dans le processus de sensibilisation des jeunes lecteurs à la diversité. Les conclusions démontrent l’importance des portraits de pays pour enfants dans la diffusion des cultures étrangères, mais elles attirent l’attention sur certaines représentations culturelles appauvries et sur leur influence dans le processus de sensibilisation du jeune lecteur.
Mots-clés : portraits de pays, Brésil, littérature de jeunesse, diversité
Abstract
Our study is part of the scientific field of the editorial production of portraits of Countries intended for young audiences. From the analysis of Poésie et chanson brésiliennes (Albums Dada, Mango. 2005), we highlight the nuances of some editorial strategies for the promotion of foreign literature, reflecting on the contribution of Country Portraits in the process of sensitizing young readers to diversity. The findings demonstrate the importance of Children’s Portraits of Country in the dissemination of foreign cultures, but draw attention to certain impoverished cultural representations and their influence in the process of raising young readers’ awareness.
Keywords: country Portraits, Brazil, children’s Literature, diversity
Un dialogue entre portraits de pays et littérature de jeunesse
« Il n’existe pas d’arts mineurs » (Jean Cocteau, Préface au Mystère de la chambre jaune de Gaston Leroux)
Depuis sa conception, la littérature de jeunesse a soulevé plusieurs questions relatives à sa représentativité dans les sphères artistiques, sociales, culturelles et historiques. Actuellement, la littérature de jeunesse est encore à la recherche de son espace dans le domaine académique et les problèmes soulevés au fil du temps font encore écho dans la contemporanéité [1], comme la question de son véritable public destinataire, de son langage, de son biais éducatif et de son fort recours à l’image lié à l’industrie culturelle [2]. Cette étude s’intéresse aux dispositifs éditoriaux et paratextuels au service de la promotion et sensibilisation d’une littérature étrangère pour le jeune public ; dans ce cas précis, au service de la promotion d’une littérature de jeunesse étrangère d’origine latino-américaine conçue dans un contexte de portrait de pays.
Les portraits de pays pour enfants occupent aujourd’hui une place importante sur le marché de l’édition destinée aux enfants. Il s’agit d’œuvres qui visent à évoquer d’autres pays et à décrire leurs différences territoriales, culturelles et historiques pour le jeune public. La conversion des pays en objets à décrire (par des mots) et à illustrer (par des photographies ou des dessins) est l’une des principales définitions de ces œuvres. Bien que les portraits de pays soient populaires et faciles à trouver, cette appellation n’est pas enregistrée dans l’édition et auprès des lecteurs, elle se présente principalement dans le domaine académique entre universitaires : « le terme est encore peu usité pour désigner ces ouvrages destinés à présenter des territoires par la photographie et les mots, pourtant le genre existe, bien qu’il ne soit pas ainsi désigné par les éditeurs » [3].
Tout comme leur nomenclature, leur classification dans la sphère littéraire pose d’autres questions. Si les portraits de pays pour enfants constituent une sorte de catégorie de la littérature de jeunesse, en revanche, il est difficile de les définir de manière standardisée et objective, car, bien qu’ayant le même propos – la présentation d’un pays – il s’agit d’œuvres changeantes qui, au cours de leur propre histoire, ont subi d’importantes modifications et pris des formats différents, ce qui ne permet pas de les soumettre à une catégorisation rigide. Ce sont des œuvres qui sont encore à la recherche de l’affirmation de leur identité dans la sphère littéraire. Au cours de cette quête et au fil du temps, les portraits de pays se sont emparés de certains genres littéraires qui répondaient à la fois à la possibilité de l’expérience esthétique et de l’expérience excursionniste. Parmi ces genres figurent les journaux d’aventure (journaux de voyageur), les romans et, le plus souvent, les récits de voyage – qui, dans l’univers de la littérature de jeunesse, ont été le plus souvent accompli par des personnages enfants (donc du même âge que leur lecteur cible) avec l’idée de sensibiliser à la diversité et de développer l’esprit critique des jeunes lecteurs. Ces livres se construisent précisément autour de cette proposition de liberté, d’expérience de la nouveauté, d’acquisition de la connaissance du monde, de l’altérité, de la solidarité et d’une attitude plus humaniste à l’égard des différences. Ce sont des livres qui sont configurés comme des séries consciemment pensées pour encourager chez leur jeune lecteur les comportements mentionnés, et qui constituent des collections déterminées et articulées par le fil de l’interculturalité. Vouloir œuvrer à la paix entre les peuples, par exemple, est à l’origine de la création d’un grand nombre de ces collections en Europe après la Seconde Guerre mondiale.
Ce sont ces éléments liés à la subjectivité et à la sensibilisation du public lecteur qui font l’objet de la présente analyse où les artifices éditoriaux (textuels et/ou imagés) utilisés dans un portrait de pays destiné aux enfants pour la promotion de l’œuvre et l’éventuelle sensibilisation de l’enfant seront identifiés et étudiés. En réfléchissant sur ces portraits de pays pour enfants, en tant que catégorie, nous envisageons de déterminer le type d’expérience interculturelle vers laquelle le jeune lecteur est conduit lorsqu’il lit un de ces ouvrages. De même, il convient de mieux définir le rôle de ces livres dans la constitution de la sensibilité et de la bibliothèque intérieure des enfants [4] face à une nouvelle culture, face aux différentes manières d’être, de vivre et de concevoir la réalité dans une société qui survalorise le moi et efface l’autre. En ce sens, la littérature jeunesse joue un rôle très important dans la formation intérieure des sujets et sur ce point du développement de la sensibilité, Claudine Haroche écrit que nous devons tous « avoir la possibilité de réfléchir, d’être actif dans la pensée ; éprouver certes des sensations diffuses, passagères, intenses, mais encore pouvoir éprouver des sentiments – durables, profonds – permettant de penser, de percevoir et de reconnaître l’autre, et de le respecter » [5].
[1] Voir Nathalie Prince, La Littérature de Jeunesse, 2e édition, Paris, Armand Colin, 2015.
[2] Voir Theodor Adorno, Teoria da Semicultura, Porto Velho, editora Universidade Federal de Rondônia, 2005 et Educação e Emancipação. Rio de Janeiro, Paz e Terra, 2006.
[3] Laurence Le Guen, Littératures pour la Jeunesse et Photographie, mise à jour et étude analytique d’un corpus éditorial européen et américain, des années 1860 à aujourd’hui, thèse de doctorat en littérature française, Université Rennes 2, 2019, p. 76.
[4] Sur la notion de bibliothèque intérieure des jeunes lecteur, consulter les productions dans le domaine de la didactique de la littérature. A titre de suggestion, voir Annie Rouxel, Aspectos metodológicos do ensino de literatura, dans Leitura de Literatura na Escola, Maria Amélia Dalvi, Neide Luzia De Rezende et Rita Jover-Faleiros (dir.), São Paulo, Editora Parábola, 2013, pp. 17-34. Voir aussi Annie Rouxel, Gérard Langlade et Neide Luzia de Rezende, Leitura Subjetiva e Ensino de Literatura, São Paulo, Alameda, 2013.
[5] Claudine Haroche, L’Avenir du sensible : les sens et les sentiments en questio n, Paris, Presse universitaire de France, 2008, p. 226.