Cet adulte sur la couverture du livre, fait référence aux traditions folkloriques des régions du nord et du nord-est du Brésil. L’adulte tient les mains de l’enfant comme pour l’entraîner dans une aventure imaginaire spécifique : une aventure au cœur des fêtes brésiliennes. Cependant, d’autres éléments à l’intérieur du livre font douter qu’il puisse être pensé pour guider un enfant étranger à travers les traditions du Brésil, dans le cadre d’un portrait de pays. Certes, au fil des pages des traces de la culture brésilienne apparaissent, mais elles ne sont pas accompa gnées de titres ou de descriptions et peuvent être confuses pour un lecteur enfant non-spécialiste qui ne dispose pas encore d’une bibliothèque intérieure diversifiée ni de souvenirs antérieurs sur le pays. Contrairement à ce que l’on trouve couramment dans les portraits de pays pour enfants, le livre Poésie et chanson brésiliennes reste dans le domaine de l’immatériel et de l’abstraction, échappant à la règle des formats traditionnels des portraits de pays dans les collections jeunes publics qui proposent de parler objectivement d’un pays et d’une culture différents et qui, selon le point de départ de l’analyse, peut être à la fois positif ou négatif. Les principales caractéristiques des portraits de pays sont associées à la prédominance de protagonistes du même âge que leur lecteur – en l’occurrence, des enfants ou des adolescents qui vivent une grande aventure dans le pays en question –, à l’abondance de couleurs qui font mention du drapeau national du pays présenté, à la description des villages, des coutumes et des principaux lieux touristiques nationaux, et à une tendance à préserver l’enfant lecteur des éléments culturels choquants. Aucune de ces caractéristiques n’apparaît de manière prononcée dans l’œuvre Poésie et chanson brésiliennes ; au contraire, la présence de l’adulte prend le pas sur celle de l’enfant à l’intérieur de l’œuvre (il y a plus de photographies/illustrations d’adultes que d’enfants), l’accent n’est pas mis sur les aspects territoriaux, et bien que certaines fêtes folkloriques et traditions populaires apparaissent dans les illustrations, elles ne sont pas nommées ou expliquées, et peuvent facilement passer inaperçues. C’est le cas du costume typique appelé Baiana, traditionnel de la région de Bahia identifiant les femmes qui pratiquent la religion candomblé.
L’indécision créée par la composition éditoriale, et qui est peut-être le résultat d’une tentative pour ne pas tomber dans le stéréotype, très fréquent dans les œuvres de ce genre, finit par aboutir à un double conflit entre la focalisation sur la beauté d’un Brésil régional et sensible tourné vers sa propre essence d’une part et de l’autre sur un Brésil marqué par la pauvreté et les problèmes sociaux. L’illustratrice mentionne la légende du Boi Bumba [10], la sirène, le Lampião Cangaceiro [11], l’arrière-pays, l’accordéon, le forró [12], et, parmi les différentes illustrations, il y a un personnage avec un pistolet rose, un autre pistolet qui sort d’une valise poussée par-dessus une falaise, il y a le football pieds nus, la favela et les maisons mal finies (fig. 4).
Tout cela dans le but d’illustrer les différentes facettes du pays mais sans vraiment parvenir à donner un reflet fort et puissant du Brésil. Cette même hésitation est perceptible dans l’œuvre lorsqu’elle illustre l’hétérogénéité du peuple brésilien. L’un des principaux objectifs des portraits de pays est de sensibiliser le lecteur à la diversité, et cette intention, en particulier, est largement explor ée dans le livre, qui tente visiblement de déconstruire certains points de vue très restrictifs couramment diffusés du pays d’origine, comme le carnaval, l’Amazonie, le culte du corps et les plages brésiliennes. Cependant, malgré des photographies de personnes aux caractéristiques physiques variées (blancs, noirs, blonds, bruns), des vêtements différents et placées dans des situations multiples, la tentative éditoriale, pour ne pas encore tomber dans le piège des stéréotypes, aboutit à l’image d’un pays sans identité et sans caractéristiques propres, facilement confondu avec d’autres régions d’Amérique Latine. Certaines images se perdent dans la pluralité des références externes et finissent par représenter d’autres peuples [13] et d’autres pratiques culturelles qui ne sont pas très courantes au Brésil et relèvent d’autres régions d’Amérique [14].
Ces conflits ont généré des réverbérations dans la réception des lecteurs et la tentative éditoriale d’élargir le public de l’œuvre, d’échapper aux lieux communs et de parier sur une abstraction excessive a fini par soulever des doutes sur des éléments qui devraient être très clairs dans un projet éditorial pour la jeunesse, comme l’assignation à une tranche d’âge. Bien que le recueil soit destiné aux jeunes, une grande partie de la composition textuelle et de la scénographie du livre semble avoir été conçue pour les adultes [15].
Les poèmes et les chansons brésiliennes qui composent l’ouvrage, aucun n’a été écrit à l’origine pour les enfants, c’est à travers d’autres éléments de composition de l’œuvre (format, couleurs, images), que se dessine l’invention d’un lecteur juvénile.
Au total, 19 textes ont été sélectionnés, dont de la poésie ou des chansons de différents auteurs :
NOM DE L’AUTEUR (POÈTE/COMPOSITEUR) |
TITRE DU TEXTE |
Raimundo Correia (1860-1911) |
Le Crépuscule |
Joaquim Machado de Assis (1839-1908) |
La Mouche bleue |
Milton Nascimento (1942) |
Clou de girofle et cannelle |
Dailor Varela (1945) |
Quotidien nº 1 |
Antonio Carlos Jobim (1927-1994) |
Corcovado |
Vicente de Carvalho (1866-1924) |
Thème ancien |
Adriano Espinola (1952) |
Fuite |
Belchior (1946) |
Tout barbouillé de rouge à lèvres |
Chico Buarque de Hollanda (1944) |
Carolina |
Carlos Drummond de Andrade (1902-1987) |
Confession |
Jorge Amado (1912-2001) |
Qu’il est doux de mourir en mer |
Regine Limaverde (1949) |
Office |
Ângelo Monteiro (1942) |
La Valise |
Zila Mamede (1929-1985) |
Les Bœufs endormis |
Carmelita Fontes (1933) |
Promogénèse |
Vinicius de Moraes (1913-1980) |
La Terre promise |
Dorival Caymmi (1914-2008) |
Marina |
Roberto Carlos (1941) |
Ma mer |
Dorian Gray Caldas (1930) |
Le « pauvre pêcheur » de Gauguin |
[10] Cette légende du folklore brésilien intégrée à la culture de la région amazonienne raconte l’histoire d’un bœuf ressuscité par une tribu indigène pour sauver un couple d’esclaves.
[11] Personnage très représentatif de l’histoire du Nordeste brésilien, il faisait partie d’un groupe de personnes protestant contre l’injustice sociale aux XIXe et XXe siècles dans la région.
[12] Rythme musical d’origine brésilienne, considéré comme une expression artistique et une manifestation de la culture brésilienne.
[13] Femmes mexicaines, p. 11 ; garçon en costume africain/arabe, p. 7.
[14] Danses traditionnelles originellement cubains et argentins, p. 21.
[15] Il est entendu que la catégorisation de la litté rature comme littérature pour enfants fait aussi partie du goût de l’enfant, et que c’est elle, l’enfant, qui classe et qualifie sa propre littérature malgré les critères actuels utilisés dans la production d’œuvres destinées aux enfants. De même qu’il est entendu aussi que la chanson et la poésie se définissent par des frontières très ténues, d’une part, considérées comme des frontières inexistantes, d’autre part, des frontières imperceptibles. Mais, il n’est pas question ici de discuter ces nuances de la définition théorique des objets, mais de s’en tenir purement et simplement à ce que propose le corpus de l’étude et à ce qui peut ressortir de ces propositions.