Le sculptural chez George MacDonald :
création divine, artistique et poétique

- Ian Grivel
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Il reprend plusieurs fois cette idée, comme dans son poème Concerning Jesus où il présente sa vision d’un monde modelé par un Dieu-sculpteur :

 

Si tu avais été sculpteur, quelle race
De formes divines eût alors peuplé la terre !
Il me semble te voir, glorieux ouvrier, te tenir,
Tes coups faisant surgir de l’espace opaque une fenêtre de marbre – 
Le reflet de ton visage sur le visage naissant,
Tandis que, sous ta main, la statue sort de la pierre –
Corps obéissant aux ordres de son âme,
Qui est ta pensée, et l’informe avec grâce !
Ainsi en eût-il été. Mais Dieu, qui stimule l’argile,
Sans la transformer en marbre, qui fait des yeux,
Non des creux sombres où ne peuvent danser les rayons du soleil,
Façonna enfin sa pensée la plus noble sous apparence humaine :
Tu apparus en effet, marchant inconnu de par le monde,
Sculpture vivante de Dieu, toute informée de Dieu [7].

 

Jésus devient donc ici lui-même la plus parfaite des sculptures divines, une statue vivante modelée par son Père pour descendre parmi les humains afin de les sauver. On retrouve cette image dans un sonnet où Jésus est à nouveau présenté comme l’ultime sculpture de Dieu :

 

Dieu qui modèle une argile de plastique vivant,
Faisant fulgurer ses pensées à partir des hommes aux yeux vifs,
Et non à partir de formes immobiles de marbre, immuables toujours,
Souffla son humanité sous forme humaine [8].

 

Jésus est la plus parfaite des œuvres sculptées, plus vivante et divine que toute statue créée par l’homme, portant l’essence même de Dieu.

Par ailleurs, MacDonald parle souvent de son propre rapport à Dieu au travers d’une métaphore sculpturale. Il aime à se présenter lui-même comme une création de Dieu. Il est parfois le matériau que Dieu modèle, comme dans ses poèmes The Book of Dreams (« Tu es le potier, je suis l’argile » [9]) ou An Evening Prayer (« Potier, ôte ta main de l’argile / Qui tournoie sur ta roue » [10]). On trouve également cette image dans son ouvrage The Diary Of An Old Soul, où le poète s’adresse à Dieu en ces termes :

 

Ici, ô mon potier, se tient ton matériau !
Lance ta roue ; laisse-la ronronner ludiquement.
Les fêlures en moi, les pierres, la paille, le sable,
Trie et rejette-les d’une main capable,
Et fais un vaisseau de cette argile malléable [11].

 

Ou encore :

 

Tu m’as, telle une statue, taillé à l’état brut,
Souhaitant enfin me façonner parfaitement [12].

 

Notons cependant que cette analogie l’amène parfois à se montrer quelque peu misogyne, présentant les femmes comme un matériau (évidemment) inférieur pour le sculpteur divin, comme dans sa nouvelle The Butcher’s Bills :

 

La plupart des femmes ne m’affectent que comme un matériau brut de valeur dont on fait des choses précieuses. (…) tant de blocs de marbre grossement taillés, plutôt, dont une Divinité façonne les bouts [13].

 

Ainsi, l’homme (ou la femme), devient selon l’image religieuse canonique un matériau, une argile façonnée par Dieu.

D’autres fois encore, au travers d’une image plus personnelle, George MacDonald rêve de devenir plus qu’une simple créature et de se transformer en l’un des outils de Dieu, l’aidant dans sa création. Dans The Carpenter, le poète exprime ainsi son désir d’être un instrument divin ou du moins, si cela n’est pas possible, un imitateur en créant lui aussi, comme devrait le faire tout bon artisan ou sculpteur, des œuvres dignes de Dieu :

 

Seigneur, que ne suis-je une simple scie,
Un rabot, un ciseau, dans Ta main ! –
Non, Seigneur ! Une crainte révérencielle m’y fait renoncer,
Une telle prière pour moi est bien trop grandiose.

 

Je t’en prie, Ô Maître, (…) manie-moi,
Transforme-moi en quelque chose de bon.

 

(…)

 

Ainsi, à mon établi, mon bureau, ou à la rame,
Avec un couteau ou une aiguille, une voix ou un stylo,
Comme Toi auparavant à Nazareth,
J’accomplirai la volonté de Notre Père à nouveau [14].

 

Accepter sa nature humaine, c’est donc accepter avant tout d’être une créature sculptée par Dieu. Même les artistes, les poètes, doivent se soumettre à lui, et reconnaître qu’ils sont des créations avant d’être des créateurs eux-mêmes. Il met d’ailleurs en garde ses frères artistes contre toute forme d’hybris. Selon MacDonald, il faut se garder de vouloir égaler l’œuvre divine et au contraire se souvenir que sa propre création artistique, n’est rien comparée à celle de Dieu : « Celui qui se prend pour le charpentier découvre qu’il n’est rien d’autre que le ciseau, ou bien peut-être le maillet, dans la main du véritable ouvrier » [15].  Même lorsqu’il crée, l’artiste doit se rappeler que Dieu est sa source d’inspiration, et ses mains ne sont alors que les outils au travers desquels la volonté divine s’exprime pour donner forme à de nouvelles créations.

Dans la vision de George MacDonald, le poète est donc à la fois créateur et création. Il est certes créateur de mots et de paroles, mais aussi et surtout créature de Dieu. Il est tout autant un sculpteur-modeleur de textes et un être sculpté par la parole et la volonté divines. C. S. Lewis, son disciple, reprendra et développera cette idée dans ses réflexions théologiques : « Le monde est un gigantesque atelier de sculpteur. Nous en sommes les statues et une rumeur se propage selon laquelle certaines d’entre nous vont un jour prendre vie » [16]. De même, dans le film biographique Shadowlands, l’auteur du script William Nicholson a bien compris la dimension sculpturale de la pensée chrétienne de Lewis, héritée sans doute en partie de MacDonald, en faisant dire à son interprète Anthony Hopkins : « Voyez-vous, nous sommes comme des blocs de pierre dont le sculpteur taille des formes humaines. Les coups de Son ciseau, qui font si mal, sont ce qui nous rendent parfaits » [17].

 

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[7] G. MacDonald, « Concerning Jesus », Dramatic and Miscellaneous Poems, New York, Scribner, Armstrong, 1872, p. 187 : « If thou hadst been a sculptor, what a race / Of forms divine had thenceforth filled the land !/ Methinks I see thee, glorious workman, stand, / Striking a marble window through blind space – / Thy face’s reflex on the coming face, / As dawns the stone to statue ‘neath thy hand – / Body obedient to its soul’s command, / Which is thy thought, informing it with grace ! So had it been. But God, who quickeneth clay, / Nor turneth it to marble – maketh eyes, / Not shadowy hollows, where no sunbeams play – / Would mould his loftiest thought in human guise : / Thou didst appear, walking unknown abroad, / God’s living sculpture, all-informed of God ». Cette image d’un Jésus créé comme une statue revient plus bas dans le poème : « If one should say, "Lo, there thy statue ! take / Possession, sculptor ; now inherit it ; / Go forth upon the earth in likeness fit" » (p. 188).
[8] G. MacDonald, « Eighteen Sonnets, About Jesus », A Hidden Life, and Other Poems, Londres, Longman, Roberts & Green, 1864, p. 287 : « God who mouldeth in life-plastic clay, / Flashing his thoughts from men with living eyes, / Not from still marble forms, changeless alway, / Breathed forth his human self in human guise ».
[9] « The Book of Dreams », The Poetical Works of George MacDonald, vol. 1, Londres, Chatto & Windus, 1915, p. 384 : « Thou art the potter, I am the clay ».
[10] G. MacDonald, « An Evening Prayer », A Threefold Cord: Poems by Three Friends, Op. cit., p. 291: « Potter, take not thy hand off the clay / That whirls upon thy wheel ».
[11] G. MacDonald, The Diary of an Old Soul, Londres, J. M. Dent & Sons, 1913, p. 134 : « Here, O my potter, is thy making-stuff ! / Set thy wheel going; let it whir and play. / The chips in me, the stones, the straws, the sand, / Cast them out with fine separating hand, / And make a vessel of thy yielding clay ».
[12] Ibid., p. 163 : « Thou hast me, statue-like, hewn in the rough, / Meaning at last to shape me perfectly ».
[13] G. MacDonald, « The Butcher’s Bills », Stephen Archer; and Other Tales, Philadelphie, D. McKay, 1911, p. 164 : « Most women affect me only as valuable crude material out of which precious things are making [sic]. […] so many rough-hewn marble blocks, rather, of which a Divinity is shaping the ends ».
[14] G. MacDonald, « The Carpenter », The Poetical Works of George MacDonald, vol. 2, Londres, Chatto & Windus, 1893, p. 237 : « Lord, might I be but as a saw, / A plane, a chisel, in Thy hand ! – / No, Lord ! I take it back in awe, / Such prayer for me is far too grand. // I pray, O Master, (…) ply, / And work me into something good. // (…) // Then I, at bench, or desk, or oar, / With knife or needle, voice or pen, / As Thou in Nazareth of yore, / Shall do the Father’s will again ».
[15] G. MacDonald, « The Gifts of the Child Christ », Stephen Archer; and Other Tales, Op. cit., p. 33 : « He who fancies himself the carver finds himself but the chisel, or indeed perhaps only the mallet, in the hand of the true workman ».
[16] C. S. Lewis, Mere Christianity, Londres, Harper Collins, 2001, p. 159 : « This world is a great sculptor’s shop. We are the statues and there’s a rumor going around the shop that some of us are someday going to come to life ».
[17] R. Attenborough, The Shadowlands [Les Ombres du cœur], Price Entertainment, Grande-Bretagne, 1993 : « You see, we are like blocks of stone out of which the sculptor carves forms of men. The blows of His chisel, which hurt so much, are what makes us perfect ».