Résumé
George MacDonald (1824-1905) est un romancier, dramaturge et poète écossais connu pour ses ouvrages à la fois poétiques et fantastiques, marqués par la foi chrétienne. L’image de la sculpture parcourt l’ensemble de son œuvre littéraire. Tantôt elle lui permet de démontrer la dimension spirituelle d’une écriture ciselée à qui il confère une valeur performative et créatrice qui sculpte le monde par les mots. Tantôt elle lui permet d’évoquer la complémentarité des arts : le poète et le sculpteur sont les deux artisans d’une même création artistique, renvoyant elle-même à la Création divine. Appliquant ainsi sa vision chrétienne du monde, il propose une écriture sculpturale : écrire équivaut à tailler le marbre ; tenir la plume, c’est manier le ciseau. Du scriptural au sculptural, en passant par le scripturaire, MacDonald développe clairement un style à la croisée de trois expressions : le divin, le poétique et l’artistique.
Mots-clés : George MacDonald, scriptural et scripturaire, sculptural, écriture chrétienne
Abstract
George MacDonald (1824-1905) was a Scottish novelist, playwright and poet known for his fantasy fictions as well as for his poetic and Christian works. Images of sculpture run through most of his literary production. Sometimes, they allow him to demonstrate the spiritual dimension of his chiselled writing, to which he confers a performative dimension, a power of creation which can sculpt the world with words. At other times, these images of sculpture reveal the complementary nature of the different arts: the poet and the sculptor are the two artisans of the same artistic creation, itself a mirror of divine Creation. Thus applying his Christian vision of the world, MacDonald offers a sculptural form of writing: writing equates to carving marble; holding a pen is handling a chisel. From the scriptural, or Scriptural, to the sculptural, MacDonald clearly develops a style at the juncture of a triple expression: the divine, the poetic and the artistic.
Keywords: George MacDonald, scriptural, sculptural, Christian writing
There was hope in block of substantiated marble,
words could carve and set up solid altars [
1].
H. D.,
HERmione
George MacDonald (1824-1905) est un auteur écossais souvent ignoré ou peu reconnu en France mais néanmoins influent dans la littérature anglophone [2]. Il a grandi dans une famille de fermiers d’où il a retiré un lien très fort avec le monde naturel. Sa famille était pourtant atypique car elle était en même temps très lettrée : son père et sa mère étaient de grands lecteurs ; on rencontre des éditeurs et des érudits parmi ses autres parents. Il a surtout grandi dans un environnement religieux mixte, entre calvinisme, presbytérianisme, épiscopalisme et, pour une petite part, catholicisme. C’est à partir de cette éducation particulière qu’il va bâtir sa vision d’une existence à la fois poétique, fantastique et fortement marquée par la foi chrétienne.
Or c’est au sein de cette représentation particulière du monde naturel et humain qu’apparaît fréquemment l’image de la sculpture. Dans l’écriture de MacDonald en effet, le sculptural, toujours lié à un acte de création, revêt une triple dimension ; il est d’évocation divine, à portée artistique et de nature poétique. Au croisement de ces trois champs, le créateur, fût-il divin ou humain, taille, modèle ou cisèle son œuvre. Le travail même de création est donc expliqué au travers de cette métaphore avec la figure du sculpteur surgissant partout dans ses écrits, qu’il s’agisse de textes religieux, de poèmes, de romans ou encore d’une pièce de théâtre. Nous tenterons donc d’explorer sa vision religieuse de l’existence humaine ainsi que son écriture poétique du monde, toutes deux sculpturales.
« Scriptural and sculptural » : la dimension spirituelle d’une écriture ciselée
On pourrait d’abord définir le style de George MacDonald comme scriptural (en anglais, sachant que cet adjectif est polysémique), c’est-à-dire comme « scriptural » (en français), le terme renvoyant au style travaillé de son écriture, et comme « scripturaire », le terme renvoyant cette fois à l’influence des Saintes Ecritures. Notons en effet que MacDonald aime à présenter le travail de Dieu comme comparable à celui du sculpteur. Il y a selon lui une dimension spirituelle et religieuse de la ciselure qui reproduit l’acte de Création originel. Ainsi, dans ses textes religieux, MacDonald développe fréquemment l’image de la sculpture pour illustrer l’essence de la Création, décrivant par exemple la Nature comme le parfait ouvrage sculpté de Dieu : « Ses doigts ne peuvent rien toucher sans qu’il ne le modèle en quelque chose de joli » [3]. La sculpture lui sert donc premièrement d’image chrétienne dans ses écrits théologiques et dans sa poésie religieuse [4]. Dieu, le charpentier, le potier ou bien le sculpteur, crée le monde en le modelant par son esprit. La parole divine, de même que l’écriture du poète, tels les gestes du sculpteur, deviennent alors des actes de création.
Ainsi pour lui, Dieu est le sculpteur absolu, cet « Artiste immortel » qui façonne les hommes comme des statues, par sa voix comme par sa main [5]. Grâce à sa parole performative Dieu compose et forge le monde de même que les êtres vivants, il les sculpte en les disant. Mais sa main également est celle d’un sculpteur. L’ouvrage divin est donc décrit en termes de sculpture, comme dans cette maxime The Art of Being Created, où l’auteur présente l’Homme comme étant moulé ou ciselé par Dieu :
Laisse à la patience son parfait travail. Statue sous le ciseau du sculpteur, prépare-toi aux coups de son maillet. Argile sur la roue, laisse les doigts du divin potier te modeler selon leur volonté. Obéis au moindre mot de Notre Père [6].
L’être humain est comme une statue qui doit accepter patiemment les coups de ciseau divins, c’est-à-dire accepter son destin qui va forger son caractère et le modeler en cet être voulu par Dieu. Etre un bon croyant pour MacDonald, c’est obéir à Dieu en se laissant façonner par lui.
[1] H. D. [Hilda Doolittle], HERmione (1927), New York, New Directions Publishing, 1981, p. 76 (NdE: « Il y avait de l'espoir dans le bloc de marbre à toute épreuve / Les mots pouvaient sculpter et ériger des autels solides »).
[2] Il a été influent par ses poèmes, ses écrits religieux, mais aussi et surtout par ses romans de fiction, étant notamment un précurseur de la fantasy en littérature de jeunesse, dans la mesure où ses textes oscillent entre romans féeriques et contes fantastiques. De nombreux auteurs le reconnaissent comme un mentor (C. S. Lewis ou Lewis Carroll) ou du moins comme une source d’inspiration, en Grande-Bretagne (W. H. Auden, J. M. Barrie, J. R. R. Tolkien, Edith Nesbit), mais aussi aux Etats-Unis (Lyman Frank Baum ou Mark Twain).
[3] G. MacDonald, Annals of a Quiet Neighbourhood, New York, G. Routledge & Sons, 1890, p. 211 : « His fingers can touch nothing but to mould it into lovelines » [Nous traduisons toutes les citations].
[4] Voir par exemple la fin de son poème « Death and Birth », The Poetical Works of George MacDonald, vol. 2, Londres, Chatto & Windus, 1893, p. 25.
[5] G. MacDonald, « Of the Son of Man », A Threefold Cord : Poems by Three Friends, Londres, W. Hughes, 1883, p. 164 : « Above all statues now / Immortal Artist hail ! thy work is wrought ! »
[6] G. MacDonald, « The Art of Being Created », George MacDonald. An Anthology, édité par C. S. Lewis, New York, Macmillan, 1978, p. 100 : « Let patience have her perfect work. Statue under the chisel of the sculptor, stand steady to the blows of his mallet. Clay on the wheel, let the fingers of the divine potter model you at their will. Obey the Father’s lightest word [...] ».