Le livre d’artiste, une création en miroir – Interactions entre peintre et poète
Entretien avec Michel Mousseau

- Marianne Simon-Oikawa
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E. Sarner et M. Mousseau,
Simples merveilles, 2018

E. Sarner et M. Mousseau,
Simples merveilles, 2018

E. Sarner et M. Mousseau,
Simples merveilles, 2018

Zéno Bianu : D’une certaine manière, Jazz, réalisé en compagnie de Michel Mousseau et sous la houlette de Virgile Legrand, reprend, étoffe et réorchestre toute ma vision du livre d’artiste. Il s’agit là, encore et toujours, inlassablement, d’ouvrir le chant. Ouvrir le chant créatif, ouvrir le champ du livre, ouvrir le champ perceptif. Dans cette perspective ambitieuse, le Jazz de Matisse s’est imposé à nous comme une sorte de partition originelle, éclairante, à partir de laquelle il convenait d’inventer à nouveau, d’improviser, pour le dire jazzistiquement, à partir d’un canevas rythmique fondateur. D’inventer un livre de compagnonnage dans l’instant et à travers le temps. Une pratique de fraternité tactile. Affinité élective ou alliage substantiel, le livre d’artiste dit toujours quelque chose du bonheur d’une rencontre. Il dit, pour un poète – par-delà ses exercices de solitude illimitée – le besoin, le désir précis autant que fougueux de frotter la poésie à d’autres champs artistiques, et notamment à cette entité prenante et singulière que j’aimerais appeler d’un seul mot : la poésiepeinture. Au-delà de la variété sidérante des formats, des mises en pages, des interventions, la poésiepeinture apparaît par excellence comme une esthétique du partage. Elle permet d’aller là où l’on n’irait pas forcément tout seul – de randonner au sein d’un espace infiniment ouvert. Elle offre un registre synesthésique, particulièrement manifeste dans notre Jazz, où l’on lit la peinture et où l’on contemple les mots. Ici, la somme des deux fait toujours plus que deux – au moins trois, si ce n’est plus… Une sorte d’avance de l’œil sur la pensée – dans une perception « flottante » où deux présences s’accompagnent et se renforcent mutuellement, tels des miroirs jumeaux. On pressent alors que le livre d’artiste remonte à la racine commune du regard et de la lecture. En quoi il se révèle toujours comme un dispositif d’émerveillement.


Marianne Simon-Oikawa : Quand nous avons préparé cet entretien dans ton atelier, tu soulignais aussi l’importance de distinguer le livre d’artiste du livre de bibliophilie.

 

Michel Mousseau : Oui, le livre d’artiste est fait à la main. C’est vrai aussi de la gravure, bien sûr, c’est fait à la main, mais ce qui est posé sur le papier n’est pas reproductible. Un livre d’artiste n’est pas reproductible. On peut faire des multiples, mais ce n’est pas la même chose. Chacun est différent, unique. C’est la matière qui joue, c’est la forme, comme dans ce dernier livre avec Eric Sarner, mais là je crois que je suis proche, curieusement, de l’illustration. Il y a 7 poèmes, j’ai choisi 7 couleurs, j’ai cherché 7 formes, qui sont des signes qui ont un sens par rapport au texte, et qui sont presque au premier degré une illustration du texte.

 

Marianne Simon-Oikawa : A la question « Illustrer ? », avec un point d’interrogation, tu réponds oui ?

 

Michel Mousseau : Je réponds « oui », avec un point d’exclamation.

 

Marianne Simon-Oikawa : Depuis le début de ce colloque nous avons parlé des différentes significations des mots « illustrer », « illustration », et de synonymes possibles comme « traduction » ou « interprétation ».

 

Michel Mousseau : J’aime les mots. C’est ce qui m’a permis d’avoir ce contact avec les poètes. Je pense que les mots sont de petites boîtes pleines de sensibilité pour chacun de nous. La première fois que j’ai pris conscience de manger une pêche, je m’en souviens, je me souviens du lieu, je me souviens des odeurs, et dans ce mot, ça y est, et c’est la même chose je suppose pour tout le monde. Sur un autre plan, et pour conclure, entre peintre et poète, ce n’est pas une question d’illustration. J’imagine que nous sommes, comme en musique, les interprètes d’une partition absolue qui n’existe pas et que nous créons, découvrons et inventons au fur et à mesure de nos réalisations. Nous avons en arrière-plan une partition absolue commune.

 

 

 

 

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