Jacques Prévert et les images fixes
- Carole Aurouet
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Fig. 2. J. Miró et J. Prévert,
Adonides, 1975

Fig. 3. J. Prévert, Portrait de
Janine
, 1943

Picasso est incontestablement le peintre avec qui Prévert entretient la relation amicale la plus complice et intense. L’auteur a toujours aimé les œuvres du peintre, avant même qu’il ne devienne son ami.

Leur collaboration débouche sur Portraits de Picasso en 1959 et Diurnes en 1962. Dans Portraits de Picasso, Villers photographie le peintre dans son atelier et Prévert écrit :

 

Quand un ami le photographie, Picasso ne pose pas, il regarde l’appareil et c’est toujours comme un diable d’une boîte qui surgit quand la photo est tirée. /L’ami ne lui dit jamais : « Ne bougez pas, le petit oiseau va sortir », car il sait bien que s’il sortait, le petit oiseau, Picasso le fascinerait  [1].

 

Dans Diurnes sont proposés des découpages de Picasso, des interprétations photographiques de Villers, des textes de Prévert, mais aussi quelques-uns de ses collages ! L’ouvrage est placé sous le sceau de l’éclectisme artistique.

Outre Picasso, Prévert est proche de Joan Miró. Ensemble, ils créent Adonides (fig. 2), du nom de cette plante herbacée aux fleurs rouges que l’auteur aime tant. Miró a une fascination pour l’écrit, qu’il intègre dans ses œuvres. C’est le caractère plastique de l’écriture qui l’intéresse avant tout. Miró a proposé une première maquette-collage qui a été refusée par Prévert. Il l’a donc retravaillée. Cette seconde maquette a enthousiasmé Prévert, qui a écrit directement sur les planches. Adonides ne paraît qu’en 1978, un an après le décès de Prévert qui avait suivi de très près son élaboration. La seule édition avec Miró de son vivant est Joan Miró aux éditions Maeght : texte de Prévert et de Ribemont-Dessaignes, avec des gravures, des eaux-fortes et des lithographies.

En 1968, Prévert et Braque font ensemble Varengeville, du nom de la commune de Seine-Maritime qui a attiré Braque et qu’il peint avec ses environs. Les peintures de Braque et les mots de Prévert s’y font écho.

Prévert confectionne également des ouvrages dans lesquels ses textes sont associés aux dessins des illustrateurs. Ce sont des livres pour les enfants qu’il est bien difficile d’éditer, car à l’époque la littérature pour la jeunesse est très peu développée sous cette forme.

Avec Elsa Henriquez paraissent Contes pour enfants pas sages, en 1947, et Guignol, en 1952. Contes pour enfants pas sages propose plusieurs contes, dont L’Autruche, qui est un détournement du Petit Poucet de Charles Perrault : une autruche avale les cailloux que le petit Poucet dépose sur son chemin ! Quant à Guignol, il présente l’histoire d’un pauvre plein d’assurance qui s’invite chez un riche égoïste…

En 1953 sort L’Opéra de la lune. Les dessins sont de Jacqueline Duhême, la partition de Christiane Verger et le texte de Prévert. Cet ouvrage à trois voix raconte les aventures d’un petit garçon, Michel Morin. Il n’a pas connu ses parents et vit chez des gens qui ne sont pas mauvais, mais qui ont peu de temps à lui consacrer.

Avec André François, Prévert signe Lettre des îles Baladar en 1952. Le titre pourrait laisser attendre un écrit épistolaire, mais ce n’est pas le cas. La seule allusion à ce genre est la couverture et la quatrième de couverture qui donnent à voir le recto et le verso d’une enveloppe. Ce livre propose une joute picturale et textuelle anticonformiste. Les calembours visuels d’André François et les jeux de mots de Prévert se répondent.

Enfin, même sans développer cet aspect, il faut préciser que Prévert prend la plume pour aider des photographes qu’il apprécie. Il leur écrit des préfaces : Couleurs de Paris de Peter Cornelius (1961), Halles. L’Album du cœur de Paris de Romain Urhausen (1963)… Prévert aide ainsi de jeunes peintres à se lancer : Emilienne Delacroix, Asger Jorn, Gérard Fromanger… Et notons qu’il écrit des textes poétiques sur Picasso, Braque, Van Gogh, Léger…

 

Jacques Prévert, l’art du collage

 

L’intérêt de Prévert pour les images fixes est constant et revêt des formes différentes. Un jour, il décide de passer à l’acte, et d’en créer à son tour.

Prévert est lucide quant à ses capacités en dessin : « Je crois que je suis doué comme un enfant de quatre ans qui n’aurait pas été doué encore… Je sais faire un bonhomme, un bonhomme et une fleur, mais c’est tout » [2]. Il ne sait ni peindre ni dessiner ni photographier. Il doit donc trouver une autre voie pour s’exprimer par l’image fixe. Et sa voie, ce sera le collage. Les collages de Prévert paraissent dans Charmes de Londres en 1952 – ouvrage réalisé en collaboration, dans lequel 60 photographies de Londres prises par Izis servent de fond aux collages du poète – et dans deux ouvrages dans lesquels textes et collages de Prévert se côtoient : Fatras (1966 / 57 collages) et Imaginaires (1970 / 27 collages). D’autres sont parus dans des catalogues [3].

A partir de quelle date Prévert pratique-t-il cette activité ?

Le premier collage qu’il a réalisé est sans doute Portrait de Janine [4] (fig. 3). Il daterait de 1943, année à partir de laquelle Janine, sa future femme, et lui vivent ensemble.

Notons que dans Les Enfants du paradis, un élément du décor de la première partie du film attire l’attention : le paravent de Garance (Arletty) dans sa loge du théâtre des Funambules. Il est décoré d’un collage de petites figurines, comme celles que Prévert utilisera. Or, le tournage de ce film débute en 1943, c’est-à-dire la même année que la confection supposée du Portrait de Janine. Il est envisageable que ce paravent-collage soit une idée de Prévert. Cette année 1943 semble bien marquer le début de sa pratique du collage, pratique qui va s’accélérer à partir de 1948 pour devenir son activité principale.

Pourquoi 1948 comme seconde année charnière ? Parce que le 12 octobre, Prévert chute de la fenêtre de la Radiodiffusion française située sur les Champs-Elysées. Il s’était accoudé pour regarder le boxeur Marcel Cerdan qui venait de remporter le titre de champion du monde et qui défilait sur l’avenue. Fenêtre montée à l’envers ? Déjeuner trop arrosé ? Peut-être les deux. Toujours est-il que Prévert a chuté sur le trottoir puis est tombé dans le coma. Il n’était plus en mesure d’écrire. Pendant sa convalescence, il s’est mis à découper et à conserver dans des cartons et des tiroirs des éléments qui lui plaisaient, et qui lui serviront pour ses collages.

 

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[1] Œuvres complètes de Jacques Prévert, Portraits de Picasso, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1996, t. II, p. 544.
[2] Jacques Prévert lors d’une interview pour la télévision suisse, « Continent sans visa », diffusée en 1969.
[3] Voir principalement : Collages. Jacques Prévert, préface de P. Soupault, textes d’A. Pozner, Paris, Gallimard, 1982 (réédition 2016), et Les Prévert de Prévert. Collages, catalogue d’exposition de la collection de l’auteur, édition établie par F. Woimant et A. Moeglin-Delcroix, Paris, BnF, 1982.
[4] Collages. Jacques Prévert, op. cit., p. 1.