Un hommage à Barbara Wright
- Roger Little

   Ancien titulaire de la chaire de français (1776),
   Trinity College, Université de Dublin

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      Professeur de littérature française à l’Université de Dublin, Trinity College, Barbara Wright est décédée dans la sérénité le 14 décembre 2019. Des tumeurs cérébrales avaient été décelées en mai 2019 : on lui donnait alors trois mois à vivre. La détermination exceptionnelle qui lui était habituelle, en l’occurrence pour achever un travail en cours, lui a permis de survivre plusieurs mois de plus. En effet, elle avait découvert le manuscrit, comportant trente-six illustrations de l’auteur, du journal d’un Voyage en Angleterre, en Ecosse et en Irlande effectué en 1824 par Edouard de Tocqueville, frère aîné du plus célèbre Alexis.
      Née Robinson le 8 mars 1935 (et comme il lui plaisait d’apprendre en 1977 que l’ONU avait désigné le 8 mars comme journée internationale de la femme !), elle avait fait sa scolarité à Dublin pour ensuite poursuivre des études de français, d’irlandais et de droit à Trinity College Dublin et enchaîner à l’université de Cambridge où elle soutint son doctorat en 1962. Sa thèse portait sur Eugène Fromentin, auteur et peintre qui allait rester au cœur de ses recherches et publications. Reconnue comme spécialiste de son œuvre littéraire et picturale, elle déployait aussi ses intérêts plus largement sur les rapports entre le verbal et le visuel au XIXe siècle, sur les écrits d’artistes et sur les correspondances littéraires.
      Enseignante, successivement, aux universités de Manchester (1960-1961), Exeter (1963-1965) et enfin Dublin (1965-2005), elle y avait été nommée à une chaire personnelle de littérature française en 1978, qu'elle occupa jusqu’à sa retraite en 2005. Acceptant volontiers de lourdes tâches administratives afin de réaliser sa vision de l’avenir de l’université, elle fut doyenne de la faculté pendant neuf ans au total, promouvant, dans une optique résolument européenne, de nouveaux cursus (langues et droit, langues, informatique et linguistique par exemple). En 1985, elle s’associa à d’autres collègues de Trinity College et de l’Université Paris 7 pour créer un cursus conjoint DEA/M. Phil., en études du texte et de l’image. En 1995, elle ajouta le diplôme de Litt. D. à celui de Ph. D.

      Son édition en 1966 à la Société des Textes Français Modernes de Dominique, l’unique roman de Fromentin, reste incontournable. En 1987, une première édition de La Vie et l’œuvre d’Eugène Fromentin en un volume devait être augmentée, grâce à ses recherches, en deux volumes en 2008 sous le titre Eugène Fromentin : visions d’Algérie et d’Egypte. Monographie révisée et catalogue de dessins qui comportent quatre cents illustrations en couleur et huit cents en noir et blanc. Le « Mai du Salon du livre d’art » de 2008 a classé l’ouvrage parmi les dix meilleurs livres sur l’art de l’année. Entre temps elle avait publié en deux volumes, de quelque 2 400 pages au total, la correspondance de Fromentin et produit en 2000 sa biographie magistrale : Eugène Fromentin: A Life in Art and Letters qui allait être traduite en français et publiée chez Champion en 2006 sous le titre : Beaux-Arts et Belles-Lettres: la vie d’Eugène Fromentin.

      Son engagement pour la recherche ne prit nullement fin avec sa retraite. Elle réalisa des éditions du Désert de Suez : cinq mois dans l’Isthme de Narcisse Berchère en 2010, et Du spiritualisme et de quelques-unes de ses conséquences d’Albert Aubert en 2014. Des études consacrées à Gustave Drouineau, à Edgar Quinet et à Charles Baudelaire allaient suivre. Sa compétence en irlandais autant qu’en français lui permit en 2012 d’éditer les journaux inédits de Françoise Henry : Les Iles d’Inishkea : carnets personnels, et de se pencher en 2018 sur la correspondance de Charles Coquebert de Montbret et d’Andrew Caldwell, 1791-1803, pour éclairer un aspect des rapports entre la France et l’Irlande au XVIIIe siècle. Vers la fin, elle avait l’assurance que ce qu’elle considérait comme sa « trouvaille » majeure, le Voyage en Angleterre, en Ecosse et en Irlande d’Edouard de Tocqueville, dont elle parvint à achever l’élaboration, verrait le jour.

      Pianiste de talent, elle s’impliqua dans les travaux de l’Académie royale d’Irlande de musique, qui la nomma sociétaire honoraire en 2012. Ses travaux sur Fromentin étaient reconnus par la ville de La Rochelle, dont elle était citoyenne d’honneur. Au fil des ans, elle connut d’autres distinctions : Chevalier de l’Ordre National du Mérite (1975) ; Membre de l’Académie royale d’Irlande (1988) ; Membre de l’Academia Europaea (1989) ; Officier de l’Ordre National du Mérite (2004) ; pendant un semestre en 2006, elle bénéficia d’une bourse du Columbia University Institute for Scholars ; enfin, en 2019, elle fut promue Chevalier de la Légion d’honneur.

      Elle épousa en 1961 William « Bill » Wright, Professeur en sciences de l'ingénieur à Trinity College Dublin de 1957 jusqu’à sa mort en 1985. Ils eurent un fils, Jonathan, qui est actuellement professeur d’économie à l’université Johns Hopkins dans le Maryland, à qui, et à la famille duquel, vont toutes nos condoléances.

 

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