Richard Bradley – étude de quelques
illustrations pré-évolutionnistes

- Marie-Odile Bernez
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Fig. 1. R. Bradley, A Philosophical Account...,
1721, pl. 2

Fig. 2. R. Bradley, A Philosophical Account...,
1721, pl. 4

Fig. 3. Cl. Perrault, Mémoires pour servir à
l’Histoire Naturelle des Animaux
, 1671

Fig. 4. R. Bradley, A Philosophical Account...,
1721, pl. 17

Fig. 5. R. Bradley, A Philosophical Account...,
1721, pl. 14

Fig. 6. R. Bradley, A Philosophical Account...,
1721, pl. 11

Les

 

      L’ouvrage comprend 28 planches gravées par J. Cole de Londres, ce J. pouvant signifier soit James, soit John, tous deux ayant été graveurs dans les années 1720 à Londres. Les 28 planches figurent les espèces suivantes :

      Les images sont frappantes, car elles sont toujours présentées comme des trompe-l’œil, c’est-à-dire comme des dessins sur des papiers épinglés sur un fond grisâtre. On voit sur les planches 2 et 4, représentant respectivement des cactus et des champignons, et des créatures marines, comment apparaissent ces images (figs. 1 et 2). Dans certains exemplaires, certaines planches ont été colorées. On peut noter l’ombre des papiers, les épingles et même les bords usés du papier. Bradley s’inspire peut-être ici des illustrations de l’ouvrage collectif Mémoires pour server à l’histoire des animaux (1671 et 1676), dont Claude Perrault avait été un des principaux auteurs, et qui représente plutôt les animaux dans leur environnement réel. Les illustrations de l’ouvrage français sont plus détaillées et plus fines (fig. 3).
      Ces illustrations sont-elles l’indice que Bradley a cru en une sorte de transformisme ? Rétrospectivement en effet, les illustrations représentant les mammifères et les oiseaux par leurs éléments particulièrement distinctifs, la tête et les pattes, semblent indiquer un intérêt pour l’adaptation des animaux à des environnements particuliers. Tous les animaux de ces classes, à part quelques spécimens exceptionnels, sont figurés ainsi. L’éléphant est présenté en entier, mais on ne nous montre que les pattes et les têtes des chèvres, taureaux, chevaux, cerfs (fig. 4). Dans le cas du chat et de la souris, les pattes sont bien la preuve que le félin est un prédateur et la souris une proie (fig. 5). Ainsi, on pourrait croire qu’il s’agit d’une réflexion sur l’adaptation à l’environnement, dans le cadre d’une théorie transformiste qui reste très balbutiante à l’époque, pour ne pas dire inexistante [13]. Mais il semble plutôt que ce soit le fruit d’une pensée téléologique et de la classification habituelle des animaux à l’époque, que l’on trouve par exemple dans la Cyclopaedia de Chambers [14].

Les animaux vivipares, ou quadrupèdes, sont communément classés ainsi :

 

* à sabots
   - à sabots complets
   - à sabots fendus
      X en deux
         Non ruminants (porcins)
         Ruminants
            A cornes perpétuelles et creuses
               Bovins
               Ovins
               Caprins
            A cornes annuelles et solides (cervidés)
      X en quatre (rhinocéros et hippopotames)

* à griffes
   - à deux orteils ou ongles (camélidés)
   - à plus de deux orteils
      X non divisés (éléphants)
      X divisés
         Aux ongles larges (singes)
         Aux ongles étroits, soit
         Avec beaucoup d’incisives à chaque mâchoire
             Grands
         Au museau court (félins)
         Au museau long (canidés)
            Petits (fouines)
         Avec seulement deux longues incisives (lièvre) [15]

 

En vérité, des images que l’on pourrait utiliser de nos jours pour montrer les résultats de l’évolution servent chez Bradley à célébrer les merveilles d’ingéniosité d’un Dieu omnipotent. Ainsi, cette image contemporaine des différents becs d’oiseaux selon leurs régimes, semble tout à fait correspondre à ce que fait Bradley, qui voit dans le bec une adaptation voulue par Dieu à un certain régime (fig. 6), non un résultat de l’évolution. Il fait d’ailleurs des erreurs grossières, écrivant par exemple dans la légende de la planche sur les oiseaux :

 

Planche 9, figure 1 : la tête et les pattes du Martin-Pêcheur, qui sont particulièrement adaptés pour grimper dans les arbres et dénicher sa nourriture, qui consiste surtout en insectes cachés dans l’écorce et en vers de terre (p. 87) [16].

 

Alors que le martin-pêcheur se nourrit de poissons, comme son nom l’indique, et comme on le savait déjà au XVIIIe siècle. En fait, on se demande si l’image, qui n’est guère juste non plus, ne représente pas plutôt un autre oiseau, et si Bradley n’avait pas en tête un grimpereau. En tous les cas, l’adaptation des pattes ou des becs est un exemple de la divine providence.

 

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[13] Voir Ernst Mayr, Histoire de la biologie, Fayard, 1989, [The Growth of Biological Thought. Diversity, Evolution and Inheritance, Harvard University Press, 1982].
[14] Chambers, Ephraim, Cyclopædia, or, An universal dictionary of arts and sciences, Londres, 1728, Volume 2, article «Quadrupeds», p. 930.
[15] * hoofed
    – whole-footed (horse, ass)
    – cloven-footed
    x divided in two parts
         who don’t chew the cud (swine)
          ruminant
              perpetual hollow horns
                         beef kind
                         sheep kind
                         goat kind
               deciduous solid horns (deer)
    x divided in four parts (rhinoceros, hippos)
*clawed
  - two toes or nails (camels)
   - many toes
        x undivided (elephants)
        x divided
            broad nails (apes)
            narrow nails divided into
                 many fore-teeth for each jaw
                        greater
                           shorter snout (cat-kind)
                           longer snout (dog-kind)
                         lesser (weasel)
                  only two large fore-teeth (hare)
[16] The Head and Legs of the Halcion, or Kings-fisher, which Parts are naturally disposed for Climbing and Catching its Food, which chiefly consists of Insects in the Bark of Trees, and Earth-Worms.