La Mise en abyme imagée
- Jean-Marc Limoges
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Figs. 7 et 8. W. Allen, Annie Hall, 1977
Figs. 9 et 10. W. Allen, Annie Hall, 1977
Figs. 11 et 12. T. Burton, Pee-wee's Big Adventure, 1985
Figs. 15 et 16. A. Hitchcock, Saboteur, 1942
Figs. 17 et 18. T. Holland, Fright Night, 1985
Figs. 19 et 20.
S. Hopkins, A Nightmare
on Elm Street:
The Dream Child, 1989
Mise en abyme imagée rétrospective
Dans
Annie Hall (W. Allen, 1977), nous assistons
à une scène (figs.
7 et 8) dans laquelle Alvy
(Woody Allen) rompt avec Annie (Diane Keaton). Quelques instants plus
tard, nous revoyons la même scène,
jouée par deux jeunes comédiens (Charles Levin et
Robin Mary Paris) pratiquant la dernière pièce
d’Alvy (figs. 9
et 10). La scène a donc des airs
de déjà-vu.
Dans Pee-wee’s
Big Adventure (T. Burton, 1985), Pee-wee (Paul Reubens)
assiste, dans un ciné-parc, à un film
inspiré de sa propre vie (figs.
11 et 12). Il nous est alors
donné de revoir des scènes rappelant vaguement
– puisqu’elles ont été
évidemment embellies pour le film – celles que
nous avons déjà vues
précédemment.
Mise en abyme imagée rétro-prospective
Dans American Psycho (M. Harron, 2000), nous surprenons le jeune et ambitieux cadre Patrick Bateman (Christian Bale) s’adonner à des activités physiques devant son téléviseur (fig. 13). Scène semblable dans Short Cuts (R. Altman, 1993) où nous découvrons l’aviateur cocufié Stormy Weathers (Peter Gallaghar) s’adonner à des activités tout aussi physiques (mais moins constructives) pendant que le téléviseur, là encore, diffuse ses images au second plan (fig. 14). Or, si, dans les deux cas, nous avons une mise en abyme rétro-prospective, le second, se double aussi d’une mise en abyme simultanée. Dans le premier cas, Bateman fait ses exercices devant le film d’horreur The Texas Chain Saw Massacre (T. Hooper, 1974) alors qu’il a précédemment tué, à coups de hache, l’un de ses collègues de travail et assassinera subséquemment, à la scie mécanique, une jeune prostituée. Dans le second cas, Stormy a tronçonné, tronçonne et tronçonnera les meubles de son ex-copine au moment même où, derrière lui, une émission de bricolage nous montre un homme percer un mur.
Mise en abyme imagée simultanée
Dans
Saboteur d’Alfred Hitchcock
(l’exemple était donné par Dominique
Blüher), un homme entre dans un cinéma pour semer
les policiers qui le poursuivent. Or, il nous est permis de voir, à
l’écran, un homme tirer un coup de feu
(fig.
15),
immédiatement suivi d’un second coup de
feu tiré, devant l’écran
celui-là, par le fugitif (fig.
16). On le constate, cette
mise en abyme est simultanée en cela que les deux actions se
déroulent en même temps.
Même
cas de figure dans Fright Night (dont nous avons
parlé plus haut). Au début du film, le jeune
Charley Brewster (William Ragsdale) aperçoit, par la
fenêtre de sa chambre, deux hommes qui transportent un
cercueil (fig.
17)
tandis que son amie Amy (Amanda Bearse), assise
devant le téléviseur, regarde une
émission qui présente, au même moment,
des hommes transportant un cercueil (fig.
18).
Dans A
Nightmare on Elm Street 5 : The Dream Child (S. Hopkins,
1989), la mise en abyme repose sur une bande dessinée (dans
le film). Au milieu du récit, le jeune
bédéphile Gurney Orderly (Michael Ashton)
découvre une bande dessinée racontant, en images,
l’exacte histoire du film que nous sommes en train de
regarder (fig.
19)
– jusque-là, la mise en abyme
est clairement rétrospective. Or, en tournant les pages,
Gurney arrive inévitablement au moment de
l’histoire où il regarde sa BD (fig. 20)
et nous
offre, du même coup, une mise en abyme simultanée
– on remarquera au passage que les vignettes suivantes sont
vides et que la mise en abyme ne saurait être
qualifiée de prospective.
Mise en abyme imagée instantanée
Cependant,
nos recherches nous ont permis de remarquer que si les diverses mises
en abyme répertoriées avaient besoin du
récit filmique (ou, à tout le moins,
d’une autre image) pour être perçues
comme des mises en abyme, la mise en abyme simultanée
pouvait quelquefois être perçue à
l’intérieur d’une seule et
même image (configuration que la mise en abyme
littéraire ne pouvait évidemment pas nous
offrir). Ces mises en abyme, qu’un arrêt sur image
nous permet de saisir d’un seul coup
d’œil (un peu comme le fait la peinture ou la
photographie), nous proposons de les nommer
« instantanées ».
Dès lors, la mise en abyme imagée peut,
tantôt n’être que simultanée
– c’est-à-dire se produire en
même temps mais dans deux plans
–, tantôt être plus
précisément
instantanée –
c’est-à-dire en même temps
et dans le même plan ; avec une image
dans l’image.
Une
séquence de Pleasantville (G. Ross,
1998) illustrera la nuance. Au début du film, David (Tobey
Maguire) et sa sœur Jennifer (Reese Whiterspoon) se disputent
la télécommande (fig. 21).
À la
télé, au même moment, se
déroule une scène semblable (fig. 22).
Jusque-là, la mise en abyme n’est que
simultanée puisqu’elle se déroule en
même temps, mais qu’elle nous est
montrée en deux plans. Or, une
troisième image nous permettra de capter d’un seul
coup d’œil les deux actions (fig. 23).
Dès lors, la mise en abyme pourra être dite
« instantanée ».
Au
cinéma, les exemples de mises en abyme
instantanées de type simple ne manquent pas. Dans le film Airplane!
(J. Abrahams, D. Zucker & J. Zucker, 1980), le
capitaine McCroskey (Lloyd Bridges), dans un moment de
réflexion, se place inopinément devant une photo,
le représentant dans la même position (fig.
24).
Dans Friday the 13th Part VIII : Jason Takes Manhattan
(R. Hedden, 1989), une immense publicité,
derrière l’effrayant Jason Voorhees (Kane Hodder),
représente un joueur de hockey arborant un masque tout
semblable (fig.
25).
Dans The Life and Death of Peter Sellers
(S. Hopkins, 2004), une photographie géante nous montre un
Peter Sellers (Geoffrey Rush) totalement euphorique derrière
un Peter Sellers complètement défait (fig.
26).
Dans Hot Fuzz (E. Wright, 2007), le louche
entrepreneur Simon Skinner (Timothy Dalton), se plaçant avec
arrogance devant sa photographie, arbore le même sourire
sardonique (fig.
27).
Dans 8 Femmes (F. Ozon,
2001), la bonne Louise (Emmanuelle Béart), dans une
ostensible attitude de défi, se voit
réfléchie dans le portrait de sa
maîtresse (Catherine Deneuve) ornant le mur
derrière elle (fig. 28)
[9].
Dans Week-end
(J.-L. Godard, 1967), un portait de femme nue placé
derrière Corinne (Mireille Darc), qui prend incidemment son
bain, nous montre ce que le réalisateur s’amuse
à nous tenir caché (fig. 29).
Dans Vertigo
(A. Hitchcock, 1958), un tableau réfléchit les
deux éléments d’importance –
la natte de cheveux et le bouquet de roses (fig. 30)
–
que
porte Madeleine (Kim Novak). Enfin, dans Death Proof
(Q. Tarentino, 2007), la posture que Brigitte Bardot emprunte sur une
photographie tirée des Bijoutiers du clair de lune
(R. Vadim, 1958) est mimée, avec une fausse
désinvolture, par Jungle Julia (Sydney Poitier) (fig.
31).
Bref, toutes ces mises en abyme simples imagées
simultanées peuvent être dites
« instantanées » parce
qu’elles nous présentent une œuvre dans
l’œuvre qui réfléchit, mime,
duplique, reprend, sur une image diégétique, ce
que l’image même du film nous donne à
voir.
[9] L’image est cependant tirée du livre 8 femmes et non directement du film où la mise en abyme se dévoile quelque peu différemment, par un mouvement de caméra.