Del’usage de la lettre dans
la gravure d’illustration

- Marie-Claire Planche
_______________________________
pages 1 2 3 4 5


Fig. 14. Jason


Fig. 15. Appolon présente sa lyre aux Charités

       Avant de terminer ce parcours, faisons pérégriner notre œil dans une vignette consacrée à Jason [31]. La lettre accompagne les actions du héros puisque les différents personnages sont nommés au sein même de l’illustration (fig. 14). La planche relate, sur trois plans successifs plusieurs épisodes de l’histoire de Jason. Le héros, dont le nom apparaît sous son pied gauche, combat au premier plan les taureaux d’Héphaïstos. Cette épreuve qui marque le début de la conquête de la Toison d’or occupe un bon tiers de la planche. Ensuite, sur deux plans successifs plus étroits, sont représentées d’autres actions qui se succèdent jusqu’à l’incendie et la fuite de Médée sur le char du soleil. La chronologie des événements est mieux respectée que les règles de la perspective. La narration, avec ses différents épisodes et l’inscription des noms des personnages, obéit à des règles de composition quelque peu archaïques. Enfin, la signature de l’artiste est inscrite près du nuage de feu soufflé par le taureau.

       Apollon et les trois Grâces est le sujet du frontispice de l’ouvrage de La Porte et La Croix [32]. Le dieu, qui se tient devant le palmier de l’île de Délos qui l’a vu naître, présente la lyre aux Charites disposées avec une grande élégance (fig. 15). Les Grâces, influentes sur les travaux de l’esprit, accompagnent les femmes écrivains des XVIIe et XVIIIe siècles qui sont l’objet de l’ouvrage. En effet, la planche livre une partie du contenu du texte, offrant presque une table des matières avec les noms de femmes dignes de figurer dans une histoire littéraire. Sur des feuilles enroulées à la manière des volumina, ce sont Mesdames de Sévigné, de Graffigny, Dacier, Deshoulières et Du Bocage. Cependant, la présence de ces noms, disposés dans la partie inférieure, reste bien discrète ; à l’ouverture du livre, l’œil est davantage attiré par la beauté de la composition et des figures.

       C’est donc bien un jeu d’échanges multiples que le livre illustré propose. Faisant corps avec l’estampe, en marge du texte, la lettre se doit d’être efficace et pertinente pour ne trahir ni la pensée de l’auteur, ni l’illustration qui l’accueille. Elle convoque le lecteur, faisant appel à sa culture, à sa science des lettres. La lettre, les lettres, achevons sur cette leçon du maître de philosophie : « Il faut commencer, selon l’ordre des choses, par une exacte connaissance de la nature des lettres [33] ».

 

>sommaire
retour<
[31] Ovide, Métamorphoses, trad. Nicolas Renouard. Paris, A. du Quay, 1640. Vignette Pierre Brébiette. Les faits représentés sont narrés dans les livres VII et VIII.
[32] Joseph de La Porte - Jean-François de La Croix, Histoire littéraire des Femmes françoises, ou Lettres historiques et critiques. Paris, Lacombe, 1769, in-8. Frontispice Jacques de Sève gravé par B. L. Prévost.
[33] Molière, Le Bourgeois gentilhomme. II, 4.