Del’usage de la lettre dans
la gravure d’illustration

- Marie-Claire Planche
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Fig. 10. Persée décapitant Méduse


Fig. 11. La Génèse


Fig. 12. Portrait de Christine de Suède


Fig. 13. Portrait de Georges de Scudéry

       La lettre de la vignette de Méduse dans le Tableau du temple de Marolles [25] (fig. 10) est à double entrée puisque deux sources sont mentionnées : Ovide et Lucain. Même si les Métamorphoses sont évoquées en premier, ce sont davantage les vers de Lucain dans La Pharsale [26] que ceux d’Ovide qui fournissent le commentaire. Cependant, la lettre n’est pas une citation, elle consiste en une explication non pas de l’épisode représenté, mais de l’action à venir. Le texte énonce ce que le geste de Persée et la gorge offerte de Méduse annoncent. Pourquoi, alors que l’illustration est parfaitement bien composée, avec des personnages identifiables pour un lecteur honnêtement cultivé ? Sans doute pour frapper davantage les esprits et proposer une sorte de résumé de l’action remarquable de Persée ; l’illustration pourrait s’en trouver grandie. L’observation de la planche ne dispenserait-elle pas de la lecture du texte ? L’ouvrage ne devenant alors qu’un livre d’images.
       Le cabinet d’art graphique du Musée du Louvre conserve une belle sanguine non signée et donnée à Pierre Brébiette [27]. Ce dessin aurait été exécuté vers 1638-1639 pour une édition des Métamorphoses. Non utilisé pour ce texte il aurait alors été proposé pour le Tableau du temple. La composition en tout point semblable, les dimensions très proches ne laissent guère de doute.

       Le frontispice dessiné par Jacques de Sève pour Le Dictionnaire raisonné de Valmont de Bomare [28] est remarquable parce qu’il propose deux lettres fort différentes (fig. 11). L’une, sous le trait carré, en latin qui fait référence à la Genèse et l’autre dans l’illustration, rédigée en hébreu. Le dessinateur a choisi l’épisode au cours duquel Adam nomme les animaux créés par Dieu. Jacques de Sève, qui a dessiné les planches de L’Histoire naturelle de Buffon, sait représenter avec précision et vie les animaux. Il met ici en scène la variété des espèces du règne animal, correspondant au sujet de l’ouvrage de Valmont de Bomare. Cependant, l’iconographie et la lettre introduisent une dimension religieuse absente du dictionnaire. En effet, le sujet tiré de l’Ancien Testament est commenté par une citation en latin de la Genèse. En outre, des caractères hébraïques sont au cœur du soleil ; ils apparaissent tels des ornements et peuvent ainsi perdre de leur lisibilité. Ils ont été gravés de manière très libre et les spécialistes consultés s’accordent pour dire que l’hébreu est ici mal maîtrisé. La traduction n’en est donc pas aisée, mais ils sont plusieurs à déchiffrer « Yahvé » ; une lecture cohérente par rapport à l’iconographie. Une lettre en hébreu, ornementale à certains égards qui n’est cependant pas vide de sens.

       Les portraits sont nombreux dans le livre, les graveurs prennent souvent des peintures pour modèles. Parfois, comme nous le verrons, le portrait est exécuté d’après le modèle vivant. Deux portraits sont insérés dans l’ Alaric de Georges de Scudéry [29]. Le premier est celui de Christine de Suède qui fait face à la dédicace (fig. 12) tandis que le second, qui fait face à la préface est celui de l’auteur (fig. 13). Les deux personnages sont représentés de manière conventionnelle de trois-quarts et à mi-corps dans un médaillon. Celui du portrait de la reine Christine est orné et agrémenté de flots, tandis que celui de l’auteur est seulement mouluré. La lettre est comme gravée dans l’élément architecturé qui soutient les médaillons. Pour la dédicataire, il s’agit d’un compliment en forme de quatrains rédigés par l’auteur. Le graveur Robert Nanteuil a pris pour modèle un tableau de Sébastien Bourdon.
       Concernant Georges de Scudéry, la lettre livre une information capitale par rapport à la fabrique de l’estampe, Robertus Nanteuil ad Viuum faciebat. Le graveur a fait le portrait de l’auteur d’après le modèle vivant. Cette mention laisse également entendre que M. de Scudéry n’avait pas encore été portraituré. Enfin, l’inscription qui a certainement reçu l’approbation de l’auteur, fait référence non pas à ses talents, mais aux charges officielles qui assurent sa subsistance : Georges de Scudéry se présente [30]. C’est également une manière de rendre hommage au Roi de France. La présence de portraits dans le livre à figures soulève encore d’autres questions, surtout lorsqu’il s’agit de figures connues. Ne pourrait-on considérer que la lettre prévaut alors sur l’effigie, l’attention du lecteur devant être davantage retenue par le compliment ?

 

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[25] Michel de Marolles, Tableaux du temple des muses tirez du cabinet de feu Mr Favereau. Paris, A. de Sommaville, 1655, in fol. Vignette Pierre Brébiette gravée par Michel Lasne. Le texte est une mythographie sur les dieux et les héros de la Grèce antique dans laquelle figurent les personnages les plus intéressants des Métamorphoses d’Ovide. Le nom du dessinateur n’est pas mentionné, mais nous trouvons en revanche en bas à droite celui de l’éditeur de l’estampe : P. Mariette le fils excudit.
[26] Lucain, Pharsale, la guerre civile. Lib. I, 9, v. 605-660.
[27] Persée décapitant Méduse avec l’aide de Minerve. Sanguine. Voir l’image dans la base Joconde.
[28] Jacques-Christophe Valmont de Bomare, Dictionnaire raisonné d’histoire naturelle. Paris, Brunet, 1775, in-4. Frontispice Jacques de Sève gravé par B. L. Prévost.
[29] Voir note 13.
[30] Il est permis de rapprocher ce procédé d’une pratique contemporaine : la photographie et la présentation d’un auteur en quatrième de couverture.