[1] A. Compagnon, La Seconde main, Paris, Seuil, « Points essais », 2016, p. 9.
[2] J.-L. Leutrat, Cinéma & littérature, le grand jeu, Lille, De l’incidence éditeur, 2010, p. 21.
[3] Ibid.., p. 14.
- Camille Cellier A propos de l’ouvrage : Michèle Finck, Yves-Michel Ergal et Patrick Werly (dir.), Littérature et cinéma aimantations réciproques, |
Dans le sillage du colloque « Littérature comparée et cinéma » qui s’est tenu les 17 et 18 mars 2016 à Strasbourg (organisateurs Michèle Finck, Patrick Werly, avec la collaboration de Yves-Michel Ergal, EA 1337 « configurations littéraires », ACCRA EA 3402) s’est construit l’ambitieux ouvrage intitulé Littérature et cinéma, aimantations réciproques (Rennes, PUR, collection « Interférences », 2024), dirigé par des enseignants-chercheurs en littérature comparée (et générale), habitués aux quatre mains (Michèle Finck et Yves-Michel Ergal), mais surtout à faire dialoguer les arts entre eux. Michèle Finck est également poète, librettiste, scénariste, tandis que Patrick Werly noue, entre autres, des liens entre poésie et philosophie. Le livre offre généreusement dix-neuf articles où lettres et Septième Art « s’entreglosent », pour reprendre le mot de Montaigne [1]. Nous insistons sur ce vocable, car il ne s’agit pas de s’adonner à la stérilité du débat maintes fois remâché sur la supériorité présumée d’un médium sur l’autre. Bien au contraire, il est d’emblée question de transactions bilatérales entre les arts, ainsi que de la prescience qu’il « se joue quelque chose d’essentiel pour les deux partenaires » [2]. En effet, il s’agit de se questionner sur la (les) manière(s) dont « se joue s’effectue « la réception de la littérature par le cinéma et du cinéma par la littérature » (quatrième de couverture).
Nous précisons que nous avons choisi de nous référer aux articles selon un code de numérotation (1, 2, 3, etc.), correspondant à chacun d’entre eux, dont nous fournissons la liste en annexe (annexe I), de façon à favoriser une lecture fluide. Pour la même raison, nous avons référencé en dehors du texte les sociétés de production des films que nous évoquons (annexe II).
Quant au paratexte, nous mettons en avant sa qualité : carnet photographique couleur central (même si l’on peut se demander pourquoi il existe une différence de traitement selon les articles, dont certains auraient bénéficié de l’adjonction d’un photogramme), renvois à des ouvrages stimulants, solide bibliographie générale prioritairement littéraire – en accord avec le parti-pris revendiqué, nous y reviendrons –, accueillant toutefois une sélection de sources spécialisées cinéma, des classiques et des revues (l’on constatera le peu de sources très contemporaines). Un index des noms a été conçu, ce qui permettra au lecteur de se frayer un chemin à sa guise, même si l’on pourrait éventuellement regretter l’absence d’un second index, à partir des titres de films cités, de manière à ce que les aimantations du titre poursuivent leur réciprocité jusqu’au terme de l’ouvrage. En outre, le chercheur en études cinématographiques n’aurait pas refusé une rigueur accrue sur la datation de ces films, parfois absentes des titres (articles 5, 8, 11, 13), voire, plus handicapant, dans le corps du texte (par exemple articles 11 et 19, p. 337, lors d’une énumération pourtant captivante d’œuvres où la poésie fait irruption à la dérobée sur le grand écran).
Les articles couvrent des aires culturelles et linguistiques diverses, principalement européennes, n’ignorant ni la partie Sud (représentée par le Portugal – M. Oliveira, article 7 et João Carlos Monteiro, article 17, l’Italie – Antonioni, article 16, la Grèce avec Angelopoulos – article 14), ni l’Est (Kieślowski – article 2). Le quadrillage littéraire et cinématographique s’élargit grâce aux apports sur Dostoievski, article 2, et Tarkovski, article 12. En revanche, et ce qui peut surprendre tant la thématique « travaille » nombre d’opus outre-Atlantique et outre-Manche (ne citons que le Kafka de S. Soderbergh, 1991, un Ange à ma table de Jane Campion, 1990, et The Hours de Stephen Daldry, 2003), le monde anglo-saxon apparaît minoritaire (Etats-Unis avec Cronenberg – article 3, et Paterson – article 15, Angleterre avec Stephen Frears – article 13) par rapport à la France, très représentée et dominante : Duras (article 3), Rohmer, Resnais et Bresson (article 7), Godard (article 8), Proust (article 9), Jean-Jacques Annaud (article 11), de multiples références hexagonales (article 19).
Etant donné un tel éclectisme, respecter une diachronie eût été impossible (et n’aurait aucune raison de s’imposer, en l’occurrence). Cependant, un parcours chronologique et évolutif de l’histoire du couple littérature-cinéma se découpe à l’arrière-plan, « des années vingt aux années 2000 » (Y.-M. Ergal, conclusion, p. 341), au fil d’étapes-clés. En effet, Méliès (article 1 ) mène aux expérimentations multiformes des années vingt (article 5), qui se diversifient avec l’entrelacement des arts d’un Cocteau (article 18). Le cœur battant de l’ouvrage pulse sur les trois décennies des années soixante à quatre-vingt dix : Détruire dit-elle, Navire Night, India Song (article 3), Le Décalogue et Rouge (article 2), Hélas pour moi (article 8), Solaris et The Terminal Man (article 12), Les Liaisons dangereuses (article 13). Mais l’ouvrage rejoint aussi le troisième millénaire où plus que jamais, les mots se traduisent en images et vice-versa : La Captive (article 9), Lo Sguardo di Michelangelo (article 16), Paterson (article 15), sans oublier les renvois à des chercheurs et œuvres contemporains (par exemple, Lapid, Desplechin ou Miyazaki, article 19).
La priorité semble donnée à des icônes référentielles, intimes de la page et de l’écran : Duras (article 3), mythologie grecque revisitée par Plaute, Molière, Kleist puis Giraudoux (article 8), Proust (article 9), Laclos (article 13), Cronenberg réalisateur mais aussi et surtout ici romancier (14), Cocteau (18), depuis les origines diaboliques d’un cinéma « faustien » (article 1), en passant par l’hybridation des « ciné-romans » (article 5), époque où il n’était pas encore anachronique de commenter la rivalité entre les médiums faux frères. La littérature restait alors menaçante pour le jeune cinéma en quête d’affirmation. Tomber dans les bras de l’autre ou résister à l’attraction naturelle, telle a pu paraître la question, explorée à leur tour par les expérimentations des années 1960.
Revenons sur cette notion de magnétisme incoercible, séduisante métaphore du titre, et pôle d’attraction conducteur de l’introduction à la conclusion, imagerie à laquelle pourrait répondre la métaphore de « l’attirance (…) que la flamme exerce sur le papillon (…), cette fascination (réciproque et néanmoins asymétrique) faite d’amour et de haine, d’allers-retours, de rencontres, d’allusions, de sous-entendus, de références cachées, déguisées, [soit] l’usage du cinéma par les écrivains, et inversement » [3]. A la froideur du procédé d’aimantation, peut-être rajouterions-nous la sensualité d’un allèchement des médiums. Captation hypnotique, mise en bouche des mots par le travail d’interprétation, goût des mots, grain de la photographie, réécriture d’appropriation grâce au montage, il est bien question de fusion presque amoureuse.
[1] A. Compagnon, La Seconde main, Paris, Seuil, « Points essais », 2016, p. 9.
[2] J.-L. Leutrat, Cinéma & littérature, le grand jeu, Lille, De l’incidence éditeur, 2010, p. 21.
[3] Ibid.., p. 14.