Souvent, les inventions de Pellerin sont dotées de la même structure inspirée des décors de la galerie de François Ier à Fontainebleau : l’ouverture du cadre est entourée des figures de personnages s’appuyant sur les formes de cuirs enroulés, le bas et le haut de l’encadrement sont marqués par des mascarons. Les putti, les guirlandes de fleurs et de fruits, les images de trophées et d’instruments musicaux comblent l’espace entre les principales figures allégoriques. La disposition même de ces éléments s’inscrit dans la forme rectangulaire de l’encadrement, mais celui-ci n’est que très rarement doté d’un filet extérieur. Nous pouvons remarquer un schéma de décor comparable chez le prédécesseur de l’artiste, Jean Cousin père. Cependant, les compositions de Pellerin sont plus denses : elles sont basées sur une multitude de petits éléments et les formes de cuirs enroulés servent plutôt d’appui aux nombreux personnages que de véritable structure du cadre.
Enfin, les planches de Pellerin peuvent être divisées en deux grands groupes : les encadrements illustrant le contenu du livre et les décors universels, facilement réutilisables pour tous les ouvrages du même format. Par exemple, la page de titre des Œuvres de Cicéron publiées par Jacques du Puys en 1566 au format in-folio (fig. 2) évoque à la fois le contenu du livre et la personnalité de l’imprimeur [7]. Jouant sur son nom de famille, celui-ci faisait figurer sur sa marque la scène de la rencontre de Jésus avec la Samaritaine près d’un puits. Ces personnages sont intégrés dans le cadre des œuvres de Cicéron et le monogramme du libraire est visible sur les motifs de cuirs enroulés au-dessus de leurs têtes. Ce frontispice remplace ainsi la marque de Du Puys dans sa forme traditionnelle. Quant au contenu de l’ouvrage, il est évoqué dans la partie inférieure du cadre : la figure d’Athéna, qui symbolise la sagesse, est placée au sommet d’un piédestal, tandis que les marches sont occupées par les allégories des arts libéraux, dont la Dialectique fait partie. Cette composition est flanquée des portraits de Cicéron et Démosthène dans des cartouches ovales. Enfin, la publication était protégée par le privilège royal, ce qui est explicitement mentionné dans le cartouche en bas du cadre et souligné par l’image de la couronne royale soutenue par les figures de l’Eglise et de Justice en haut de la composition.
Les planches gravées appartenant aux imprimeurs du roi pour la musique Adrien Le Roy et Robert Ballard, dont la quasi-totalité sont de l’invention de Pellerin, évoquent également la thématique de leurs publications. On y retrouve ainsi des représentations d’instruments musicaux, les figures d’Apollon et des muses, des angelots musiciens, etc. Ce matériel contient notamment un encadrement à l’image du mont Parnasse, généralement placé au verso de la page de titre et destiné à accueillir les portraits des compositeurs dont les œuvres furent publiées par les imprimeurs (fig. 3) [8]. Celui-ci n’est pas parfaitement rectangulaire : le sommet de la montagne, surmonté des figures d’Apollon, de Pégase et d’un angelot tenant une couronne de laurier, est moins large que la base du cadre où sont représentés un fleuve et des muses jouant de la musique. Cette composition est en fait l’adaptation de la marque de Le Roy et Ballard dessinée par Pellerin aux alentours de 1562 (fig. 4) [9] et elle puise son inspiration dans différentes sources. Tout d’abord, il faut citer la représentation du mont Parnasse gravée vers 1557 par Giorgio Ghisi d’après le dessin de Luca Penni (fig. 5 ), qui était très répandue et souvent copiée à l’époque [10]. Pellerin s’en est sans doute servi pour la figure de Pégase et celle de l’angelot et pour la posture du Fleuve au pied de la montagne. Une autre composition très proche de celle-ci est représentée dans un dessin du musée du Louvre exécuté par Penni ou sous son influence, évoquant l’encadrement d’une page de titre qui ne fut jamais gravée [11]. Un cartouche ovale disposé au centre de la composition, entouré des figures des muses et dominé par celles d’Apollon et Pégase, est réservé au titre du livre. Au-dessous, nous retrouvons un cadre pendu à des rubans et évoquant l’emplacement d’une marque d’imprimeur, tandis qu’une sorte de piédestal en bas de la page était sans doute destiné à son adresse [12]. Enfin, les blasons surmontés de couronnes royales et accrochés aux arbres qui poussent sur le sommet de la montagne étaient sans doute réservés aux armoiries du dédicataire et du possesseur. Même si la gravure de Pellerin ne copie pas littéralement la composition de Penni, la principale disposition des personnages demeure la même.
L’influence de l’artiste italien sur notre dessinateur ne relève pas du hasard. Pellerin semble l’avoir connu personnellement et même avoir eu directement accès aux inventions de son aîné [13]. Ainsi, nous savons que sa composition pour la suite de l’Histoire de l’Artémise représentant le jeune Lygdamis en train d’apprendre les arts martiaux copie assez fidèlement le dessin de Penni aujourd’hui conservé à l’Albertina [14].
Quant aux encadrements des pages de titres, Le Roy et Ballard en possédaient trois, adaptés aux formats divers de leurs publications. Ils étaient tous construits sur le même principe : les motifs de volutes et de cuirs enroulés constituent une structure sur laquelle s’appuient de nombreuses figures. Les espaces entre elles sont occupés par des représentations de fruits, de fleurs et de cornes d’abondance. Les côtés des cadres sont marqués de mascarons ou de cartouches contenant l’information éditoriale et les emblèmes.
En 1572, Pellerin dessina pour Le Roy et Ballard une planche à figures de muses et d’anges musiciens destinée aux éditions de format folio, relativement rares chez ces imprimeurs (fig. 6) [15]. L’année suivante apparut un encadrement à l’image d’Apollon, avec un faune et des anges musiciens servant aux éditions in-8° oblong (fig. 7 ) [16]. Cependant, la plupart de publications de Le Roy et Ballard étaient de format in-4° oblong et c’est ce décor que Pellerin dessina en premier. L’encadrement agrémenté de mascarons, des allégories de Piété et Justice et d’anges musiciens est devenu emblématique de leur production et remonte au moins à 1565 (fig. 8) [17]. Ce décor gagna une telle popularité qu’en 1570, Thomas Vautrollier, leur confrère français installé à Londres, en fit même une contrefaçon (fig. 9 ) [18].
[7] Cicéron, Opera omnia, Paris, Fleury Prévost pour Jacques du Puys, 1566, in-fol (J. Balsamo et M. Simonin, Abel L’Angelier et Françoise de Louvain (1574-1620) suivi du catalogue des ouvrages publiés par Abel l’Angelier (1574-1610) et de la veuve l’Angelier (1610-1620), Genève, Droz, 2002, n° 410, pp. 339-340).
[8] Par exemple, en 1565, il contenait un médaillon avec le portrait de Jean Maillard (J. Maillard, Modulorum… quaternis, quinis, senis & septenis vocibus modulatorum, Paris, Adrien Le Roy et Robert Ballard, 1565, in-4° obl.) et en 1570, il accueillait celui de Guillaume Costeley (G. Costeley, Musique…Superius, Paris, Adrien Le Roy et Robert Ballard, 1570, in-4° obl.).
[9] Voir notamment l’édition du Tiers livre de tabelature de luth… par Maistre Albert de Rippe (Paris, Adrien Le Roy et Robert Ballard, 1562, in-4° obl.) ; Philippe Renouard ne repère cette marque qu’en 1564 (Les Marques typographiques parisiennes des XVe et XVIe siècles, Paris, Honoré Champion, 1926).
[10] D. Cordellier, Luca Penni. Un disciple de Raphaël à Fontainebleau, Paris, Somogy, 2012, fig. 25.
[11] Paris, musée du Louvre, Département des arts graphiques, RF 6154 (Ibid., fig. 102 et p. 112).
[12] Voir le schéma semblable de l’encadrement des Œuvres d’Ambroise Paré dessiné par Baptiste Pellerin (Paris, Gabriel Buon, 1575, in-fol).
[13] M. Grivel, G.-M. Leproux et A. Nassieu Maupas, Baptiste Pellerin et l’art parisien de la Renaissance, Op. cit., p. 220.
[14] Paris, BnF, Département des Estampes et de la photographie, RESERVE AD-105-FOL ; Vienne, Graphische Sammlung Albertina, Inv.-Nr. 420 (D. Cordellier, Luca Penni : Un disciple de Raphaël à Fontainebleau, Op. cit., fig. 58 et 60 ; Ibid., p. 115 ; F. Hueber, Antoine Caron, peintre de ville, peintre de cour (1521-1599), Tours/ Rennes, PUFR/PUR, 2018, p. 323, cat. rej. 24).
[15] R. de Lassus, Missae variis concentibus ornatae, Paris, Adrien Le Roy et Robert Ballard, 1572, in-fol (F. Lesure et G. Thibault, Bibliographie des éditions d’Adrian Le Roy et Robert Ballard (1551-1598), Paris, Société française de musicologie, 1955, n° 200 ; M. Grivel, G.-M. Leproux et A. Nassieu Maupas, Baptiste Pellerin et l’art parisien de la Renaissance, Op. cit., p. 45 et ill. 20). Le bois fendu de cet encadrement sera encore utilisé par Robert III Ballard un siècle plus tard.
[16] J. Arcadelt, Tiers Livre de chansons a quatre parties, Paris, Adrien Le Roy et Robert Ballard, 1573, in-8°.
[17] F. Lesure et G. Thibault, Bibliographie des éditions d’Adrien Le Royet Robert Ballard, (1551-1598), Op. cit., n° 99 ; M. Grivel, G.-M. Leproux et A. Nassieu Maupas, Baptiste Pellerin et l’art parisien de la Renaissance, Op. cit., pp. 44-45.
[18] R. de Lassus, Recueil du mellange contenant plusieurs chansons a quatre et cinq parties..., Londres, Thomas Vautroller, 1570, in-4° obl. (J. Kerman, « An Elizabethan edition of Lassus », Acta musicologica, XXVII, 1955, pp. 71-76; F. W. Sternfeld, « Vautrollier’s printing of Lasso’s Recueil du Mellange (London: 1570) », Annales musicologiques, V, 1957, pp. 198-227 ; A. Baydova, « To make a career between London and Paris. Social network as a basis of Renaissance book production and trade », Centre for Medieval and Early Modern Studies Working Papers Series, University of Kent, 2014, pp. 7-10).