Types, motifs et méthodes d’invention des
encadrements figuratifs à la Renaissance :
l’exemple de Baptiste Pellerin

- Anna Baydova
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Fig. 1. B. Pellerin, encadrement
décoratif, 1560

Résumé

Baptiste Pellerin fut l’un des plus prolifiques illustrateurs parisiens du troisième quart du XVIe siècle dont les inventions ont marqué l’identité visuelle des éditions de cette époque. Cet article vise à étudier la structure et le décor des encadrements figuratifs faisant partie des éléments indépendants du matériel typographique que l’on peut lui attribuer. Une telle analyse permet de mieux comprendre les circonstances de la création de ces décors, les méthodes de travail de l’artiste et l’influence des facteurs extérieurs sur ce procédé.

Mots-clés : Baptiste Pellerin, Renaissance, illustration, commande artistique, encadrements figuratifs

 

Abstract

Baptiste Pellerin was one of the most prolific Parisian book illustrators of the third quarter of the XVIth century, whose inventions have marked the visual identity of the editions of this period. This article aims to study the structure and decoration of the figurative frames making part of the independent typographic elements that we can attribute to him. Such an analysis allows a better understanding of the circumstances of these printing plates’ creation, of the artist's methods of work and of the influence of external factors on this process.

Keywords: Baptiste Pellerin, Renaissance, illustration, art commission, figurative frames

 


 

Récemment redécouvert, le peintre parisien Baptiste Pellerin, actif de 1543 à 1575, était l’un des représentants du nouveau style bellifontain en France [1]. Artiste polyvalent, il fournissait des dessins pour des vitraux et des tapisseries, travaillait avec les orfèvres et les médailleurs, tout en contribuant à l’enluminure et à tous les domaines de l’imprimerie. Il collaborait aussi bien avec les libraires du Palais Royal et de la rue Saint-Jacques qu’avec les imagiers de la rue Montorgueil [2] ou le graveur d’estampes Etienne Delaune [3].

Pellerin commença sa carrière dans le cercle proche de l’un des peintres majeurs de la Renaissance française, Jean Cousin père, sans doute comme apprenti ou membre de son atelier. Contrairement à son collègue aîné, il bénéficia de peu de commandes importantes dans le domaine de la peinture, et ses revenus plus modestes furent complétés par le travail régulier d’illustrateur. Cela peut expliquer l’abondance des compositions gravées que l’on est en mesure aujourd’hui de lui attribuer. Dans ce domaine, Pellerin acquit une certaine autorité : si ses premières illustrations furent publiées dès 1543 (bien avant ses travaux documentés de peinture) [4], les décors gravés de son invention furent utilisés encore longtemps après sa mort et inspirèrent d’autres artistes cherchant à imiter son style et ses compositions. Nous pouvons ainsi affirmer que les inventions de ce peintre prolifique ont marqué l’identité visuelle du livre imprimé parisien de Henri II à Charles IX.

Le style de Baptiste Pellerin dans la gravure sur bois est facilement reconnaissable. Cela est dû à la répétition récurrente des mêmes motifs, à son habitude de l’autocitation et au fait que, pendant sa longue carrière, il semble avoir collaboré avec un cercle assez restreint de graveurs [5]. Ainsi, ses figures féminines, dotées de hautes coiffes, sont toujours habillées en robes antiquisantes à taille haute plissées au bas du ventre et soulignant le nombril. Les putti, souvent présents dans ses inventions, ont des corps musclés aux proportions enfantines ; leur coiffure, avec les mèches s’accumulant en forme d’étoile au-dessus du front, reprend le modèle de tous les personnages masculins de Pellerin. Le mascaron à la tête féminine constitue également un motif décoratif pellerinesque récurrent : les cheveux ondulés ornent son front et sa coiffure est parfois surmontée d’une couronne rappelant le motif de la palmette.

Cependant, la thématique des éditions et les goûts personnels de ses commanditaires influençaient nécessairement les inventions de l’artiste, et il convient de distinguer son initiative propre des contraintes qui lui ont été imposées. Nous tâcherons donc, dans cet article, d’analyser les méthodes de travail utilisées par Baptiste Pellerin et de déterminer la part des commanditaires dans ses inventions pour mieux comprendre la genèse des encadrements figuratifs dans le livre parisien de la Renaissance. Nous complèterons également le corpus d’œuvres déjà connues de l’artiste par de nouvelles attributions.

Les bordures décoratives étaient relativement rares dans la production imprimée parisienne de cette époque. Depuis les années 1540, l’engouement pour le décor marginal a été progressivement remplacé par la pureté de la page visuellement allégée, ponctuée par des lettrines et des bandeaux décoratifs à fond blanc. La plupart des cadres à motifs figuratifs que l’on rencontre servaient principalement pour le décor des pages de titre. Leur commande demandait un investissement d’autant plus important qu’ils ne pouvaient pas être adaptés à des éditions de différents formats et que leur décor connoté rendait difficile leur réutilisation dans des publications ressortissant à des thématiques variées.

Le corpus des encadrements dessinés par Baptiste Pellerin est ainsi relativement restreint mais il présente une grande diversité. Pour cette étude, nous avons choisi uniquement les planches que nous pouvons incontestablement attribuer à la main de l’artiste et qui furent utilisées dans des éditions publiées de son vivant ou peu après sa mort (1575). Nous mettons également de côté toutes les compositions intégrant un cadre afin de nous concentrer sur les bordures comme éléments indépendants du matériel typographique.

Il convient tout d’abord de constater que Pellerin travailla pour tous les formats de livres : de l’in-16 à l’in-folio, tant verticaux que de format oblong. Il dessinait aussi bien des encadrements de pages de titre, que ceux destinés à décorer l’intérieur des livres ou même les portraits d’auteurs. Ces décors étaient presque tous constitués d’une planche unique. Cette règle ne connaît que quelques rares exceptions : les cadres du Plaisant jeu du dodechedron de Fortune de Jean du Meung, imprimé en 1560 (fig. 1) et de Délie, Objet de plus haulte vertu de Maurice Scève, imprimé en 1564, sont composés de quatre planches [6].

 

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[1] La monographie sur l’artiste n’est parue qu’en 2014 : M. Grivel, G.-M. Leproux et A. Nassieu Maupas, Baptiste Pellerin et l’art parisien de la Renaissance, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014.
[2] A ce propos, voir S. Lepape, Gravures de la rue Montorgueil, Paris, BnF, 2016.
[3] G.-M. Leproux, « Baptiste Pellerin, "designeur d’environ toute l’œuvre de Stephanus" », dans Graver la Renaissance. Etienne Delaune et les arts décoratifs, sous la direction de J. Rohou, cat. de l’exposition d’Ecouen, Musée national de la Renaissance-château d’Ecouen (16 octobre 2019-3 février 2020), Paris, RMN, 2019, pp. 53-59.
[4] Sur l’un de ses premiers travaux d’illustration, voir A. Baydova, « L’illustration des Hieroglyphica d’Horapollon au XVIe siècle », dans Les « Hieroglyphica d’Horapollon » de l’Egypte antique à l’Europe moderne, sous la direction de J.-L. Fournet, Paris, StudPAP2, 2021, pp. 257-271.
[5] Sur la carrière de Pellerin illustrateur, voir A. Baydova, Illustrer le livre. Peintres et enlumineurs dans l’édition parisienne de la Renaissance (1540-1585), Tours, PUFR, 2023 [à paraître].
[6] Plaisant jeu du dodechedron de Fortune, Paris, Vincent Sertenas, Jean Longis et Robert Le Mangnier, 1560, in-4° ; M. Scève, Délie, object de plus haulte vertu, Paris, Vincent Normant et Jeanne Bruneau, 1564, in-16°.