Résumé
Plusieurs éléments convergents sont communs portraits de pays phototextuels destinés aux adultes et ceux adressés aux enfants. Sur un plan éditorial notamment, ces publications s’inscrivent pour une large part au sein de collections singulières, qui rassemblent exclusivement des portraits de pays, dans des séries relativement formatées, invitant à une forme d’accumulation propre à ce genre qui tend à segmenter la surface du globe. Pour autant, les portraits de pays destinés au jeune public divergent de ceux élaborés pour un public adulte sur plusieurs plans, en particulier le recours au topos de l’enfant-miroir du lecteur, les modalités de la mise en forme narrative de ces ouvrages ou encore la focale sur les populations dans les caractéristiques du pays dépeint. Ces éléments sont envisagés sur la base d’une lecture de l’ensemble des contributions du dossier confrontés aux tendances observables dans les portraits de pays phototextuels pour adultes.
Mots-clés : portrait de pays, illustration et photographie, littérature de jeunesse
Abstract
Several features are common to phototextual country portraits intended for adults and those addressed to children. From an editorial point of view in particular, these publications are largely part of specific editorial collections, which exclusively bring together country portraits in relatively formatted series, inviting a form of accumulation specific to this genre which tends to segment the surface of the globe. However, the country portraits intended for a young audience diverge from those produced for an adult audience in several respects, in particular the use of the topos of the reader's child-mirror, the modalities of the narrative formatting of these works or the focus on the populations in the characteristics of the country depicted. These elements are considered on the basis of a reading of all the contributions in the special issue and in relation to the main trends in phototextual country portraits for adults.
Keywords: country’s portrait, illustration and photography, children’s literature
A Laurence Le Guen
Il est particulièrement enthousiasmant et gratifiant pour un chercheur de voir un travail qu’il a réalisé mis à profit par des collègues pour examiner des réalités parfois relativement éloignées de celles qui l’ont initialement conduit à ses propres découvertes. En l’occurrence, depuis que, il y a plus de dix ans, j’ai été conduit à identifier puis à analyser et à proposer une mise en perspective théorique [2] du « portrait de pays », à travers une recherche sur des albums illustrés de photographies dont les textes étaient signés par des écrivains, bien d’autres formes de ce genre longtemps passé sous les radars ont été envisagées sur la base de cette notion et de ses implications. La finalité de ce genre, qui se distingue du récit de voyage comme du guide, consiste à présenter un pays (ou une ville [3]) dans ses dimensions, de sa conformation géographique à son histoire en passant par ses populations et leurs réalisations avec, selon les projets, une attention plus ou moins prononcée pour l’un ou l’autre de ces aspects constitutifs de l’identité des pays, qui se profile comme la visée fondamentale de ce genre qui a connu un nombre considérable de déclinaisons.
Les multiples formes que ce genre a pu revêtir tiennent à plusieurs facteurs : d’une part, son histoire particulièrement longue – quoique difficile à situer de façon précise sur la seule base des recherches actuelles –, puisqu’il semble bien que, selon une expression consacrée, le portrait de pays soit susceptible de remonter à la plus haute antiquité ; d’autre part, s’agissant du seul domaine du livre (ou, de façon plus ouverte, de l’imprimé, dont la presse), le genre a également, en synchronie cette fois, pris de nombreuses formes, qu’il s’agisse de portraits exclusivement textuels, signés ou non par des écrivains, ou de formes uniquement photographiques ; enfin, et plus largement encore, le portrait de pays se présente comme un genre qui paraît susceptible de faire feu de tout médium [4], puisqu’il apparaît sous la forme de productions aussi bien télévisuelles que cinématographiques [5] ou sonores (radio, field recording…) [6], voire sous celle d’expositions [7] – liste vraisemblablement non exhaustive, notamment en raison de l’effervescence actuelle des formes de création numérique…
Un paramètre supplémentaire contribue à expliquer la remarquable diversité de ce genre éminemment protéiforme que constitue le portrait de pays : le public-cible en fonction duquel il est élaboré. A l’occasion des travaux que j’ai pu coordonner sur ces questions, j’ai découvert avec fascination, il y a maintenant plusieurs années, grâce aux travaux de Laurence Le Guen dans le cadre de ses recherches de thèse sur la photolittérature pour la jeunesse, les formes destinées aux jeunes publics [8]. Nous avons eu à de multiples reprises l’occasion d’échanger sur ces questions, qui m’ont conduit à découvrir tout un pan d’une production livresque qui s’étend de l’entre-deux-guerres, au moins, jusqu’à nos jours, avec un moment de haute intensité dans la production durant les Trente Glorieuses. La découverte de ces nombreux portraits de pays, aux traits spécifiques, a amené Laurence Le Guen à mettre sur pied plusieurs rencontres scientifiques dédiées à ce type de portraits de pays, auxquelles ont été conviés des spécialistes (et des éditeurs ou éditrices) de littérature de jeunesse.
Prendre aujourd’hui connaissance d’un ensemble d’études sur le sujet réuni par ses soins conjugués à ceux de Christine Rivalan Guégo et de Catherine Sablonnière donne, à tout le moins, matière à penser, en incitant non seulement à étendre la cartographie du genre, mais aussi à en préciser les contours, par les vertus d’une comparaison qui s’impose d’elle-même. Contribuer à ce dossier de la revue Textimage constitue ainsi une tâche aussi excitante que redoutable, surtout compte tenu de mes connaissances tout de même bien limitées en matière de littérature de jeunesse. Pour répondre à cette invite, que je suis très reconnaissant aux éditrices de m’avoir adressée, il m’a semblé potentiellement éclairant, au moins pour moi-même, après un bref retour sur les circonstances de l’invention de la notion de « portrait de pays », de formaliser, autant que faire se peut, les principaux constats issus de la confrontation des travaux ici rassemblés avec ceux menés sur un corpus dont je suis plus familier, et ce qu’ils font apparaître à l’échelle du travail collectif plus général conduit sur ce genre dont la description se fait d’années en années plus complète et précise.
Le hasard et l’intuition, ou comment naissent les notions
Tout commence lors de la rentrée de l’année académique 2010-2011. Je viens alors à peine d’être nommé professeur de littérature à l’Université de Louvain (KU Leuven). Mon collègue Lieven D’hulst, alors en charge du cours de littératures francophones de Master, me demande si je serais prêt à prendre en charge avec lui la moitié de ce cours, en me suggérant de travailler sur la littérature suisse romande, puisque j’ai consacré quelques années auparavant ma thèse à l’œuvre de Blaise Cendrars. Dans la mesure où j’ai alors, comme toute personne fraîchement nommée, un nombre conséquent de nouveaux cours sur les bras et les rouages d’une nouvelle institution à découvrir, l’un de mes principaux soucis consiste à élaborer des cours qui soient à la fois consistants et attrayants pour les étudiants, tout en faisant autant que possible preuve d’économie s’agissant de mon emploi du temps.
[1] Ce texte s’inscrit dans le cadre d’une recherche consacrée aux portraits de pays développée à l’Université de Louvain (KU Leuven) en partenariat avec le Répertoire de la photolittérature ancienne et contemporaine (en ligne) dirigé par Jean-Pierre Montier, François Valloton (Centre des sciences historiques et de la culture de l’Université de Lausanne), le projet « Representations of Israel in French-Language Travel Guidebooks from 1948 to the Present Day » (ISF – Israel Science Foundation) dirigé par Galia Yanoshevsky, ainsi qu’en collaboration avec l’ANR Littépub (en ligne) dirigée par Myriam Boucharenc.
[2] Pour l’identification et la description de cette forme médiatique du genre, voir en particulier David Martens, « Qu’est-ce que le portrait de pays ? Esquisse de physionomie d’un genre mineur », dans Poétique, n° 184, 2018, pp. 247-268 (en ligne. Consulté le 15 septembre 2022), ainsi que, du même auteur, « Portraits phototextuels de pays. Jalons pour l’identification d’un genre méconnu », dans Communication et langages, n° 202, 2019, pp. 3-24 (en ligne. Consulté le 15 septembre 2022).
[3] Susana S. Martins et Anne Reverseau avancent l’idée d’une différence générique entre portraits de pays et portraits de ville (« Portraits de pays et portraits de ville au-delà de la différence d’échelle », dans Portraits de pays illustrés. Un genre phototextuel, s. dir. Anne Reverseau, Paris, Minard, « Lire & voir », 2017, pp. 131-151). Cette idée me semble devoir être remise en cause, sur la base d’une observation des pratiques effectives, qui tend au contraire à montrer qu’il n’existe nulle différence sur le plan générique entre portraits de villes et de pays (voir David Martens, « Des villes dans les collections de portraits de pays (1925-1980). Questions de focale & enjeux de politiques éditoriales », dans Journal for Literary and Intermedial Crossings, vol. 4, « Stadsportretten/City Portraits », dir. Daniel Acke, Elisabeth Bekers et Diana Castilleja, 2019, automne 2019, pp. 1-24 (en ligne. Consulté le 15 septembre 2022).
[4] Voir à ce sujet l’ouvrage, issu d’un colloque tenu à Cerisy, Portraits de pays. Textes, images, sons, dir. Sophie Lécole-Solnychkine, David Martens et Jean-Pierre Montier, Rennes, PUR (à paraître en 2023).
[5] Une journée d’études sur le sujet a été organisée le 4 mai 2019 à la Cinematek de Bruxelles : Portraits de pays. Avatars d’un genre cinématographique, dir. Teresa Castro, David Martens et Anne Sigaud.
[6] Un colloque sur le sujet a été organisé à Point Culture, à Bruxelles, les 17 et 18 mars 2022 : Portraits sonores de pays, dir. David Martens, Alexandre Galland et Pauline Nadrigny.
[7] David Martens, « Qu’est-ce que le portrait de pays ? Esquisse de physionomie d’un genre mineur », art. cit., p. 262.
[8] Voir Laurence Le Guen, Littératures pour la Jeunesse et photographie. Mise au jour et étude analytique d’un corpus éditorial européen et américain, des années 1860 à aujourd’hui, dir. Jean-Pierre Montier, Université Rennes 2, 2019.