2. Récit cadre, à la suite immédiate du texte précédent : Versailles, la grotte de Thétis ; puis Poliphile commence à raconter l’histoire de Psyché, devant la grotte (pp. 63-65).
Du château ils passèrent dans les jardins, et prièrent celui qui les conduisait de les laisser dans la grotte [10] jusqu’à ce que la chaleur fût adoucie : ils avaient fait apporter des sièges ; leur billet venait de si bonne part qu’on leur accorda ce qu’ils demandaient ; même afin de rendre le lieu plus frais, on en fit jouer les eaux. La face de cette grotte est composée en dehors de trois arcades qui font autant de portes grillées. Au milieu d’une des arcades est un soleil, de qui les rayons servent de barreaux aux portes. Il ne s’est jamais rien inventé de si à propos ni de si plein d’art. Au-dessus sont trois bas-reliefs (…)
1 Un Triton d’un côté, de l’autre une Sirène,
Ont chacun une conque en leurs mains de rocher.
Leur souffle pousse un jet qui va loin s’épancher.
Au haut de chaque niche un bassin répand l’onde :
5 Le Masque la vomit de sa gorge profonde.
Elle retombe en nappe, et compose un tissu
Qu’un autre bassin rend sitôt qu’il l’a reçu.
Le bruit, l’éclat de l’eau, sa blancheur transparente,
D’un voile de cristal alors peu différente,
10 Font goûter un plaisir de cent plaisirs mêlé.
Quand l’eau cesse, et qu’on voit son cristal écoulé,
La nacre et le corail en réparent l’absence :
Morceaux pétrifiés, coquillage, croissance,
Caprices infinis du hasard et des eaux,
15 Reparaissent aux yeux plus brillants et plus beaux.
Dans le fond de la Grotte une arcade est remplie
De marbres à qui l’art a donné de la vie.
Le Dieu de ces rochers, sur une urne penché,
Goûte un morne repos, en son antre couché.
20 L’urne verse un torrent ; tout l’antre s’en abreuve.
L’eau retombe en glacis, et fait un large fleuve.
J’ai pu jusqu’à présent exprimer quelques traits
De ceux que l’on admire en ce moite Palais ;
Le reste est au-dessus de mon faible génie.
25 Toi qui lui peux donner une force infinie,
Dieu des vers et du jour, Phébus, inspire-moi :
Aussi bien désormais faut-il parler de toi.
Quand le Soleil est las, et qu’il a fait sa tâche,
Il descend chez Thétis ; et prend quelque relâche.
30 C’est ainsi que Louis s’en va se délasser
D’un soin que tous les jours il faut recommencer.
Si j’étais plus savant en l’art de bien écrire,
Je peindrais ce monarque étendant son Empire :
Il lancerait la foudre ; on verrait à ses pieds
35 Des peuples abattus, d’autres humiliés.
Je laisse ces sujets aux maîtres du Parnasse :
Et pendant que Louis, peint en Dieu de la Thrace,
Fera bruire en leurs vers tout le sacré vallon,
Je le célébrerai sous le nom d’Apollon.
40 Ce dieu, se reposant sous ces voûtes humides,
Est assis au milieu d’un chœur de Néréides.
Toutes sont des Vénus de qui l’air gracieux
N’entre point dans son cœur, et s’arrête à ses yeux.
Il n’aime que Thétis, et Thétis les surpasse.
45 Chacune en le servant fait office de grâce.
Doris verse de l’eau sur la main qu’il lui tend.
Chloé dans un bassin reçoit l’eau qu’il répand.
A lui laver les pieds Mélicerte s’applique.
Delphire entre ses bras tient un vase à l’antique.
50 Climène auprès du dieu pousse en vain des soupirs :
Hélas ! c’est un tribut qu’elle envoie aux zéphyrs.
Elle rougit parfois, parfois baisse la vue,
(Rougit, autant que peut rougir une statue :
Ce sont des mouvements qu’au défaut du sculpteur
55 Je veux faire passer dans l’esprit du Lecteur).
[10] La grotte de Thétis, construite en 1664-65 et détruite une vingtaine d’années plus tard.