Surface et profondeur. Essai sur la
sculpturale
de Julien Blaine (1967)

- Stéphane Nowak
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Fig. 1. J. Blaine, Essai sur la sculpturale, 1967

Résumé

L'Essai sur la sculpturale de Julien Blaine (1967) constitue une œuvre paradoxale qui développe les recherches sur le livre et ses possibilités comme objet : sa mobilité, sa présence, sa matérialité. Le livre n’est pas limité à son rôle support mais est pensé comme medium – développant les potentialités médiopoétiques qu’il recèle. L’œuvre se donne comme œuvre à l’œuvre et comme non objet fini : œuvre désœuvrée.

Mots-clés : Julien Blaine, livre d’artiste, medium, matérialité, corps

 

Abstract

The Essai sur la sculpturale by Julien Blaine (1967) is a paradoxical work that develops research on the book and its possibilities as an object: its mobility, its presence, its materiality. The book is not limited to its supporting role but is conceived as a medium – developing the mediopoetic potentialities it conceals. The work gives itself as a work in progress and not as a finished object: it is an idle work.

Keywords: Julien Blaine, artist’s Book, medium, materiality, body

 


 

La dimension plastique et médiopoétique du livre sera abordée à travers l’exemple privilégié de l’Essai sur la sculpturale de Julien Blaine, paru en 1967 aux éditions de la galerie Denise Davy [1]. Ce livre-limite, paradoxal, développe les recherches sur le livre et ses possibilités comme objet : son volume, sa plasticité, sa matérialité.

Né en 1942, Julien Blaine est un artiste extrêmement prolifique. Poète, il a publié plus d’une centaine de livres depuis 1966, réalisé des centaines de performances, animé plusieurs revues dont la revue internationale Doc(k)s, participé à de nombreuses expositions, sans compter ses multiples activités politiques, en tant qu’activiste ou en tant qu’élu à la mairie de Marseille.

Les grandes « sources » de l’artiste sont la poésie et l’art des avant-gardes d’une part, le préhistorique, l’animal et les origines du langage d’autre part. « Je suis un Aurignacien contemporain », s’exclame-t-il à propos des origines de l’écriture [2]. Et effectivement, l’archaïque – en tant que ressource d’actualisation artistique – est à l’œuvre chez Blaine. Il s’exprime dans sa fascination pour l’Aurignacien ou dans son rapport aux animaux totémiques comme l’éléphant, l’âne, le zèbre, etc. L’un de ses livres de référence, qui le marque dans sa jeunesse, est le Bestiaire d’Apollinaire illustré par Raoul Dufy en 1911 [3] : cela rejoint sa perception de l’animal-totem qu’il investit à travers livres et performances, marqués par le lien texte-image, et par le rapport animal-poème.

Julien Blaine s’inscrit dans le contexte de l’optical art et de l’art cinétique. Jesus Raphael Soto réalise ainsi en 1967 son premier « pénétrable » à la galerie Denise René : des tiges métalliques pendent du plafond avec lequel le spectateur peut interagir. On passe de la vibration optique à la sensation de la vibration. Carlos Cruz-Díez, avec l’art optique, développe une nouvelle approche sur le phénomène de la couleur dans le domaine de l’art en développant notamment l’univers perceptif de celle-ci.

La question de la pénétration, en lien si direct avec la destruction, est aussi à mettre en relation avec le Destruction in art symposium (DIAS) initié en 1966 par Gustave Metzger et où furent présents des activistes viennois comme Hermann Nitsch et Otto Mühl, des poètes comme Henri Chopin, Sylvester Houedard ou Juan Hidalgo, des artistes fluxus comme Vostell, Bob Cobbing, Al Hansen ou Yoko Ono. L’écrit en général et le livre en particulier apparaissent ainsi comme un des éléments, mais non le centre, d’une économie plus générale de la création.

Essai sur la sculpturale est au départ entièrement fait à la main, avec des plumes taillées, dans le contexte de la révolution de l’offset et des rouleaux, ce qui permet que la photo soit imprimée.

Des lettres en plastique, les « lettraset » sont utilisées, et bombées en noir. Elles sont retirées au scalpel pour obtenir des lettres blanches. On obtient ainsi les quatre ronds de la constellation : c’est donc le cliché qui découpe comme un rivet et forme comme un trou de serrure. Dans cette reproduction de la page 5, on voit à travers le trou les pages 7 et 9 (fig. 1).

Au verso, c’est la technique du spray paint qui est utilisée.

Pour Blaine, comme pour d’autres auteurs, il s’agit d’abord de critiquer la page comme support aspirant à la neutralité. En ce sens, il est contemporain des avant-gardes post-surréalistes qui explorent les possibilités de la surface de la page : le lettrisme autour d’Isidore Isou, la poésie spatiale de Pierre et Ylse Garnier, la poésie concrète d’Eugen Gomringer et d’Augusto de Campos, voire plus largement la poésie visuelle à la suite des Calligrammes d’Apollinaire.

Ici, ce n’est plus seulement la surface de la page qui est questionnée, mais le livre comme « objet » et « support » dans sa matérialité même.

 

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[1] J. Blaine, Essai sur la sculpturale, Paris, Editions Galerie Denise Davy, 1967.
[2] « Conférence sur l’origine de l’écriture », Festival « Les Voix de la Méditerranée », Lodève, juillet 2011 (en ligne. Consulté le 17 septembre 2024).
[3] G. Apollinaire, R. Dufy, Le Bestiaire ou cortège d’Orphée, Paris, Deplanche, 1911.