Les adaptations illustrées de
Rabelais au Japon (1934-2018)

- Aya Iwashita-Kajiro
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Fig. 1. Fr. Rabelais, Kyojin
Pantagruel
, 1948

Fig. 2. Fr. Rabelais, Gargantua
monogatari
, 1949

Fig. 3. K. Okada, « Gargantua
monogatari
 », 1949

Fig. 4. ABC Book, G, Gargantua
monogatari
,1966

Fig. 5. K. Yamamura, Gargantua, 2020

Fig. 6. K. Yamamura, Gargantua, 2020

Fig. 7. K. Yamamura, Gargantua, 2020

Pendant la Guerre du Pacifique (1941-1945), la première traduction totale du texte original de Gargantua par Kazuo Watanabe est publiée en 1943 par la maison d’édition Hakusuisha. En 1943, Kazuo Watanabe a également achevé la traduction de Pantagruel, mais il faut attendre 1947 pour que l’ouvrage soit publié. Quant à la littérature de jeunesse, c’est plutôt après la guerre que l’on assiste à une prolifération de revues pour enfants. En 1948, un an après la publication de la traduction japonaise du Pantagruel par K. Watanabe, paraît une adaptation pour les enfants par Ryoichi Tsukahara, traducteur et chercheur dans le domaine de la littérature pour jeunesse, notamment en langue française, avec des illustrations de Shigeru Aoki (n° 2,  fig. 1). Puis en 1949, une adaptation de Gargantua pour les enfants par Soichi Gonmori, chercheur en littérature française, est publiée avec des illustrations de Takero Nishijima (n° 3, fig. 2). Enfin, la même année, l’adaptation de Gargantua par K. Watanabe paraît dans le numéro supplémentaire de la revue Asahi, avec des illustrations de Kenzo Okada, peintre à la gouache à tendance abstraite (n° 4, fig. 3). Les trois publications pourraient avoir été faites sous l’influence de la publication des traductions de K. Watanabe, si l’on en juge par leur proximité temporelle.

A partir des années 1950, les œuvres littéraires étrangères sont publiées sous forme de collections. Le Japon a déjà connu cette forme de recueil, mais la période située entre 1950 et 1970 constitue le point culminant de cette pratique éditoriale [11]. Deux collections sont particulièrement représentatives des années 1950 : « Iwanami shonen bunko » (Collection Iwanami pour la jeunesse) chez Iwanami-shoten, qui recueille en principe les traductions complètes des œuvres, et « Sekai meisaku zenshu » (Collection de chefs-d’œuvre du monde) chez Kodansha, qui recueille des adaptations d’œuvres littéraires. Cette dernière tendance deviendra majoritaire pour ce type de recueils. Les textes y sont adaptés et présentés sous forme d’extraits, dans la plupart des cas selon un nombre de pages déterminé à l’avance, de manière à constituer des volumes homogènes [12]. Cette démarche qui consiste à recueillir des extraits de plusieurs œuvres correspond à une pratique commune dans les collections pour le grand public adulte. De tels ouvrages, mettant la littérature mondiale à portée de tous les enfants, ont connu un véritable succès commercial. Les adaptations de Rabelais publiées entre 1954 et 1968 s’inscrivent dans cette tendance. Kenzo Nakajima, chercheur en littérature française et éditeur de Pantagruel en 1965 (n° 9) recommande ainsi à plusieurs reprises dans sa préface de lire les classiques du monde. Motoko Sato remarque par ailleurs que dans certaines collections, notamment dans les années soixante-dix, on peut trouver la mention des noms de l’auteur du texte original, du traducteur et de l’adaptateur, ce qui signifie que l’adaptateur a effectué son travail à partir du texte traduit par un spécialiste ou par un chercheur travaillant sur le texte original [13]. C’est le cas du Gargantua publié en 1968 (n° 11), adapté par Itaru Mori à partir de la traduction de Kazuo Watanabe. On pourrait supposer que d’autres adaptations ont également pris pour base la traduction de K. Watanabe. C’est ainsi que Soichi Gonmori, adaptateur du Gargantua publié en 1949 (n° 3), recommande de lire la traduction de K. Watanabe si le lecteur s’intéresse au monde de Rabelais.

Durant cette période, le Gargantua de Hiroyuki Yamanouchi, chercheur en littérature française (n° 8), propose une traduction complète de l’adaptation en français moderne par Marie-Henriette Bloch-Delahaye, aux éditions La Farandole (1959). Les illustrations de Gustave Doré présents dans l’original y sont cependant remplacées par les adorables illustrations adaptées pour les enfants de Masami Yoshizaki. Cette publication s’inscrit plutôt dans la lignée de la série des traductions de 1934-1937 par Kiyoji Honda (n° 1) ; Kazuo Watanabe rédige une préface pour ce livre dans laquelle il développe un commentaire sur les intentions de Rabelais. Enfin, il existe un seul album de Gargantua, publié en 1966 (n° 10). Le rédacteur du texte et l’illustrateur sont les mêmes que dans l’édition de 1959 (n° 8) : Hiroshi Yamanouchi (pour le texte) et Masami Yoshizaki (pour les illustrations) (fig. 4). Cet ouvrage paraît dans la collection « ABC Book » qui présente les contes du monde dans l’ordre alphabétique : le livre de la lettre « A » comme « Apple » présente le conte suisse de Guillaume Tell ; le livre « B » comme « Bird », le conte de l’oiseau bleu de Maurice Maeterlinck, pour la Belgique ; le livre de « C » comme « Cat », le conte du chat botté, qui habite en Espagne, par Charles Perrault. Le Gargantua est à la lettre « G » comme « Giant », et sur la quatrième de couverture, on peut trouver le plan de la France.

Après la première traduction du texte original par K. Watanabe, le Japon a connu plusieurs publications d’adaptations illustrées au XXe siècle. Même si les livres rabelaisiens racontent une histoire extravagante de géants dans un pays très éloigné, l’intérêt des éditeurs japonais pour ce type de publications n’est pas négligeable. De même, au XXIe siècle, on pourrait envisager l’adaptation parue en 2018 (n° 12) comme une publication dérivée de la nouvelle traduction du texte original de Rabelais par Shiro Miyashita entre 2005 et 2012 chez Chikuma shobou. C’est également dans le sillage de cette traduction que nous préparons actuellement un album de Gargantua. Koji Yamamura [14], animateur, réalisateur et enseignant universitaire, illustre « la vie treshorrificque du grand Gargantua », en dialogue avec le texte adapté par Anna Ogino et nous-même, en collaboration avec la société du design du livre, cozfish. Cet album sera prochainement publié par Keio University Press (Tokyo, Japon). Les illustrations originales de Koji Yamamura, inspirées notamment des peintures flamandes de l’époque et des gravures des Songes drolatiques de Pantagruel, donneront à voir les grandes scènes du livre – par exemple, l’éducation de Gargantua sous le préceptorat de Thubal Holoferne (fig. 5), l’épisode des cloches de Notre-Dame de Paris (fig. 6) ou encore le banquet organisé par Grandgousier en l’honneur de Gargantua (fig. 7). Au nombre de vingt-cinq environ, elles rendront compte de manière équilibrée des aspects comiques et savants du texte, de sa dimension éducative et de la culture humaniste de Rabelais.

 

Au Japon, les livres d’images et les livres illustrés de l’œuvre de Rabelais sont donc principalement destinés à la jeune génération et aux enfants. Les œuvres de Rabelais sont diffusées via la traduction du texte original ou des adaptations pour la jeunesse, conformément au mouvement d’importation de la culture étrangère dans la société et dans l’éducation des enfants. Les illustrations sont également adaptées par les illustrateurs et les peintres japonais, dont le parcours imaginatif et créatif mériterait une étude à part. De même que la traduction complète du texte original a exercé une grande influence sur des publications ultérieures, de même l’impact du livre d’images sur le public n’est pas négligeable du point de vue de l’éducation des enfants. Dans le sillage de la traduction moderne du texte original de Rabelais par Shiro Miyashita, nous aimerions nous-même contribuer, avec un nouvel album, à la diffusion et à la circulation de l’œuvre de Rabelais et de la culture de la Renaissance française.

 

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[11] Voir Motoko Sato « Zenshu, Shirizu toiu “utsuwa” (Collection et série en tant que contenant) », dans Zusetsu Kodomo no hon, honyaku no ayumi Jiten (Dictionnaire des livres pour enfants et histoire de leurs traductions), Op. cit., p. 123.
[12] Motoko Sato « Honyaku no samazama (Diverses traductions) », dans Zusetsu Kodomo no hon, honyaku no ayumi Jiten (Dictionnaire des livres pour enfants et histoire de leurs traductions), Op. cit., pp. 16-19.
[13] Ibid., p. 17.
[14] Voir son studio (en ligne. Consulté le 3 mai 2024).