Illustrer ? Introduction
- Hélène Campaignolle-Catel,
Ségolène Le Men,
Marianne Simon-Oikawa
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La dernière partie de ce numéro, « Du livre de peintre aux livres d’artistes », aborde ce cas si particulier de relation entre le texte et l’image qu’est « le livre double », où sont associés un artiste et un écrivain, souvent poète, sous la bienveillance d’un éditeur. Elle s’attache d’abord à évaluer l’apport d’éditeurs visionnaires comme Tériade ou Maeght. Pascal Fulacher retrace ainsi le parcours de celui qui, dans le sillage de Vollard, sut mettre à la disposition des artistes tous les moyens dont ils pouvaient avoir besoin, et permit la réalisation de livres d’exception comme Jazz avec Matisse et ou Le Chant des morts avec Picasso et Reverdy. Comme le montre Jiyoung Shim, Maeght, lui, publia le premier livre de peintre de Miró, en collaboration avec Tzara, opérant un virage décisif dans la carrière du peintre, qui devait par la suite produire plus de 200 livres avec des poètes. Melina Balcázar et Márcia Arbex-Enrico analysent pour leur part la rencontre entre l’artiste et l’écrivain du point de vue de l’homme de lettres : fasciné par le visuel, Bernard Noël a fait de ses livres réalisés avec les peintres, et notamment Olivier Debré, « une aventure commune visant à dépasser le clivage entre écriture et image ». Butor, de son côté, inverse les rôles quand il travaille avec Miquel Barceló et Youl : c’est lui qui écrit à partir des images et devient ainsi « illustrateur ».
La définition du livre d’artiste et du livre de peintre, ou encore l’identité des illustrateurs et des illustratrices, sont des questions abordées dans nombre d’articles. La diversité des procédés utilisés, des plus artisanaux au plus mécaniques, fait elle aussi l’objet d’une attention particulière. L’écart est considérable entre les illustrations de nombre de contes de Maupassant, obtenus à l’aide de procédés photomécaniques, et les livres édités par Tériade ou Maeght. Les enjeux ici ne sont pas, bien sûr, seulement artistiques. Les aspects financiers jouent eux aussi un rôle important dans le nombre et la technique des illustrations. Si les éditeurs jouent un rôle crucial, ce n’est pas seulement parce que ce sont eux qui passent commande aux artistes. Dans le cas des livres d’artiste, ils sont souvent à l’origine de la rencontre entre le plasticien et l’écrivain, qui donnera vie au livre. La fonction de l’illustration fait systématiquement l’objet d’analyses, qui montrent ici encore la diversité des postures possibles, une fois la servilité définitivement refusée : idéal synesthésique, complicité, écart, interprétation en tout cas du texte par l’image ou l’inverse, le rapport entre le texte et l’image se trouve dans chaque œuvre réinventé, défiant toute prétention à une typologie exhaustive.
Nous avons voulu associer à notre réflexion la présence de deux artistes, qui ont accepté de nous faire partager leur expérience et leur pratique de l’image. On trouvera ainsi, à la fin de ce numéro, un entretien de Marianne Simon-Oikawa avec le peintre Michel Mousseau, dont le travail avec les poètes dans l’espace du livre, particulièrement éclairant, correspond à une conception très manuelle du livre d’artiste. Le cahier d’artiste final s’inscrit pour sa part en prolongation de l’exposition « Les revues-images de Philippe Clerc » proposée par Hélène Campaignolle-Catel et Karine Bouchy en parallèle du colloque « Illustrer ? » : issu d’une proposition de Philippe Clerc, le cahier de cette livraison transpose sur écran son poétique album « Herbier, Rouen » précédé d’un commentaire d’Anne-Marie Christin issu de l’un de ses derniers textes [3].
Au moment où s’achevait la préparation de ce numéro, disparaissait le 19 décembre 2019, Barbara Wright, qui, membre d’honneur du Centre d’étude de l’écriture et de l’image, avait consacré son existence de chercheuse aux recherches sur les relations entre art et littérature au XIXe siècle. Il est mis en ligne au moment où se tiennent à La Rochelle les journées d’études Eugène Fromentin 1820-2020 qui lui rendent hommage. Elle avait en effet travaillé, comme sa collègue et amie Anne-Marie Christin, sur Eugène Fromentin dont elle avait établi le catalogue raisonné de l’œuvre peint dans une monographie écrite avec James Thompson (1987, revue en 2008), puis publié la correspondance (2000). En 2005, lui avait été dédié un volume d’hommage dirigé par Johnie Gratton et Derval Conroy L’œil écrit. Etudes sur des rapports entre texte et image 1800-1940. La publication posthume de son édition d’un manuscrit inédit d’Edouard de Tocqueville, Voyage en Angleterre, en Ecosse et en Irlande, à paraître chez Champion, est imminente, grâce à la diligence de Roger Little qui rend ici hommage à sa collègue et amie. Barbara Wright y commente longuement le manuscrit qu’elle avait découvert dans les archives des descendants de ce dernier et d’Alexis de Tocqueville dans le Cotentin, posant ainsi la question, inexplorée dans notre numéro, du « voyage pittoresque ». Un ensemble de dessins accompagnait en effet le récit du tour des voyageurs Français du 4 juin au 25 août 1824 dans les îles britanniques dont Barbara Wright retraça les étapes, et dont la mise en livre accompagna ce qui fut pour elle, fervente européenne et francophile profondément émue par l’imminence du Brexit, son dernier voyage. Ce numéro de Textimage lui est dédié.
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Remerciements
Nos remerciements s’adressent aux collectionneurs Jessie et Ronny Van de Velde, au représentant des ayants-droits d’Anne-Marie Christin, Guillaume Fouvet, ainsi qu’à Márcia Arbex-Enrico et à Philippe Clerc et aussi à nos éditeurs attentifs et méticuleux, Pierre-Olivier Douphis et Aurélie Barre. Nous souhaitons également remercier l’ensemble des contributeurs de cette livraison pour les autorisations de reproductions qu’ils ont procurées à la revue Textimage, ainsi que l’université Sorbonne nouvelle-Paris 3 (UMR Thalim) pour son soutien à la publication.
[3] Anne-Marie Christin, « Revue-image et imaginaire lettré : la revue OX de Philippe Clerc », article inédit paru dans Cahiers d’OX, Paris, éd. Philippe Clerc, 2014, p. 1‑11.