Illustrer ? Introduction
- Hélène Campaignolle-Catel,
Ségolène Le Men,
Marianne Simon-Oikawa
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Entre ces deux études, les contributions du colloque « Illustrer ? » se déploient en quatre étapes. La première partie, « L’illustration à l’œuvre », aborde les relations du texte et de l’image dans l’édition illustrée du XIXe siècle sous trois angles : celui, technique et commercial, des enjeux de la reproductibilité dans le dernier quart du XIXe siècle ; celui des renouvellements de la notion d’illustration chez les peintres à partir du symbolisme ; et enfin celui de la réception figurée d’un texte littéraire, Les Illuminations de Rimbaud qui, comme l’indique son titre, aborde la littérature à travers les expérimentations du regard. L’article de Torahiko Terada montre comment, dans les éditions illustrées des contes de Guy de Maupassant, le recours aux procédés de reproduction photomécaniques a pu dès les années 1880 donner lieu à des effets de « marketing » distincts, permettant de différencier l’édition populaire de l’édition de bibliophile. Par son étude des pages de titres des ouvrages et des écrits des artistes, Rivka Susini montre pour sa part comment les peintres symbolistes cherchant à entrer « dans le rêve », selon l’expression d’Odilon Redon, ont renouvelé les termes permettant d’évoquer leur pratique de l’illustration – un mot qu’ils refusaient – afin de marquer l’autonomie des expressions littéraire et plastique. Dans son étude de la réception illustrée des Illuminations de Rimbaud, Zoé Monti s’est intéressée à la façon dont l’édition du texte rimbaldien en volume, après sa parution par fragments dans la presse symboliste, et sa réception critique trouvent écho dans l’interprétation des illustrateurs.
La deuxième partie, consacrée à l’illustration dans la presse au XIXe siècle, montre comment cette dernière est partie prenante de la culture médiatique. Age d’or de l’illustration grâce au développement des procédés de reproduction en série, le XIXe siècle a vu l’image envahir les journaux et les magazines. Comme le montre Sarah Hervé, des journaux comme La Charge et La Caricature placent l’image au cœur de leur démarche, et choisissent notamment des symboles choisis (la poire, la fleur de lys, le coq gaulois, entre autres), pour s’affronter sur le plan politique. Les illustrations du périodique zurichois le Nebelspalter étudié par Laurence Danguy, ne sont pas toujours des caricatures, même si nombre d’entre elles font la part belle à l’humour. Elles s’inscrivent dans un arsenal symbolique, idiomatique, rhétorique et visuel cohérent, par lequel le journal, s’étant mis au service du pays, joua durant le dernier tiers du XIXe siècle un rôle important dans la naissance du sentiment national suisse, au point de devenir plus tard une institution nationale. Les deux contributions suivantes s’attachent pour leur part aux images scientifiques publiées dans des revues comme La Nature ou Le Magasin pittoresque. Insistant sur la politique volontariste du grand magazine de vulgarisation scientifique La Nature en matière d’images, Axel Hohnsbein parle d’une véritable « corne d’abondance iconographique », et montre que l’intention scientifique s’accompagne d’un appel constant à l’imagination : la débauche visuelle invite le lecteur à feuilleter les pages et à rêver devant les images. Laurence Guignard revient sur le rapport entre culture savante et vulgarisation au XIXe siècle. Elle rappelle notamment qu’en matière d’astronomie, les publications savantes recouraient peu à l’illustration, contrairement aux supports de vulgarisation, de sorte que c’est finalement dans des revues comme La Nature, entre autres, que les images de la lune les plus novatrices furent publiées.
La troisième partie aborde l’illustration dans l’entre-deux-guerres, en Europe et en Asie de l’Est. Camille Barjou nous fait découvrir l’œuvre subversive de deux artistes, Gerda Wegener et Mariette Lydis, qui ont respectivement illustré le sexe et le crime. Si elles ont peiné à se voir reconnaître comme illustratrices dans un monde dominé par les hommes, toutes deux ont produit des œuvres qu’il n’est pas interdit de considérer comme féministes avant l’heure. Dans un registre nettement moins provocant, c’est encore de corps qu’il est question dans l’article de Sophie Aymes. L’analyse des illustrations de deux ouvrages consacrés à la danse en Angleterre après la Première Guerre mondiale, et notamment aux Ballets russes, témoigne des efforts des artistes pour saisir de manière empathique le spectacle dansé. L’Asie est abordée à travers la Chine, et notamment Shanghai, ville cosmopolite et moderne qui, dans l’entre-deux-guerres, concentrait l’essentiel des revues chinoises. Dans son article consacré à la revue Shanghai Sketch (Shanghai manhua) Marie Laureillard montre comment les scènes de la vie urbaine et la présence de la modern girl dans les illustrations, mais aussi plus généralement l’esthétique et la typographie de la revue évoquent la révolution graphique et l’effervescence créatrice des années 20. La Corée est abordée par Yoon-Jung Do, qui s’attache à la figure de Yi Sang, poète devenu illustrateur pour un roman de son ami Pak T’aewôn paru en feuilleton en 1934. S’inscrivant dans le contexte du développement de la presse et de l’illustration en Corée à cette époque, Yi Sang se démarque toutefois de la production contemporaine par un art très consommé de la composition de l’image, qui fait écho aux expériences cette fois littéraires du romancier.