L’Illustration en débat :
techniques et valeurs (1870-1930)
- Anne-Christine Royère et Julien Schuh (dir.)
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Ainsi l’ensemble des débats ici rassemblés suggèrent-ils la diversité des questions soulevées par les techniques et les valeurs de l’illustration au tournant des XIXe et XXe siècles. Des questions d’ordre philosophique, tout d’abord, concernant l’ontologie des techniques de reproduction et les valeurs qui leur sont attribuées. Des questions juridiques ensuite, concernant l’intentionnalité de l’acte de reproduction selon le type de geste de l’opérateur, et partant la reconnaissance du droit d’auteur. Des questions d’ordre sociologique touchant à la distinction entre artistes et artisans, arts libéraux et arts techniques. Des questions, enfin, d’ordre pragmatique directement liées à la production éditoriale des livres illustrés et touchant plus particulièrement aux critères de reproduction d’une illustration de luxe. Ce recueil n’entend pas clore les débats, il se veut au contraire une propédeutique pour tous ceux qui s’intéressent aux tensions essentielles dans la culture occidentale de cette époque : l’opposition entre régime textuel et régime pictural, entre des traditions différentes de production de l’objet livre, entre les différents médias (presse, livre, affiche…), entre l’art et le commerce…
Les essais rassemblés pour accompagner cette anthologie définissent les soubassements conceptuels qui autorisent ces discours, et la manière dont ceux-ci sont transformés par les débats. C’est par le biais de la technique que l’article de Luce Abélès, consacré à « la chromotypographie en France dans le livre et dans la presse », aborde la question de l’illustration et de ses valeurs. Rappelant la concurrence avec l’Angleterre et l’influence esthétique des estampes japonaises sur le développement des recherches des éditeurs concernant l’application de la couleur à l’imprimé, elle montre comment ce procédé, qui a suscité engouement et rivalités éditoriales entre 1880 et 1900, avant d’être supplanté par la similigravure, trouve son application principalement dans le domaine de la presse (Paris illustré et le Figaro illustré), de la revue d’art (Le Japon artistique)et du livre pour enfants (Le Petit Nab, Croquis d’animaux). Les entreprises éditoriales bibliophiliques ou des albums d’inspiration japonisante (Histoire des quatre fils Aymon très nobles et très vaillans chevaliers ; Okoma, roman japonais) recourant à la chromotypographie, pour être des expérimentations remarquables, demeurent en effet selon elle marginales, en raison de l’inédaquation de la couleur à la typographie.
Tout autre est l’approche de Stéphanie Danaux qui s’intéresse à « la lithographie d’artiste chez Jean-Louis Forain » sous l’angle des relations de l’original au multiple. Replaçant sa pratique de l’estampe (eau-forte et lithographie) dans le contexte des transformations de la diffusion des images au tournant du siècle, elle montre comment celle-ci se joue de l’opposition traditionnelle entre l’original et le multiple grâce au recyclage des motifs de son œuvre picturale comme de sa production dessinée pour la presse satirique, grâce à sa dimension expérimentale, inscrite dans la lignée des usages et de l’esthétique des peintres-graveurs impressionnistes, et enfin grâce à son souci de particularisation des tirages. L’exemple de Forain illustre ainsi la continuité des pratiques des arts libéraux aux arts mécaniques, mais il est également symptomatique de l’essor du système « marchand-critique », dans lequel l’édition de l’estampe originale tient une place essentielle : démocratisées dans la presse, qui leur assure une visibilité médiatique, les estampes de Forain trouvent, avec la pratique de l’estampe originale relayée par des marchands d’art, un public nouveau d’amateurs, auquel elles offrent, dans un marché en plein essor, des œuvres originales multiples et singularisées à faible tirage.
Laureline Meizel concentre son étude sur la « photographie imprimée à l’épreuve de l’édition exposée » en focalisant son attention sur les expositions organisées par deux associations professionnelles du monde du livre et des arts décoratifs sur la période 1874-1957 : le Cercle de la Librairie et l’Union centrale des beaux-arts appliqués à l’industrie, devenue l’Union Centrale des arts décoratifs en 1882. Partant de la dualité de la notion d’image reproduite et de sa triple articulation avec la photographie et ses moyens techniques, elle analyse l’illustration du livre par la photographie en termes de fac-similé, d’image photographique et enfin d’illustration, pour mettre au jour les débats économiques, politiques, culturels et idéologiques que leur intégration dans l’espace du livre a suscités. Ainsi, ces expositions et leurs discours d’accompagnement témoignent-ils de la hiérarchie des valeurs des procédés (la phototypie surclassant l’héliogravure et la similigravure en matière de production fac-similée), mais surtout des freins idéologiques à la constitution de ce médium en argument esthétique et commercial aussi bien pour les instances de légitimation du livre illustré que pour les photographes, tant est prégnant le modèle d’une culture de la gravure de reproduction placée sous le signe de l’interprétation.
Le dernier article, signé par Fabienne Fravalo, aborde la question des « usages critiques de la photographie dans les revues d’Art nouveau ». Dans la dernière décennie du XIXe siècle la photogravure, se développant conjointement à la presse artistique spécialisée, permet à celle-ci de faire voisiner dans une même page texte et clichés photographiques. C’est en comparant Art et Décoration et L’Art décoratif que l’analyse s’attache à montrer comment, partant d’une ambition critique similaire, celle de défendre l’Art nouveau, les deux revues optent pour des solutions distinctes en terme de représentation des arts décoratifs par la photographie, plus précisément par la similigravure. L’usage de la photographie dans ces revues conduit en effet à interroger la notion d’illustration, en termes de médium (photographie ou croquis d’artiste), en termes de relation entre le texte et l’image et enfin en termes de corrélation entre celle-ci et le programme de la revue. Il s’agit ainsi de montrer comment la mise en page, mais aussi le choix de représenter les objets dans leur unicité ou leur ensemble, contribue à forger des discours critique et esthétique distincts, à les adresser à un lectorat différent, et enfin à engager une réflexion sur la notion même de décoratif.
La question de l’illustration dans l’imprimé est donc liée à des tensions essentielles dans la culture occidentale de cette époque : l’opposition entre régime textuel et régime pictural, entre des traditions différentes de production de l’objet livre et de l’estampe, entre les différents médias (presse, livre, affiche…), entre l’art et le commerce… Ces études critiques complètent le recueil anthologique en apportant des éclairages ponctuels sur les divers acteurs de l’estampe, qu’ils appartiennent au milieu éditorial, au marché de l’art, aux associations professionnelles, aux praticiens (artistes ou artisans). Elles tendent à montrer comment chacun d’eux s’empare des diverses techniques pour en inventer les usages, en façonner les valeurs et déterminer ainsi des modalités particulières de circulation médiatique de ces objets culturels qu’ils contribuent à créer.
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Présentation sur le site du Comptoir des presses d’universités