Votre reprise du genre du western est-elle une tentative d’explorer les possibilités d’invention du second degré ? Comment vous situez-vous par rapport à l’idée d’une reprise parodique et ludique ?
Les westerns italiens sont déjà des parodies ludiques du western à la John Wayne. J’ai repris ce geste artistique, impur, parasite et malicieux, geste mineur qui correspond à mes préoccupations esthétiques. Ma parodie de parodie s’éloigne encore davantage du modèle initial, en prenant le risque de traverser tous les stéréotypes du genre (Une amusante critique de presse, lors de la publication, reprochait au roman sa distance avec le western « authentique » de Leone, oubliant qu’on adressait dans les années 60 le même reproche à celui-ci et ses confrères italiens par rapport aux films américains, d’où le terme péjoratif de « western spaghetti »…).
Mais le second degré est, sans doute pour notre malheur, notre première condition d’existence dans le monde occidental d’aujourd’hui. Nous sommes de moins en moins naïfs, et pourtant impuissants. Nous saisissons tout, pour mieux tomber dans de nouveaux aveuglements. L’omniprésence des images y est certainement pour quelque chose. C’est cette part de condition humaine que j’essaie d’explorer dans l’écriture.
Le roman western que vous proposez avec Pas le bon pas le truand présente des échos bibliques et tragiques, comme si votre approche romanesque du cinéma renouait avec une mémoire très ancienne, archaïque, dont le western garderait la force et la violence. Pour le dire autrement, la mémoire impliquée dans votre roman déborde et la séquence du film de Sergio Leone et le cinéma lui-même. Quelle importance accordez-vous aux multiples résonances mémorielles que votre roman convoque ? Y a-t-il un lien entre cette longue mémoire et la question de la filiation qui court dans le roman ?
Je pense avoir déjà répondu en partie en racontant l’écriture du roman. Pour moi, c’est un même mouvement : convoquer une mémoire personnelle ou une mémoire collective, fabriquer des lignes temporelles où des éléments hétérogènes peuvent coexister.
La question de l’origine m’importe peu, celle de la genèse m’est essentielle. L’origine se révèle toujours décevante, contrairement au chemin pour tenter d’y accéder, même ci celui-ci est erroné. L’origine se résume au mythe, à la propagande, comme le western constitue une origine mythique de l’Américain ou l’Occidental moyen, être solitaire devant le bien et le mal, chef de famille protégeant ses possessions. Le western italien avec son ironie déconstruit ces clichés en les refaçonnant. J’ai essayé de suivre cette voie pour la radicaliser un peu plus, et la faire vibrer à la fois vers l’ancestral et le contemporain.
Et, oui, le thème de la filiation en est un prolongement.
Les voix précèdent les images dans Pas le bon pas le truand et elles restent très présentes. Un « chœur » se fait entendre, à la lecture. Pourquoi cette primauté des voix sur les images ?
D’une part, la meilleure façon de transcrire ce monde de la vision est, pour moi, de composer effectivement un ensemble de voix, un chœur. Je ne peux envisager frontalement les images ; mon roman ne serait pas adaptable au cinéma, je pense – je l’espère. D’autre part, ce qui me touche le plus dans le cinéma, c’est le son, d’autant plus important qu’il reste pour le spectateur beaucoup moins sensible que les images ; les films muets, c’est leur paradoxe et leur grande force, exigent du public qu’il fabrique lui-même de manière inconsciente le son accompagnant les images, non pas dans le sens matériel du bruit d’une locomotive qui approche, par exemple, mais dans une sorte d’équivalence produite par le cerveau qui ferait que l’on perçoit un son sans l’entendre. D’où le gouffre radical entre le muet et le parlant.