Présentation
- Olivier Leplatre
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      Le dossier que nous avons recueilli est issu d’une réflexion conduite par des chercheurs de l’Université de Poitiers (FoRell) et de l’Université Lyon 3 (Gadges). Elle a déjà donné lieu à une journée d’études en décembre 2012, tenue à l’Université Lyon 3. Les articles présentés ici en sont directement les échos. Les 20-22 novembre 2014, se déroulera, à Lyon 3 toujours, un colloque qui approfondira les enjeux de ces premiers échanges. Les actes de cette manifestation, intitulée « Entre textes et images : montage/démontage/remontage », paraîtront dans Le Conférencier de Textimage.
      Par remontage, on entendra les multiples façons de se saisir d’un texte et d’une image (fixe ou non) et de les faire réapparaître en les intégrant à un autre arrière-plan, un background ou une toile de fond différents (texte ou/et image). Dans ce type de pratiques qui concernent toutes sortes de matériaux (de l’emblème au livre enluminé, illustré en passant par le roman photo, la bande dessinée, le placard ou l’affiche), la création relève de la récupération, de la reprise et de la reconfiguration de composants préalablement coordonnés. Elle ne donne pas forme à un événement purement inaugural, conception de l’art dont le remontage mène la critique, préférant à l’illusion du commencement, comme fondement, une autre loi d’engendrement : celle du recommencement et du ressourcement à une origine continûment mobile et féconde.
      L’analyse du processus de remontage implique une réflexion à propos de la nature du montage texte-image sur lequel l’artiste, l’écrivain agissent. On peut le définir par exemple, à la suite des travaux de Philippe Ortel [1], en terme de dispositif, et plus particulièrement de dispositif plastique, non clos sur lui-même, obtus, mais ouvert au contraire sur d’autres virtualités. Ces réélaborations seraient dégagées par des modifications de rapports entre les éléments internes (textes et images) et entre ces éléments plus ou moins bien soudés et leur environnement. De tels dispositifs, qui ne recouvrent sans doute pas la totalité des montages de textes et d’images autoriseraient, en les prévoyant parfois eux-mêmes, renouvellements et réactualisations. Ils accueilleraient le travail de la différance (« mouvement de jeu qui produit les différences », selon la définition de Jacques Derrida [2]) ; différance qui agirait de manière conflictuelle, en fracturant l’unité, en défaisant la cohérence et l’identité à soi de l’ensemble texte-image initial, considéré rétrospectivement ou déjà en lui-même comme provisoire. Il s’agirait donc de dispositifs, appartenant à toutes époques, mouvants et malléables ou rendus mouvants et malléables par des formes de prise et d’intervention qui restent à étudier. On se souvient de la maxime deleuzienne selon laquelle « le montage, c’est le temps » [3]. Représenter la temporalité indirectement à travers la composition des mouvements ou directement en déliant l’image de l’espace concret, le montage devient le moyen d’accès à l’esprit et à ses méandres. Ceci sans compter les innombrables théories du montage élaborées par les cinéastes (Eisenstein, Hitchcock, Renoir) frontalement intéressés par ce problème.
      Les procédés de remontage sont innombrables et tous ont leurs spécificités : prélèvement (sous quelles formes ? d’une totalité à un fragment, une pièce, un pan, un détail), transfert, déplacement, inversion, expansion, réduction, séparation, regroupement, exportation et insertion, remploi et réexposition dans des contextes où reparaissent, plus ou moins fidèlement, les textes et les images premières. Il convient également de prendre en compte la proximité et les différences avec des notions ou des activités proches : collage, assemblage, (re)composition, citation (y compris dans un registre maniériste ou postmoderne), cut-up, collection, bricolage…
      Le démontage suppose une certaine violence exercée sur la source. Il malmène ou trouble la cohérence de cette dernière. Il s’en prend à son intégrité, envisage son désajointement. Il propose d’autres solutions, des re-présentations inédites, tenues en latence et ainsi révélées par l’opération, ou bien imposées du dehors, par une contextualisation différente, une situation d’énonciation nouvelle... Démonter des textes et des images, préalablement prévus les uns pour les autres, interroge l’autonomie et la circulation du textuel et de l’iconique, leur aptitude à changer de rythme et de cohérence, les modalités de leurs bouleversements et de leurs mutations. L’acte dépend encore d’un examen de l’intention ou des intentions qui président à cette manipulation : de la simple reprise jusqu’aux détournements, aux décadrages, ludiques ou non, et aux contresens.
      L’enquête, dont ce dossier présente quelques premiers résultats, cherche donc à définir les enjeux artistiques, mais aussi idéologiques ou politiques, et plus généralement historiques et anthropologiques de ces pratiques. Le geste du remontage qui repositionne textes et images suppose et engage en effet une certaine prise de position qui tient tout à la fois de l’esthétique et de la politique du regard.

 

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[1] Discours, image, dispositif. Penser la représentation II, textes réunis par Philippe Ortel, Paris, L'Harmattan, 2008.
[2] Voir Marges de la philosophie, Paris, Minuit, 1972.
[3] Voir Cinéma 1 et Cinéma 2, Paris, Minuit, 1983 et 1985.