L’objet principal de cette thèse est de comprendre et d’expliquer l’illustration littéraire, une pratique artistique majeure de l’entre-deux-guerres français. La thèse défendue dans ce mémoire est qu’une approche socio-esthétique de cette activité, développée à partir des théories du sociologue Pierre Bourdieu, est opérante pour ce propos. La démarche choisie s’appuie sur l’étude de trois ensembles éditoriaux représentatifs.

 

Un premier niveau d’explication de trois corpus représentatifs

 

Les premières parties de la thèse sont dédiées à l’étude détaillée de trois corpus d’ouvrages illustrés de l’entre-deux-guerres sélectionnés pour leur représentativité. Ont ainsi été retenues pour cet examen les publications du marchand d’art Daniel Henry Kahnweiler (1884-1979) au titre des « livres de peintres » – une trentaine d’ouvrages illustrés par Pablo Picasso, Juan Gris, André Masson etc. –, les productions de l’illustrateur, « architecte du livre » et imprimeur Jean-Gabriel Daragnès (1886-1950) pour les « livres d’illustrateurs » – un ensemble de plus de 120 publications illustrées par une quarantaine d’artistes –, enfin la série « grand public » Le Livre moderne illustré dirigée chez l’éditeur Ferenczi par le peintre Clément Serveau (1886-1972) au titre des « collections illustrées de vulgarisation littéraire » – 325 titres parus entre 1923 et 1939 avec près d’une centaine d’intervenants –. Ces corpus sont appréhendés lors de cette étape avec une approche historique classique. La caractérisation des ouvrages et de leurs illustrations donne toutefois lieu à des développements méthodologiques propres à cette recherche et relevant de la théorie de l’illustration. Sont ainsi introduites la notion de « facture d’image » pour qualifier la forme des illustrations et celle de « mode d’illustration » [mode au masculin] pour caractériser leur rapport avec le texte. Des typologies en quatre familles de factures ainsi qu’en quatre modes d’illustration sont présentées et sont utilisées pour répertorier les caractéristiques des corpus retenus. Un même plan est mis en œuvre pour les trois premières parties de la thèse. Un premier chapitre traite de la vie et du parcours professionnel général de l’éditeur ou du directeur artistique considéré. Cet exposé vise à appréhender sa personnalité et le contexte ayant prévalu lors de la genèse de ses publications. Un deuxième chapitre s’attache à caractériser les ouvrages du corpus étudié. Dans un troisième temps, une revue de la réception de l’ensemble éditorial est présentée, reposant sur de multiples sources. Chaque partie s’achève par une « synthèse provisoire » proposant un premier niveau d’explication de l’œuvre éditoriale examinée. Il s’agit, à ce stade, de mettre en relation les caractéristiques essentielles des ouvrages avec les traits de personnalité de l’éditeur ou du directeur artistique considéré, le contexte auquel celui-ci s’est trouvé confronté et les réseaux de relations qu’il a su tisser. Les analyses correspondantes sont résumées sous la forme d’un schéma causal mettant en évidence les principaux déterminants des corpus retenus selon une démarche inspirée de l’histoire culturelle.

 

Un modèle bourdieusien de l’illustration de l’entre-deux-guerres dans son ensemble

 

Ces premières analyses ne font sciemment appel à aucune notion sociologique. La quatrième et dernière partie de la thèse, en revanche, présente une approche socio-esthétique de l’illustration de l’entre-deux-guerres dans son ensemble développée sur la base des théories du sociologue Pierre Bourdieu. Par cette démarche en deux étapes, distinctes par leurs angles d’analyse, l’auteur a voulu montrer qu’il s’est d’abord intimement imprégné, sans a priori doctrinal, de l’illustration de la période au travers de l’étude des trois ensembles éditoriaux choisis avant de s’autoriser à aborder cette activité sous un angle bourdieusien. Tous les concepts liés à l’illustration développés en quatrième partie sont ainsi directement issus des observations effectuées, au préalable, sur les corpus étudiés. Ces derniers font par ailleurs l’objet d’une réinterprétation dans le cadre de l’approche socio-esthétique proposée, ce qui permet de mettre en évidence ses apports explicatifs.

Il est d’abord démontré que l’illustration littéraire était dotée, pendant l’entre-deux-guerres, de toutes les propriétés d’un champ autonome. Les structures à cette période de trois champs culturels homologues, ceux de la littérature, de l’art et de l’illustration, sont établies et présentées. Elles sont articulées selon deux axes de valeurs opposées, identiques pour les trois champs, traduisant l’orientation avant tout esthétique de cette recherche. Ces structures, bâties à une date moyenne de 1930, font état des principaux groupes socio-esthétiques d’auteurs, d’artistes et d’illustrateurs à l’œuvre à cette époque, eux-mêmes répartis entre les quatre secteurs de ces champs, dénommés – pour les trois activités – l’avant-garde, les esthètes, les académistes et les hédonistes. La structure de l’illustration, décrite de manière détaillée, fait apparaître les positions de ses principaux acteurs, illustrateurs, éditeurs, revues, critiques etc. Une version simplifiée de cette structure est donnée dans la fig. 1 où ne sont mentionnés que quelques illustrateurs représentatifs ainsi que Kahnweiler, Daragnès et Serveau.

 

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